Chapitre XXXXVI : Une brève halte

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 Quelques heures de vol plus tard, nous étions enfin en train de frôler les plus hautes cimes de la forêt où se cachaient les féliciennes. J'avais l'impression de redécouvrir cette sylve opaque, que je n'avais toujours pu qu'admirer que depuis le sol, autant dire que vus du dessous, tous les feuillages se ressemblent et vous donnent à long terme, l'impression d'être oppressé par des nuages de verdure. Ce soir, le ciel était dégagé, et nous avions l'impression de voler entre un tapis de feuilles et un plafond d'étoiles. L'imposante plate-forme où siégeaient et se rassemblaient les féliciennes nous apparaissait désormais, étant le seul point dégarni de cette immensité verte. Teïnelyore amorçait sa descente, je la suivais et nous atterrissions sous les regards étonnés de nos hôtes, qui nous attendaient jusqu'à lors, pour certaines métamorphosées et pour d'autres brandissant des lances pointées vers nous.

 Nous ayant reconnus, leur méfiance se dissipa, tandis que l'une des gardes, s'empressait sûrement d'aller prévenir la Grande Prêtresse Decadrys, pendant que nous étions inspectés de très près par les féliciennes, admirant nos ailes et nous félicitant d'avoir réussi à renverser la Reine Sombre. Même ici, nous continuions d'être considérés comme des héros. Ce n'est qu'après quelques instants d’interrogatoire, qu'enfin déboulait Decadrys, qui s'était hissée jusqu'ici en escaladant l'écorce rêche. Elle avait conservé sa forme humaine, je dépliais mes ailes et d'un battement vif mais sans précipitation, je m'envolais en direction d'elle.

 Elle me réceptionnait dans ses bras et me blottissait dans le creux ardent de sa poitrine. Je l'entourais de mes plumes, et la couvrais de baisers. Nous nous mordions les lèvres et plantions nos yeux dans ceux de l'autre, déjà embrasés du désir que nous ressentions l'un pour l'autre nous consumant délicieusement. Decadrys se clarifiait la voix et me signifiait à voix basse qu'il y avait plein de gens autour de nous, j'en prenais conscience et la libérais de mon étreinte. Nous nous mettions côte à côte, entortillant nos doigts.


« Je le savais bien. Annonçait une voix familière mais hors de mon champ de vision. Votre amour n'était pas flou, ouh. Ce tic de parole me mettait la puce à l'oreille.

– Bonsoir Noctalya, que faîtes-vous ici ? Réagissais-je immédiatement.

– Je me suis demandée la même chose, lorsque j'ai atterri ici, et qui je découvre à mon arrivée ? Ce n'était pas vous, ouh. Riait-elle. Mais j'ai vite compris, de ce que vous m'aviez dit, qui pouvait bien être cette délicieuse félicienne, et qui était-elle pour vous, ouh. S'esclaffait Noctalya.

– La Grande Prêtresse vous a fait venir ici ? Demandais-je à mon aînée Hulote.

– J'étais curieuse de voir qui arriverait si j'utilisais l'appeau que tu m'avais confié. L'aide de Noctalya m'a été précieuse. Quand il s'agit de repérer, voler s'avère d'une grande utilité. Grâce à elle, nous avons pu surveiller de très près l’expansion des tourbières durant ces deux derniers jours. Decadrys prenait un ton morose. C'est une catastrophe malheureusement, les marais s'étendent jour après jour... Quand vous êtes partis. Elle nous désignait. Les marécages avaient déjà commencé à engloutir quelques parcelles de forêt en plus... Mais si cela continue, toute notre sylve sera noyée dans la tourbe, il faut ensuite peu de temps aux arbres pour étouffer, asphyxiés par la boue. Le continent court vraiment à sa perte.

