Chapitre XII : Celle qui était à sang pour cent, Partie 2
Dans le « parc » trônait un vieil arbre, mort depuis de longues années sûrement, mais dont la hauteur dépassait celle du bâtiment délabré, et dont la largeur devait être d'au moins deux mètres, soit presque la taille exacte de la lame que maniait alors la fille. Lyore se mit face au tronc massif, s'arqua en prenant la position avec laquelle elle pourrait développer le plus de force. Un pied en avant bien droit, un autre derrière à l'horizontale, les hanches bloquées, les épaules souples et les bras tendus en arrière, le regard farouchement planté dans l'écorce, la gamine frappa, mais l'arme rebondit contre la peau solide du feuillu. Elle ne changea pas de position, et se dit qu'elle avait peut-être manqué de conviction.
Lyore ramena l'espadon sur son flanc, serra plus fort l'étreinte de ses doigts autour du pommeau, inspira tout en fixant cette fois-ci ses pieds, puis elle releva le visage, expira calmement, puis tout en lançant son mouvement pour taillader le tronc, hurla de tous ses poumons. La lame, découpa l'arbre dans son diamètre sans se bloquer dans les nervures boisées, aussi, le géant mort, se mit à craquer, le poids des branches supérieures entraîna le feuillu à l'opposé de Lyore, qui s'était quand même reculée de quelques pas afin de ne pas se faire aplatir.
La chute lente fut accompagnée du bruissement des rameaux et ramilles se détachant, et des déchirements des branches plus épaisses qui se brisaient au contact des arbres avoisinants ; puis un bruit sourd et un léger tremblement de sol marquèrent l'arrivée sur la terre du tronc gigantesque.
La gamine fut pétrifiée quelques instants par l'extase et la jouissance que lui procuraient cet acte. Si elle pouvait venir à bout d'un arbre de cette taille en un coup, elle pourrait sans aucun doute lutter contre n'importe quel humain s'opposant à elle. Libérée de cette étourderie passagère, elle se dit qu'il ne lui fallait quand même pas traîner ici, car il était sûr que les bandits du lieu allaient rapidement s'attrouper, surpris et attirés par le grondement terrible qui venait de retentir.
Tandis qu'elle tournait le dos au chêne géant qui venait de s'effondrer, Lyore essayait quand même de comprendre comment ses armes qui, faites de sang, se liquéfiant selon ses désirs, pouvaient néanmoins devenir assez solides et tranchantes pour parvenir à découper sans accroc une telle épaisseur de bois, sans qu'elles n'éclatent et se transforment en une bouillie écarlate. Elle devait savoir si cela avait déjà existé, si quelqu'un avait déjà accompli cet exploit. Bien que cette idée lui paraissait être l'une des meilleures qu'elle ait pu avoir dans sa vie, elle se heurtait à un délicat problème.
Alors qu'elle contemplait le creux de ses mains entaillées quelques instants auparavant, elle constatait que ces dernières avaient déjà cicatrisé, et pendant qu'elle songeait à cela, elle ne cessait de se dire « Mais je ne sais pas parler, ni lire, comment vais- je faire ? », en effet, il n'était pas pour coutume aux gredins de l'orphelinat de donner des cours aux mômes qui se retrouvaient abandonnés ou kidnappés dans ce lieu morbide. Selon le boss : « moins en sait, mieux on se porte » ; mais cela ne cachait qu'une triste vérité : sans éducation, on peut faire de vous ce que l'on veut, et surtout vous manipuler. La gamine l'avait bien compris, et si certains des autres enfants avaient appris à communiquer à l'oral, ils avaient sûrement pratiqué entre eux, faisant croître cette capacité en puisant dans des dérivés de jurons, mots qui étaient bien entendu, les plus courants ici.
Cependant, Lyore ne supportait le contact des autres - et inversement - que lorsqu'elle y était contrainte, c'est-à-dire, aux moments des repas et dans le dortoir. Il faut dire que si la plupart des garnements élevés à devenir de futurs bandits avaient tout de même de longue période de calme entre les larcins pour lesquels on les employait, la fillette, elle n'avait que peu d'instant dont elle pouvait disposer à sa guise, et elle les passait surtout à dormir, épuisée par ses entraînements ou alors, à bronzer sur la paillasse d'herbe sèche qu'était la pelouse du parc.
