Chapitre XXXIX : La reconquête de Teysandrul, Partie 4

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 Quelques pas plus loin, un document allait répondre à ma précédente interrogation. Il s'agissait d'une déclaration de guerre, ou plutôt d'une lettre de menace qui, à l'inverse de la missive rédigée par Hul, dépeignait Teïnelyore comme une usurpatrice au statut de Déesse, allant même jusqu'à nier son immortalité et sa quasi invincibilité.  

 L'auteure de ladite missive, avançait être la seule personne méritant de posséder de la vie éternelle, tandis que ses mots, empreints d’une rare obscurité, n’en demeuraient pas moins clairs : si Teïnelyore ne se rendait pas sans .
délai et n'offrait pas sa cité, la guerre totale éclaterait au sein de Mithreïlid. Quiconque défendrait l’Usurpatrice, serait considéré comme un ennemi, dont la sanction serait immédiate. Ce torchon d'insanités dont j’avais édulcoré les détails sordides, était signé d'un nom qui ne m'était plus inconnu, et dont nous allions confronter l’immonde progéniture... Hérylisandre.

 Apparaissait donc le fin mot de l'histoire. Quelle Déesse de la Justice pouvait tenir un tel discours ? Quelle divinité pouvait aller jusqu'à massacrer des innocents, afin de s'affirmer comme maître de ce grand tout qu'était Mithreïlid. Certainement pas quelqu'un censé représenter la Justice, pensais-je. Cependant, si toutes ces pièces appartenant au passé de Gnas, ou Teïnelyore, se retrouvaient entassés secrètement dans la même pièce, c'est sûrement qu’à l'époque, déjà notre sanguinaire compagne se doutait qu'il allait lui arriver quelque chose. Peut-être avait-elle pressenti le besoin de laisser derrière elle des souvenirs, afin de ne pas oublier qui elle était, comme si revoir tous ces éléments allait faire renaître sa mémoire.

 Savait-elle qu'elle reviendrait ici instinctivement ? Savait-elle qu'elle allait perdre cet ultime combat, ou qu’elle allait disparaître ? Je me posais toutes ces questions, tandis que Gnas, elle, venait sûrement de se perdre dans ses pensées, alors qu'elle se retrouvait face à une tenue exhibée sur un portant, sur laquelle elle laissait mollement courir ses doigts. Je la rejoignais.

 « Était-ce ton ancienne tunique de combat ?

– Je crois bien, oui, enfin, les couleurs me plaisent énormément. Elle soulevait les pans ocres et écarlates de tissu, pressait le textile, poussait un soupir. Je n'étais pas faite pour être reine je pense. Ce que je voulais, c'était chasser le Mal définitivement de Mithreïlid. Pourtant... Elle jetait un coup d’œil rapide aux pupitres, mais sans s'en approcher. Pourtant je n'ai fait que l’inverse de ma volonté. J’ai créé la plus grande guerre et le plus grand massacre que Mithreïlid ait connus. Des peuples se sont éteints, beaucoup d’innocents sont morts, alors que moi, je roupillais au fond d'un Temple...

– Tu n'y es pour rien Gnas. Tu n'es pas la responsable de ce carnage. Venait de glisser Evi' en se plaçant derrière elle, et en l'englobant de ses bras. Celles qui sont à l'origine de tout ça, ce sont Hérylisandre et Irasandre. Elle semblait dédaigneuse. Si toutes deux n'avaient pas été tant obsédées par leur soif d'immortalité, personne n'aurait sûrement péri.

– Puis, regarde ce que tu as fait Teï'... Euh Gnas. Me reprenais-je. Tu as sauvé tellement de vies, tant durant ta première vie, que maintenant. Même nous deux, alors que tu étais notre prisonnière, tu nous as sortis d'un sacré pétrin. Alors certes... Parfois tu as des coups de sang... Divins, voilà ! Mais ton fond est bon. Tu ne peux pas en douter, autant que je n'en doute pas une seule seconde. Je suis certain qu’il en est de même pour Evialg.