– Seulement si personne n'agit. Corrigeait Evialg. Nous sommes là, et nous allons tout faire pour empêcher que Mithreïlid ne s'éteigne, sous l'ombre d'un ciel couvert de ténèbres, ou étouffé dans les tourbières qui croissent. Nous avons probablement la solution à ces problèmes. Même si nos recherches n'en sont qu'à leurs prémices, il semblerait que les léviathans et la magie noire soient à l'origine du Mal qui prolifère sur notre Monde. Dès que nous aurons commencé à endiguer la colère des léviathans, nous pourrons chercher la source de l'énergie obscure.

– Ça va en faire des claques à distribuer, ça. Rigolait Teï'.

– Dame Gnas ! Hurlait Yzidrys qui venait de nous rejoindre. Vous êtes revenue victorieuse ! Je suis si heureuse ! Mais... C'est quoi cette tenue ?! Elle la contemplait en l'observant sous tous ses plis. Que s'est-il-passé ? Vous semblez changée, comme si vous étiez comblée, rassurée.

– Cela doit être le fruit de savoir que l'on est une Déesse, et que l'on a une cité à son nom, et un trône. Je suppose. Argumentais-je.

– Une Déesse ?! Plusieurs voix se superposaient.

– Euh... Teïnelyore semblait confuse.

– Pas des moindres qui plus est. Lançait Evi'. Gnas... Enfin Teïnelyore, de son vrai nom, est la déesse de l'Amour, fondatrice de la cité d'Ilyohelm et unique détentrice de la Vie Éternelle. Énumérait-elle fièrement en se lovant contre la Déesse.

– C'est fou, ouh. Votre petit groupe se voit doté d'un sacré potentiel. Quant à vous, ouh. Souriait Noctalya en regardant Evi'. Cette tenue vous va décidément bien mieux qu'à moi, tandis que Teïnelyore et vous, ouh. Vous formez un magnifique couple. Cela me fait plaisir de vous revoir sains et saufs, tous les trois.

– Merci beaucoup, ouh. Si vous souhaitez que je vous la rende, dîtes-le moi.

– Oh non. Vous savez, je pense que vous en ferez un bien meilleur usage que moi. Par ailleurs tout se partage, absolument tout, ouh. Je n'ai pas eu de descendant alors, vous voilà en possession d'une partie de mon héritage. Et vous ne me devez rien.

– Vous êtes si généreuse. Merci encore à vous, ouh ouh. S'amusait à hululer Evi', faisant rire Noctalya.

– Dame Teïnelyore, maintenant que vous êtes une Déesse, vous allez pouvoir me prendre en tant que disciple !!

– Hahahaha. J'aimerais bien Yzidrys, mais pour l'instant, je doute de pouvoir t'amener avec nous, enfin, je doute que cela soit sans danger. Je ne veux pas te faire courir de risque. Quand tout sera réglé, peut-être pourras tu nous accompagner.

– Cette idée est merveilleuse ! J'attendrai ce moment avec grande hâte.

– Quelle est votre prochaine destination d'ailleurs ? Nous interrogeait Decadrys. J'imagine malheureusement que vous n'êtes là que pour peu de temps... Maugréait-elle en fixant son regard sur moi.

– Il est vrai que nous sommes un peu pressés par les évènements en ces temps-ci... Lui renvoyais-je affligé du même mal que Decadrys. J'aimerais rester ici plus longtemps avec toi... Mais...

– Mais le continent court à sa perte, je le sais bien Tnemesnap. Elle se rapprochait d'Yzidrys. Tout comme toi, ma chère Yzidrys, je vais devoir être patiente. Par ailleurs, si vous devez repartir demain... Elle s'interrompait. Vous ne m'avez pas dit où vous partiez.

– Nous retournons sur l'île où sont installés Noctalya et Ghast. Répondait Evi'. Il semblerait que la situation y soit désastreuse... Puis d'après ce que disaient Tne' et Teïnelyore, il y avait déjà une grande tourbière sur l'îlot, si nous n'agissons pas, tout va disparaître.

