Chapitre VI : Le Regard du Juste, Partie 4
J'étais désormais nerveusement en train d'essayer d'extirper l'espadon du sol du salon, de mon hôte ; et j'avais beau forcer autant que je le pouvais, l'arme était et restait encastrée dans son socle de roche. Je me sentais si bête et si gourde, comme si je n’avais pas pu juste attendre quelques instants sur le fauteuil. Je pensais à ma mission, et à la façon dont cet incident pouvait totalement la faire dégénérer. Qu’allait penser mes parents ? Comment allait réagir mon hôte ? Je paniquais davantage et persévérais pour essayer de déloger la lame de la pierre, mais rien n'y faisait, elle ne bougeait pas d'un pouce ; je retentais vainement une fois de plus, mais toujours sans résultat. Je stressais à l’idée de ne pas pouvoir réparer mon erreur, aussi intentais-je encore de déloger l’espadon du sol, mais pas le moindre bruit annonçait que j’étais en bonne voie.
Si ce n'est un éclat de rire, qui provenait de mon hôte, venant tout juste de revenir, les bras chargés d'un plateau de bois, sur lequel était disposé des chopes en acier, une cruche en argile et des bols dont je ne distinguais pas le contenu. Il déposait la collation sur la table basse qui prenait place face au foyer incandescent et me rejoignait.
« Je n'imaginais pas que vous alliez essayer de détruire mon ameublement. Pouffait mon hôte.
- Non... C'est que... Je bafouillais.
- Allez, vous vouliez juste passer vos nerfs, débiter mes meubles en bois de chauffage et refaire la décoration ? Me lançait-il le regard narquois.
- Ce n'est pas ça non... J’angoissais.
- Oh mais pourtant c'est bien le résultat, non ? C'est une habitude chez vous, c'est ça ? Vous êtes invitée quelque part et vous ruinez la décoration ?
- Mais, je... Je sentais les larmes me monter aux yeux.
- Oh mais je comprends, on est une envoyée spéciale donc on se permet tout.
- Arrêtez, je vous en supplie, je ne voulais pas...
- HAHAHAHA. Ne vous inquiétez pas, je vous charriais seulement.
- J'ai vraiment cru que...
- Allons, avez-vous vraiment cru que j'allais vous châtier ?
- Et bien... Cette mission est cruciale pour moi et je suis un peu nerveuse...
- Voyons, ce n'est qu'une dalle en pierre, et même si vous aviez fendu une chaise ou un coin de table, ce n'est pas pour un simple meuble en bois que je vous aurais blâmée !
- Je suis vraiment désolée, je pensais pouvoir la brandir mais...
- Mais elle est extrêmement lourde cette épée, je sais bien oui. Pourtant, je la trouve magnifique, malgré son manque de maniabilité, qui normalement caractérise toute bonne arme ; vous imaginez pourtant qu'en bon forgeron, une arme que l'on ne peut pas brandir n'est aucun d’intérêt. Et pourtant... Pourtant je l'ai exposée après l'avoir reforgée.
- Reforgée ? Comment cela ? M'étonnais-je que mon hôte n'en soit pas le concepteur.
- Et oui. Cet espadon je l'ai trouvé, brisé en trois morceaux. De la ferraille abandonnée me suis-je dit en la trouvant à l'époque. Malgré tout, j'ai quand même flanché pour la couleur de sa lame, sombre comme l'ébène et sa ligne parfaite.
- Comment l'avez-vous réparé cet espadon ? J'étais curieuse.
- Il n'y a pas milles solutions lorsqu'il s'agit de réparer une arme. Tout d'abord, il faut faire fondre du minerai, ensuite il faut chauffer à blanc les morceaux initiaux de l'arme, puis, verser le métal en fusion entre les parties brisées.
- C'est tout ? L'arme se recolle ensuite ?
- Oh que non. Il venait de partir chercher les chopes, les remplissant, revenait vers moi, m'en tendait une, sirotait une gorgée de la sienne, et reprenait. Une fois que les pièces colmatées entre elles par le métal ont un peu refroidi, il faut battre le fer au marteau, de sorte à bien mélanger le nouveau métal et l'ancien, afin d'être sûr que la fusion prenne bien, et que de ce fait, l'arme ne se brise pas par la suite. Il ne reste alors plus qu'à la tremper dans un bain d'eau froide, attendre qu'elle se solidifie et quelques jours après, elle à nouveau utilisable.
- C'est donc ainsi que vous avez procédé pour remettre cette épée en état ?
- Oui. Néanmoins... Cela ne s'est absolument pas passé comme prévu.
- C'est-à-dire ? Lui demandais-je très intéressée, tout en buvant à mon tour une lampée savoureuse de cette bière.