Elle se disait qu'elle pourrait sûrement voler un livre - déjà volé auparavant - dans la bibliothèque du pensionnat, et trouver quelqu'un qui lui apprendrait les rudiments de la lecture. Alors qu'elle quittait l'espace vert jauni, et qu'elle franchissait les portes, pour atterrir dans le hall de l'orphelinat, elle croisait un peloton se dépêchant d'aller voir qu'est-ce qui avait pu provoquer un tel vacarme.
La bibliothèque s'atteignait par une des portes dudit hall, dont la poignée et les charnières grincèrent lorsque Lyore la poussa. Cet espace de la bâtisse devait être le moins fréquenté : les fenêtres étaient brisées par endroit, les quelques tables disposées en vrac étaient recouvertes d'une épaisse couche de poussière, la même qui d'ailleurs, tapissait le sol en pierre. Les attaches de certains des volets devaient être détruites.
Ce faisant car les obstructions boisées voilaient en grande partie la lumière du jour, et donnait à la pièce une atmosphère brumeuse, si bien sûr vous remplaciez les gouttes d'eau en suspension par d'innombrables fibres et microscopiques débris flottant dans l'air, que les quelques rayons de soleil parvenant à s'engouffrer dans le local délaissé, permettaient d'apercevoir très clairement.
Lyore se hâta de se rapprocher des étagères guindées de livres, certains méticuleusement déposés et rangés, d'autres empilés en désordre, certains devaient y être depuis de nombreuses années car ils ne faisaient désormais plus qu'un avec les miasmes gris. L'enfant chercha donc des ouvrages qui n'étaient pas encore dissimulés par la poussière, elle en saisit plusieurs, et se rappelant qu'elle ne pouvait pas en lire les titres, elle en choisit un à la couverture rouge.
Elle reposa n'importe comment les autres, et ressortit aussi vite qu'elle était entrée. En ce qui concernait son tuteur, elle savait que le boss lisait, mais pour rien au monde elle ne souhaitait passer plus de temps avec lui, même si c'était pour apprendre à lire, elle réfléchit quelques instants. Aller en ville pour demander à un passant quelconque de lui apprendre aurait été trop dangereux, il lui restait néanmoins une solution. Elle se dirigea donc vers les escaliers et les gravit jusqu'à atteindre le deuxième étage : l'étage rouge, comme disaient souvent les clients qui y allaient.
Si le reste du bâtiment était morne et délabré, cet étage là semblait être entretenu avec un soin très particulier et l'ameublement était à la fois resplendissant et de bon goût. Tous les paliers de l'orphelinat étaient aménagés de façon à ce que les pièces et l'espace des escaliers soient séparés, cela par des portes vitrées, dans le cas du troisième niveau, les carreaux vitrés étaient masqués par d'opaques rideaux écarlates, confectionnés dans un velours légèrement brillant. Si Lyore avait bien retenu une chose, c'est que cet espace était formellement interdit aux enfants, cependant elle n'avait pas réellement le choix, aussi pénétra-t-elle dans ce local interdit.
Aussitôt la porte refermée derrière elle et le rideau tiré, s'offrait à ses yeux un spectacle plutôt particulier : le premier vestibule dans lequel elle se trouvait était jonché de divans et canapés qui semblaient tous plus confortables les uns que les autres, les murs étaient pour la plupart masqués par des paravents sur lesquels étaient perchés des vêtements de femmes, des habits d'hommes, ou de la lingerie plus ou moins sophistiquée. L'atmosphère était constituée d'un mélange d'odeurs qui dégoutèrent très vite Lyore : la sueur et le parfum se confondaient pour ne former qu'une fragrance forte à la fois écœurante et délicieuse.
Le salon était vide à ce moment-là, aussi la gamine explora plus scrupuleusement le lieu où elle se trouvait. Les meubles étaient tous en bois brut, dont la surface luisait, la plupart étaient garnis de chandeliers, bougies, paniers de fruits et des récipients transparents dont les divers contenus étaient de différentes couleurs. L'enfant tourna sur elle-même puis décida de s'asseoir sur l'un des énormes sièges molletonnés où elle crut se faire absorber par les coussins moelleux à souhait. Une porte s'ouvrit derrière elle et elle entendit des pas se rapprocher. Une voix douce et à la fois chaude lui parvint aux oreilles :
« Alors bel homme, que puis- je faire pour assouvir vos désirs, peut-être souhaitez vous que ma bouche s'entretienne avec votre sexe, peut-être désirez vous sucer le mien ? Les pas se rapprochaient toujours, et semblaient contournés le fauteuil dans lequel était avachie Lyore. Comment voudrais-tu que je sois avec toi ? Farouche ? La femme grogna. Ou alors mielleuse ? Lança-t-elle avant de pousser un drôle de gémissement. Dis-moi tout je suis à t... OUAAAH ! La femme, brune et svelte, qui était nue de la tête aux pieds, la peau brillante, venait de faire enfin face à la jeune fille. Mais qu'est-ce que tu fais là toi ?