– Ce que vous dîtes est vrai. La tourbière qui normalement était contenue par la forêt, s'est étendue, les habitations les plus proches de la jungle ont dors-et-déjà leurs murs salis et assaillis par la vase, l'écosystème semble grandement perturbé, les poissons meurent et finissent par s'échouer sur les plages... Sans parler de la tempête qui depuis plusieurs jours ne cesse de gagner en intensité. Peut-être que tout sera rasé par le vent avant d'être englouti par les marais... Sauf que ni mon mari ni moi ne pouvons essayer de braver les bourrasques, un point c'est tout, ouh.

– Vous aviez parlé d'une fable, si je ne me trompe pas. Murmurait Teï'.

– Tout à fait, la voici : "Méfiez-vous, par tous les temps, du léviathan lévitant, car si l'envie lui prend, recouvrira l'île d'une pluie et d'une tempête qui dureront durant tous temps". Pensez-vous, ouh, que cette légende a quoi que ce soit à voir avec ce qui se passe ?

– En partie, oui. La soutenais-je. Il semblerait que cet adage ne soit pas qu'un simple mythe. Il se pourrait même que la crise qui frappe Mithreïlid soit grandement due aux multiples léviathans disséminés sur le continent. Soufflais-je.

– Moi qui pensais que tout cela n'était que pur folklore... Devrions-nous alors tenir compte de toutes les légendes Mithreïlidiennes pour résoudre cette crise ?

– S'il s'avère que ce qui est conté, s'applique réellement à notre Continent, peut-être devrions nous alors arrêter de considérer les écrits, poésies et mythes, comme de la fiction... Mais comme l'Histoire de Mithreïlid.

– C'est vrai qu'à force de croiser des Dragons, des mages sombres, des créatures divines, et finalement constater qu'il existerait un équilibre subtil et implicite entre la mort et la vie... On est en droit de se poser des questions. Remarquait Evi'.

– Comme si ce qui était invisible ou imaginaire avait un impact total sur notre destin et notre vie ? Je comprends mieux mon rôle de Grande Prêtresse alors. Si le Mal présent sur Mithreïlid peut prendre une telle gravité, tout en agissant tapi dans l'ombre, alors tous les rites de purification doivent aussi avoir un effet, même si on ne peut pas en constater le bienfait immédiat.

– Tout dépend aussi du nombre d'utilisateurs et de ritualistes œuvrant pour le bien ou pour le mal, je suppose. Venait de conclure Evialg. Mithreïlid sombre dans l'obscurité, seulement si plus d'actes malsains et mauvais sont exécutés. Ce qui... Ces derniers cycles se vérifie, n'est-ce-pas ?

– En tout cas, selon cet ouvrage. Je sortais le livre de mon fourre-tout. Lorsque la Grande Nuit s'est étendue et a pris de l'ampleur, personne n'imaginait que cette catastrophe soit survenue si rapidement. L'auteur explique que des méfaits antérieurs avaient été commis... Bien entendu ce n'est que lorsqu'on a pris le temps d'analyser la crise que traversait Mithreïlid, que l'on s'est rendu compte d'où provenait-elle. À l'époque, c'est Teïnelyore, ici présente et Hul, qui avaient discerné l'origine du Mal. Aujourd'hui, c'est notre devoir, à nous, d'en trouver la cause, et d'essayer de résoudre cette apocalypse avant que nous ne soyons... Je m'arrêtais. Avant que nous ne soyons tous morts, en fait. Je me rendais compte que je venais de mettre un sacré coup au moral des personnes m'écoutant et ne possédant pas d'attributs magiques particuliers... Bien sûr pour Decadrys, Noctalya, Evialg, Gnas et moi, cela ne nous faisait plus si peur, nous flirtions indécemment avec la mort depuis que nos destins s'étaient liés. Je ne voulais pas vous effrayer. Je devais les faire relativiser. Pour des aventuriers et voyageurs qui ont déjà été confrontés et qui ont affronté beaucoup de dangers, ce tourment n'en est qu'un de plus à ajouter à une longue liste. La grande différence avec mes expériences personnelles du danger, c'est que ce que nous vivons actuellement est une crise à l'échelle d'un Continent.