– C'est vrai ce qu'il dit. Sans toi, je serais morte sur un chemin au milieu de nulle part, dans une forêt sous les coups d'un chat géant... Je serais devenue folle, perdue dans mes hallucinations, si tu ne m'avais pas retrouvée sur la plage. J'ai moi aussi toutes mes raisons de croire que tu n'es pas un monstre. Puis même si c'était le cas... Evialg relâchait son étreinte autour de Gnas, et amenait ses mains contre sa propre poitrine. Tu serais mon monstre à moi, et je ferais tout ce que je peux pour t'empêcher de devenir ce que tes détracteurs voulaient que tu sois. Dès que je pense à toi, j'ai le ventre qui chauffe et le cœur qui s'emballe. Gnas ou Teïnelyore, qui que tu sois, je t'aime. Jamais je ne te laisserai croire que tu représentes la face diabolique de Mithreïlid.

– C'est le moment où je ferme les yeux, c'est ça ? Gloussais-je.

– Tu ferais mieux de fermer ton bec, le demi-oiseau. Venait de se retourner Gnas, enlaçant Evialg contre elle. Je suis si contente que vous me souteniez, même si j'ai sûrement voyagé avec d'autres personnes auparavant, je suis certaine que personne ne pourrait rêver avoir meilleure compagnie que la vôtre. Elle lâchait d'un bras Evi' et m'empoignait fermement, jusqu'à ce que je me retrouve entre les deux femmes. J'aurais sûrement erré une éternité de plus, sans même avoir une chance de savoir qui j'étais vraiment sans que nous nous rencontrions. En quelque sorte, je vous dois mon présent, mon avenir et même mon passé. »

 Elle embrassait langoureusement Evialg. Tandis que moi, je me retrouvais blotti par une intense chaleur, ma tête écrasée de part et d'autre par les poitrines des deux femmes. Comment aurais-je pu un jour vivre ça, en continuant simplement de cueillir des plantes et d'écrire dans mon carnet. Ou alors si ce n'est en m'aventurant dans une maison close ? Et encore, rien n'aurait été pareil, je n'aurais jamais ressenti ni même pu parler d'authenticité.

 À force de chercher le chemin pour lequel on est potentiellement destiné, on finit par se chercher tout court. Puis lorsqu’on finit par essayer de trouver une raison d'être, et que cette quête perdure, on finit tout bêtement par se perdre, soi-même. Néanmoins, et sans que cela soit évident, déjà la première fois où je pataugeais dans les tripes de Gnas, je sentais que j'avais trouvé ma voie. Je n'étais pas et je ne suis toujours pas habile au combat, mais cela n'importe pas. Nous sommes une équipe, et de notre hétéroclisme allait naître une nouvelle ère. Je m'extirpais de la tendre étreinte.

 « Bon, ça va vous sembler bizarre, surtout venant de moi mais... Toutes deux me scrutaient. Mais, je crois qu'il y a une usurpatrice en ville, qui attend sagement dans sa tour, et qu'elle a des comptes à rendre. Il serait grand temps, et sûrement de bon ton, de lui faire sauter quelques chicots. Qu’en pensez-vous ? Je n'avais alors comme réponse que deux rires espiègles mélangés.

– Ça, c'est une sage parole ! Puis, si en plus, tu nous en donnes l'autorisation, cela va être grandiose. Ça va gicler dans les chaumières ! Je vais leur montrer ce qu'il en coûte de voler une cité entière. S'échauffait Gnas.

– Et comment ! Tu ne seras pas derrière nous en train de te plaindre, parce que ces derniers temps, à chaque fois que je lève mon arme, j'ai l'impression de te sentir te plaindre dans mon dos. Mais là, une bénédiction de cette envergure, on ne va pas s'en plaindre, pas vrai Teïnelyore ? Riait Evi'.