Bien entendu, la gamine ne répondit rien, incapable de prononcer un traître mot, aussi après avoir regardé avec insistance son interlocutrice de bas en haut, elle se contenta juste de maintenir le regard courroucé de la femme dénudée.
- Je t'ai parlé la morveuse, qu'est-ce que tu viens faire ici ? Grommelait-elle.
Une fois encore, Lyore resta muette, mais tendit le bouquin écarlate qu'elle cramponnait en direction de l'hôtesse.
- Tu m'as prise pour un chevalet ? J'ai une tête à faire nourrice ? S'indigna-t-elle.
Lyore leva les yeux au ciel, puis elle pointa d'un doigt la femme, puis elle montra le livre, puis elle se désigna elle-même.
- Mais attends... Tu ne sais pas parler ? Demanda-t-elle d'un ton presque immédiatement apaisé.
Lyore lui répondit en remuant la tête de gauche à droite.
- Tu me comprends, au moins ?
Cette fois-ci la gamine hocha la tête de bas en haut.
- Et donc quoi, tu voudrais que je t'apprenne à lire ?
Lyore se contenta de lui sourire.
- C'est bien beau tout ça, mais si tu ne parles pas, comment- vas- tu faire pour lire ? Je vais devoir lire pour toi, c'est ça ?
La gamine lui tendit des deux mains le bouquin, et ne fit pas un geste de plus.
- Écoute... Elle avait l'air un peu gêné désormais. En soi, cela ne me dérangerait pas, mais tu sais mon métier c'est... Elle se tut. Enfin, je dois... Elle laissa à nouveau échapper un blanc. Ce n'est pas simple à...
Lyore se leva et posa alors sa main sur le ventre creux, chaud et huilé de la fille, elle lâcha des yeux la poitrine rebondie qui lui faisait face, leva son visage et cligna des yeux en direction des perles ocres de la femme embarrassée.
- Tu sais donc ce que je fais de mes journées et mes nuits ? Voulut-elle clarifier.
Lyore une fois de plus, hocha la tête, sans feindre un traître ressenti qu'il soit positif ou négatif.
- Cela fait au moins quelque chose de moins à expliquer. Elle dut se sentir un peu soulagée. Je ne suis pas contre en soi, mais... On me paye pour faire ce que je fais, alors, si je ne le fais plus, je n'ai plus d'argent tu comprends ?
Lyore leva son index, et farfouilla à sa ceinture. Bien entendu que quand on excelle au larcin comme elle, il suffit d'être un peu malin, et il est facile de garder quelques pièces pour soi. Aussi l'enfant tira une bourse en cuir, volée - cela va de soi - et la donna, sans même en extraire quelques pièces, toute entière à la femme.
- Mais il y a beaucoup de pièces, là. Trop même, comment vas-tu faire sans ça toi ? Dit-elle d'un ton compatissant, en ramenant la petite besace vers la fille.
La gamine, à vrai dire, n'en avait pas grand chose à faire, de l'argent elle savait comment en avoir rapidement, s'il s'avérait qu'un jour il lui en aurait absolument fallu, elle aurait pu aisément en dérober à un des bandits de l'orphelinat qui ne l'aurait sûrement même pas remarqué. Aussi elle repoussa les mains douces de la femme, et se rassit, comme si maintenant, elles allaient commencer.
- Bon... Ça me va, après tout, avec une telle somme, je peux me passer de ce travail pour quelques semaines, et ça ne me fera pas de mal. Par contre... Je n'aimerais pas qu'on nous voit ici toutes les deux, alors tu vas me suivre, d'accord ?
Lyore se leva de suite, ôta la capuche qu'elle avait gardé. Ou.. Ou... Oui. Ce mot même simple était un enfer à prononcer pour la fille, mais cela fit naître un minuscule sourire au coin des lèvres de sa nouvelle tutrice.