- Normalement, l'arme aurait dû être réparée. Seulement, au petit matin suivant la réparation, l'espadon que j'avais laissé à plat toute la nuit, était à nouveau morcelé, et exactement aux mêmes endroits que lorsque je l'avais trouvé. Le métal initial avait « rejeté » pour ainsi dire, l'ajout réparateur que j'avais appliqué la veille.
- Les deux métaux ne correspondaient pas ?
- Vous faites preuve d'une sacrée perspicacité. Me lançait-il en passant sa main dans sa barbe vieille de quelques jours seulement. En effet, c'était bien la cause de ce rejet. Néanmoins, il m'a fallu quatre essais supplémentaires pour m'en rendre compte. Je pensais au début que ma méthode ne convenait pas, aussi ai-je persévéré, j'ai essayé une nouvelle fois avec le même alliage, un mélange de fer et d'acier. Mais j'eus alors le même résultat que la première fois, aussi me suis-je dit qu'il fallait que je retente ce procédé avec un autre mélange. J'ai donc fait fondre du cuivre avec de l'étain, l'arme se brisa à nouveau, je me suis penché ensuite sur du zinc et de l'or noirci à la poudre de charbon, mais à nouveau, le matin, l'arme gisait sur mon établi, en trois parts.
- Qu'avez-vous donc utilisé pour finalement réussir ? Le questionnais-je, captivée par ce récit et par son dénouement.
- Te souviens-tu de cette nuit, où plusieurs comètes se sont écrasées sur Mithreïlid ?
- Pas que je sache non, je n'étais pas encore née.
- Bon et bien, je te raconte. Une de ces comètes s'est crashée à quelques heures de marche d'ici, bien que je ne susse pas exactement où, je suis parti à la recherche de ce morceau de roche céleste. L’événement remontait déjà à une vingtaine de cycles, aussi quelqu'un avait peut-être déjà été aller ramasser ce caillou de l'espace, il s'avéra que non. Après avoir passé plusieurs heures à errer, le nez pointé vers le sol, je trouvais enfin la météorite, enfoncée dans la terre. Je sortais alors une piochette à main et commençais donc à ébrécher la solide pierre.
Il me fallut plusieurs heures avant d'extraire une quantité nécessaire à la réparation, de cette matière que je ne connaissais pas encore, et qu'elle ne fut pas ma surprise. Le petit bloc que je venais de récupérer était tellement lourd, que les quelques heures de marche qui me ramenaient jusqu'ici avaient été une corvée sans nom. Pourtant, j'en avais déjà trimballé énormément des métaux de tous types entre la mine et ma forge, mais jamais un qui pour une si petite quantité pesait un tel poids, et je n'étais pas encore au bout de ma peine. Caractérisé par sa densité si élevée, le métal mit plusieurs jours à fondre ; je n'avais jamais vu ça, une si petite pierre, dévora presque l'équivalent d'un arbre entier pour arriver à son état liquide.
Aussi, décidais-je d'enduire la lame entière du métal en fusion, laissant l'espadon dans un moule dont seule la garde dépassait et de ne pas donner un seul coup de marteau dessus. Après tout, entre la collecte du minerai, le retour jusqu'ici et le temps de fonte, je me disais qu'il valait mieux que je prenne mon temps. Aussi l'espadon attendit plusieurs jours dans son moule, sans même que je ne surveille son état, ni ne le regarde. Ce n'est que quelques jours plus tard, que je me décidais à briser le moule, et voir si la réparation avait opéré. Je vous avoue que je m'attendais presque à découvrir l'arme, une fois de plus, morcelée en trois parties.
Mais non. Sans que je n’aie à le marteler, ou à le façonner, l'espadon était à nouveau assemblé, sa ligne était telle qu'elle est désormais, parfaite. Encore une fois, je n'avais rien fait pour la modeler ou lui donner son aspect bien linéaire, je n'ai pas non plus utilisé de meule pour affiner le plat de sa lame, d'elle-même, l'arme a repris ce qui devait être son aspect initial. Seul bémol...
- Son poids. Si j'ai bien suivi.
- Tout à fait, vous vous doutez sûrement pourquoi, j'imagine.
- Parce qu'elle est constituée du minerai de la météorite, et qu'il est extrêmement lourd ?
- - Tout à fait, une fois de plus. Dîtes moi Mademoiselle, si un jour vous souhaitez vous reconvertir en forgeronne, faites-moi signe. Vous semblez avoir tout compris à la subtilité du métal, je me ferais une joie de vous enseigner cet art. Aussi, cette arme est peut-être la seule de son type, façonnée et forgée à partir du métal spatial. C'est pour cela que je la conserve ici, elle me permet de me rappeler que l'inconnu existe même dans un domaine que l'on pensait jusqu'alors maîtriser et connaître sur le bout des doigts.