– Ohlala, il va falloir que je m'y fasse à ça. Semblait perdue Gnas. Il faudra y aller progressivement, hein.

– Je plaisantais. Roucoulait Evialg. Si tu ne veux pas que je t'appelle comme ça, je ne le ferais pas ! Mais quand même Teïnelyore... Ça fait bien plus noble que Gnas ! Bon allez, tu te décides à l'enfiler cette superbe tunique ?! Elle est tellement belle... Elle tendait sa main pour la toucher, mais recevait comme une décharge. Hé ! Ton vêtement m'agresse !

– Bah alors Evi' ? J'ai vu Gnas la tripoter il n'y a pas deux minutes. Tu as fait quelque chose en particulier ? J'allais à mon tour poser mes doigts sur l’habit, mais ressentais moi aussi une brûlure immédiate. Bon, à croire que seule toi peut l'enfiler. Je partage cependant l'avis d'Evi', mets-la, mets-la !

– Bon d'accord. Mais vous vous retournez, enfin, juste toi Tne'. Parce que toi, tu peux regarder Evi'. »


 Je tournais le dos aux filles, un fracas provenait du Masamune percutant le sol, j'entendais les vêtements glisser puis la cuirasse cloutée heurter à leur tour les dalles de la pièce, je constatais aux bruits spongieux venant de derrière moi, que la séance d'habillage tournait aux bécotages ; je me raclais la gorge et de ce fait déclenchait les rires des deux tourterelles. Le bruissement du textile sillonnait l'air.


 « Waouh ! Mais tu brilles ! Lâchait Evialg, m'amenant à me retourner avec sursaut.

– Ah bon ? Demandait Gnas en étendant les bras et en tournant sur elle-même. Je ne sais pas, je ne vois rien.

– Non, elle a raison, tu brilles vraiment Gnas. Et si tu brandis Masamune en même temps ? L'interrogeais-je.

– Je ne vois toujours pas ce que ça changerait mais bon... Allons-y. »


 Elle empoignait son sabre, et l'éclat iridescent qui émanait d'elle, s'amplifiait immédiatement. J'avais pourtant bien observé le vêtement quand il était sur son valet : c'était certes, une tunique de superbe facture, mais aucune lumière, ni scintillement n'en provenaient. Je faisais soudainement le lien entre Masamune, qui ne pouvait ni être soulevé ni brandi par qui que ce soit, et cette tenue que nous n'avions pas pu même effleurer.


 « En fait, ton sabre et ton habit sont pareils...

– Bah non... Mon sabre il est fait de métal et ma tenue de tissu... Tu le fais vraiment exprès parfois, hein.

– Mais non. Je me donnais une tape sur le front. Tous les deux sont des artefacts de guerre, enfin, plus précisément, TES artefacts de guerre.

– Ce mot vous n'arrêtez pas de le dire, je ne sais même plus ce qu'il veut dire. Maugréait-elle.

– Hmmmm. Je dirais que ce sont des objets enchantés, dans ton cas, ils sont liés à toi. Susurrait Evialg. Durant ta première vie, tu as dû les gorger de ton essence et de ta magie, du coup maintenant, seule toi peut porter cette magnifique tunique, il faut dire ce qu'il en est... et il en est de même pour ton arme, tu es la seule à pouvoir la manier.

– Ah... C'est bien plus clair comme ça. Parce qu’Artefact… C’est dur de deviner qu’il s’agisse d’un objet magique.

– Je te jure... Divinité peut-être, mais instruite c'est autre chose, hein. Pouffais-je. Tu les as vraiment lus tous tes livres ? Continuais-je de la charrier.

– Oh toi... Si je ne te supportais pas un peu, je t'aurais fait goûter à mon crâne divin, hein. Bon, ce n'est pas tout ça. Mais Mithreïlid est en guerre et Irasandre doit toujours être en train de glousser en haut de MA tour. Allons lui montrer ce qu'on a dans le ventre ! »

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