- Bon alors, suis-moi. Suis-moi, euh... Et ton nom, tu sais le dire ?
L'enfant resta de marbre, elle tritura le bas de son habit, puis répondit d'un non de la tête, les yeux un peu vitreux.
- Ne t'en fais pas. L'hôtesse se pressait d'aller vers une porte entrouverte, faisant signe à Lyore de la suivre. Nous allons commencer par ça. »
La petite fille rejoint sa perceptrice dénudée, qui ferma derrière elle, la gamine curieuse, esquiva le lit épais qui prenait presque les trois quart de la pièce, et se dirigea vers un des meubles sur lequel était entreposé des godemichets en bois poli et verni ou en pierre polie. La forme bien que très arrondie en son bout, était d'une ligne et d'une taille assez semblable à un petit gourdin, elle interpella alors la femme qui venait d'enfiler une robe de chambre aussi transparente que raffinée, et tapota du doigt l'un des objets sexuels, sortit sa dague et interrogea du regard son hôtesse.
« Oula non. Ce n'est pas du tout une arme c'est... Elle croisa le regard en attente d'une réponse de l'enfant. C'est... Hmmmm. Il vaut mieux que je sois franche avec toi, je suppose ?
Lyore fit signe de ne pas vouloir spécialement savoir, mais elle n'en pensait pas moins.
- C'est un objet sexuel vois-tu que l'on s'introduit... Elle recroisa une nouvelle fois les yeux remplis de curiosité de la gamine. Que l'on s'introduit ici. Elle lui désigna son vagin, suscitant immédiatement l'incompréhension de Lyore. Tu comprendras plus tard, on peut faire plein de choses avec son corps, mais là n'est pas la question, tu es bien venue pour lire c'est ça ?
La muette se focalisa de suite, et acquiesça.
- Pour commencer, je vais lire des mots, et si tu entends un son qui ressemble aux lettres de ton prénom tu m'arrêtes, d'accord.
Lyore qui venait de s'affaler sur le lit duveteux hocha la tête.
- Alors. Elle s'étendit à côté de la gamine et ouvrit le bouquin à sa première page, puis elle posa son index face aux mots, de sorte à ce que pendant qu'elle lise, l'enfant puisse voir les lettres. « Ici démarre le »
La gamine l'interrompit.
- L donc, c'est ça ?
Lyore acquiesça et montra du doigt le premier mot.
- Un I ? Tu sais qu'il y a deux lettres qui donnent ce son. Elle chercha rapidement des yeux un Y puis le désigna. Le i et le y ont la même prononciation, lequel tu préfères ?
Lyore montra le Y.
- D'accord, je continue. « Ici démarre le destin d'un fou, qui voulait devenir roi et posséder un royaume aux... »
La fillette stoppa une fois encore la lectrice.
- Ces trois lettres se prononcent O, c'est étrange mais c'est comme ça, je poursuis. Elle allait recommencer à lire, mais Lyore montra le début du mot précédent. Un R ? Ton prénom commence par Lyor c'est ça ?
L'enfant hocha la tête puis, fit signe que c'était fini.
- Juste Lyor ? Ca fait un peu court, que dis-tu qu'on y ajoute cette lettre là ? La femme montrait à l'élève attentive la lettre E. Elle ne rajoute pas vraiment de son, mais au moins, ça fait moins bref, cela te va ?
Lyore sourit, contente de savoir quelles lettres composés son prénom.
- Mais tu aurais pu apprendre à le dire toute seule, ou alors c'était trop compliqué ?
Lyore affirma.
- Nous pouvons essayer regarde, en décortiquant ton prénom, regarde comment fait ma bouche : Ly, ly - la femme pinçait ses lèvres et avait l'impression de sourire. Lyo, Lyo - elle faisait un rond du bout de la bouche- , Lyor, lyorrrrrr - la gamine avait l'impression que la préceptrice se raclait la gorge - , Lyore. Tu adoucis le R avec le E. Tout cela semblait très abstrait expliqué ainsi, mais la fille voulait imiter ce qu'avait fait sa préceptrice avec la bouche.
- Lyo, Lyrrr, Lyorrrr, Lyore.
- Oui ! Tu as réussi ! Tu réessayes de le dire ?
- Lyore ? Lançait calmement la gamine de crainte de faire une erreur.
- Tu es trop forte en fait ! Toi c'est Lyore, moi c'est Mylteïne. Enchantée demoiselle."
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