- C'est incroyable en effet. Vous n'avez donc jamais entendu parler auparavant du minerai qui compose la météorite ?
- Hé non. Je me suis pourtant intéressé de plus près par la suite aux minerais « rares », aussi me suis-je dit qu'il pouvait s'agir d'obsidienne, qui est issue du mélange de plusieurs types de roche, qui elles-mêmes sont fondues et recrachées par les volcans. Il suffit qu'un peu d'eau se mélange à cette lave composée de plusieurs roches, et l’on obtient alors de l'obsidienne.
- Vous en avez conclu cela ?
- Au début oui, mais il n'y pas d'autre façon de tester un métal, que de le frapper avec lui-même.
- C'est-à-dire ? Lui demandais-je.
- J'ai alors commandé un bloc d'obsidienne, une fois l'avoir reçu, et incapable de le déplacer, je l'ai frappé à l'aide de l'espadon à même la charrette. Il n'y avait pas milles résultats possibles une fois encore. Soit la lame ricochait au contact, et j'avais la même matière dans les mains et sous les yeux, ou la lame se brisait et j'avais alors dans les mains un minerai moins résistant que de l'obsidienne, ou alors...
- Alors quoi ? M'impatientais-je.
- Ou alors, la lame traversait l'obsidienne et la charrette, et j'avais dans les mains une arme forgée à partir d'un minerai incroyablement solide et tranchant, et une charrette à repayer.
- C'est la troisième option qui s'est présentée à vous, c'est ça ?
- Cela même. Me répondait-il comme gêné.
- Hahaha, je comprends mieux pourquoi vous m'avez sermonnée à propos du mobilier cassé tout à l'heure. Riais-je aux éclats. Vous savez reconnaître les destructeurs en étant vous-même un !
- Comme quoi, vous avez réussi à arroser l'arroseur. Me rejoignait-il dans mon fou rire.
- Quelle histoire, je comprends que vous gardiez précieusement cette arme. Lâchais-je en la contemplant, plantée la tête vers le bas.
- Oui et pourtant, je vous le répète, elle est aussi exceptionnelle que sans valeur. Les armes sont utilisées pour se battre, celle-ci, avant que vous n'ayez eu le temps de la soulever au-dessus de votre tête, vous avez eu le temps de vous faire embrocher dix fois. Et encore... Je suppose donc que c'est sentimental, cette raison que je veuille la garder, parfaite et si imparfaite à la fois. Incroyable et inutile à la fois. Sublime mais inaccessible... Il perdait son regard sur l'arme plantée dans le sol.
- C'en est même philosophique ! Le rejoignais-je dans son élucubration. Il n'empêche que sans avoir une telle histoire en commun avec cet espadon, il m'a immédiatement appelé. Enfin, interpellé voulais-je dire. Me reprenais-je.
- C'est d'ailleurs cela qui vous a amené à découper une de mes dalles de pierre !
- Mais... !
- Allons, allons. Je plaisante toujours. Je viens de me rappeler par ailleurs que vous tombez très bien, car un peu plus tard, le chef du troisième village que vous deviez visiter et censé m'apporter du minerai en échange de quelques épées et armures que j'ai forgé, vous aurez ainsi la possibilité de le rencontrer, car si je ne me trompe pas, vous aviez aussi pour mission d'entendre son avis, n'est-ce-pas ?
- Tout à fait oui, mais... Je ne comprenais pas tout.
- Mais quoi ? M'interrogeait-il.
- Je croyais que vous étiez en pleine discorde avec vos voisins ?
- Avec ce bon Ferdinand ? HAHA. Jamais de la vie, nous nous connaissons depuis que nous sommes mioches, nous avons grandi ensemble et ensuite ses parents sont partis dans le village voisin car son père était mineur, et cela lui permettait de passer moins de temps sur les chemins. Quelle ne fut pas notre surprise de nous rendre compte que nous avions tous deux finis par devenir chefs de village par la suite. Non, il n'y a que ce comte, baron, ou je-ne-sais-comment veut-il qu'on l'appelle, qui est exaspéré par notre présence autour de cette montagne.
- Ah... Soupirais-je, en train de comprendre d'où provenait la requête soumise à mes propres parents, ou tout du moins qui en était le réel commissionnaire. Donc cela tombe très bien en effet, nous pourrons ainsi converser.
- D'ici là, cependant, je vous invite à vous restaurer avec moi au coin du feu, vous avez l'air un peu fatiguée.
- En effet, ce voyage n'est pas de tout repos. Cela me gêne cependant pour mes hommes.
- Ne vous inquiétez pas, la taverne est adjacente aux écuries, et j'avais laissé des instructions au cas où vous arriviez et que je ne sois pas là. Ils doivent déjà être en train de manger et boire à volonté avec les villageois.
- Je vous remercie pour un tel accueil en tout cas. »
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