– Je m'engage à vous soutenir dans cette lutte. Venait d'affirmer Decadrys, en repliant sa main et en la plaçant sur sa poitrine. Félicie, notre Déesse, était une amoureuse de l'harmonie entre les différents peuples et clans, si une seconde Grande Nuit devait frapper notre Monde, c'est aussi à nous, féliciennes, d'aider à combattre ce Mal. Il est grand temps que nous quittions notre refuge et que nous prenions conscience de nos responsabilités ; même si nous vivons recluses dans notre forêt depuis plusieurs centaines de cycles, nous ne devons pas oublier, que nous aussi, nous sommes des habitantes de Mithreïlid. Les féliciennes présentes avec nous, se sentaient exaltées et galvanisées par ses mots. Si nous avons su nous cacher, nous devons apprendre à nous montrer, à affirmer notre force et à démocratiser notre savoir. Longue vie à l'âme de Félicie ! Longue vie à Mithreïlid ! Hurlait-elle pleine d'engouement, suivie quelques instants après par ses consœurs.

– Voilà pourquoi je savais que tu ferais une excellente Grande Prêtresse Decadrys. La voix sage et posée de l'ancienne Grande Prêtresse, Aetharys, rejoignait la conversation. Il est grand que nous quittions l'ombre et que nous rejoignions la lumière. Moi, je n'avais plus l'âge et je n'ai jamais eu la détermination pour nous mener sur ce chemin-là. Mais toi, je savais que tu possédais cette fougue et cette envie de découvrir ce qu'il y avait hors de la forêt. J'étais convaincue de ta capacité à diriger notre peuple vers le bon chemin, j'en suis encore plus assurée ce soir. Je suis si fière de toi. Aetharys s'inclinait devant la jeune Decadrys.

– Relevez-vous Aetharys, vous nous avez éduquées dans le respect de notre secret, mais vous nous enseigniez tout de même la voie de la curiosité. Nous y voilà, à l'aube de notre grand retour sur le Continent, l'histoire se souviendra de nous. Tnemesnap. Me désignait-elle, en me tendant la main, que je saisissais et dont je me servais pour me mettre face à elle. Sans ton arrivée ici, sans ton errance dans ces bois, sans notre rencontre, rien de tout cela ne se serait produit. Elle plantait ses yeux fendus, scintillants de l'éclat des astres nocturnes dans les miens. Dès que cette catastrophe sera derrière nous, je te demande, de bien vouloir t'unir avec moi pour l'éternité, sous le regard des Lunes. Son visage pâli par la lumière lunaire devenait rouge et je sentais le mien en faire tout autant. Tu es l'étincelle de mon destin, c'est pour ça que je veux te donner mon avenir.

– J'accepte Decadrys. Je n'en revenais pas, et en même temps, j'espérais secrètement depuis plusieurs semaines, qu'un jour nous soyons liés l'un à l'autre. J'accepte sans hésiter. Je veux moi aussi, partager mon futur avec toi. Je me glissais contre elle.

– Tu imagines leurs enfants, toi ? Gloussait Teï' en parlant à Evi'. Des chats volants ! Je lui adressais un regard noir. Oh ça va, je plaisantais, pour le nombre de fois où tu m'as dit que je n'avais pas de cerveau ! Tu peux bien supporter ça.

– Je suis certaine, que comme moi, elle est contente pour toi et pour vous, Tne'. Venait de rajouter Evi'. Même si je n'imaginais pas qu'un jour quelqu'un te supporterait assez pour te soumettre un tel engagement ! Me taquinait-elle, relançant le rire de Teï'.

– Ouh, ouh, ouh. Je suis contente d'être là pour entendre cela. Mon cher confrère Hulote, que voilà une excellente nouvelle. Vos espoirs n'étaient pas infondés, vous n'étiez pas fou, ouh. Riait de joie Noctalya. »


 L’enthousiasme nous avait tous gagné, et bientôt, un festin allait être préparé puis amené, repas que nous allions savourer et partager tous ensemble : féliciennes et aventuriers ; sous les mêmes Lunes et à la même table, mélangés les uns aux autres, unis malgré nos différences et soudés par l'envie commune de terrasser le Mal.

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