Chapitre XXXV : Danser dans les ténèbres, Partie 3

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« Tu n'as pas à me craindre, Hérylisandre. M'interpelait alors une voix féminine.

— Que ? Quoi ?!

— Je ne suis pas ton ennemie. Bien au contraire.

— Par-Pardon ?

— Je ne voulais pas t'effrayer. Mais je n'avais pas d'autre choix que de t'immobiliser, je sais que tu as une phobie très prononcée pour les serpents, et pourtant, je demeurerai à jamais ton Léviathan, je suis là pour t’aider.

— C'est d'autant plus une raison pour moi de me méfier, bien que tu sois sensée m’aider.

Sauf que je sais aussi quel est ton don. Je sais que tu peux lire dans les pensées de n’importe qui. Un pouvoir très puissant, mais dont tu as déjà souffert.

— Comment peux-tu savoir ça ? J'ai toujours fait attention à ne pas le révéler aux Mithreïlidiens, seule Teïnelyore l’a compris, mais je ne pouvais pas résister à ses songes, ils m’ont bien trop attisée. Je ne comprends rien. Peut-être étais-je encore en train d'halluciner.

— Non, la psilocybine ne fait plus effet, enfin, disons plutôt que tu t'es débarrassée de son emprise.

— De quoi parles-tu ?

— Du composant chimique qui se trouvait dans les spores du champignon que tu as inhalé, et qui te faisait jusqu’alors avoir des hallucinations.

— Si tu le dis... Mais cela ne m'explique ni pourquoi tu parles, ni comment tu as fait pour savoir que j'étais capable d'entendre les songes.

— Parce que nous sommes sœurs, Hérylisandre. Elle relâchait alors son étreinte, s'enroulait sur elle-même, se dressait et me faisait face. Toi et moi, nous allons faire de grandes choses. Je le sais.

— Comment pourrais-je être ta sœur ? Je suis humaine et toi... Tu es... Un serpent.

— Humaine ? Laisse-moi rire. Te crois-tu semblable à n'importe lequel des autres humains ?

— Hé bien...

— Tes yeux sont dépourvus d'iris, tu possèdes le don de la télépathie universelle. Tu es aussi capable de matérialiser tes émotions les plus vives afin de te rendre plus forte. Nous ne sommes donc pas si différentes l'une de l'autre.

— Matérialiser mes émotions ? Je ne comprends pas.

— Croyais-tu réellement que la puissance dont tu as pu faire usage parvenait de ton espadon ?

— Et bien c'est ce que j'ai cru comprendre... Puisque... Je me sentais idiote subitement. Puisqu'il communiquait avec moi.

— Sauf que ce n'était pas ton arme qui te parlait, elle n'agissait en réalité que comme un catalyseur, de ton pouvoir et du mien. C'était moi qui te murmurais d'agir, car ma capacité me permet de prendre possession d'un objet, je ne peux pas le contrôler, mais je peux communiquer par son biais. Bien que la télépathie soit un don que les autres fratries utilisent aussi, dans leur cas, ils ne peuvent que s'en servir pour communiquer entre eux. Toi, tu peux naviguer dans n'importe quel esprit à ta guise. Bientôt, tu seras même en mesure de posséder la volonté de quiconque.

— Posséder la volonté ? Les autres fratries ? Peux-tu aller plus lentement, mon cerveau se remet de ce sale épisode comme il le peut. J'ai peur de ne pas tout saisir d'un coup.

— Tu te souviens de Teïnelyore, n'est-ce-pas ?

— Ah ça... Elle hante mes pensées sans cesse depuis l'autre jour.

— Figure-toi qu'elle aussi fait partie de notre grande fratrie. Tout comme toi, elle est dotée de capacités extraordinaires.

— Je m'en étais doutée, dès qu'elle saigne, elle devient surpuissante. Cela m'a terriblement frustrée sur le moment… Mais elle est si sincère, c’est pour sentir et savourer l’amour qu’elle me porte que je veux devenir plus puissante. Comprends-tu que je ne veuille pas dominer le monde ?

— Ne te tracasse pas avec cela. Comme je te le disais, tu vas acquérir assez de puissance pour survivre à tout. Tu pourras même régner sur tout Mithreïlid si tu le désires.

— Je ne veux pas dominer Mithreïlid, mets-le-toi en tête.

— J’ai bien compris Hérylisandre. Mais je dis cela, car je sais très bien qu’en ton for intérieur, tu veux prendre ta revanche sur ce Monde que tu trouves ingrat et imparfait.

— Peut-être, mais je ne compte pas tuer qui que ce soit, puis tu sais comme moi que je suis très loin de maîtriser mon pouvoir. Je ne peux plus m'approcher d'une foule, sous peine d'être frappée par de terribles migraines. J'entends toutes les voix qui se mélangent, toutes les pensées m'agressent.

— Je t'apprendrai à contrôler ton don.

— Pour en revenir à ce dont tu me parlais : comment puis-je faire pour donner forme à mes ressentis ?

— Remémore-toi ton combat contre Teïnelyore, ou bien tout à l'heure. Cela arrive surtout lorsque tu es désespérée, tu penses au pire, et alors, ton corps se gorge d'énergie, tu te teins de l'obscurité qui inonde momentanément ton âme. Je suis certaine que tu pourrais faire encore mieux, mais il te manque de la puissance.

— C'est pour cela que tu me suggérais de venir ici ? Quel livre peut bien garder un Dragon pour que cela vaille la peine de s'y frotter ? Je ne serais pas de taille pour l'affronter, je le sais d'avance. Je soufflais, énervée. Je n'ai pas pu faire mieux que juste égratigner Teïnelyore, qui elle, avait taillé en pièces une de ces créatures le matin même. Donc je suis curieuse de savoir ce que contient cet ouvrage. Puis dans un marais... Où peut-il le conserver ? Comment en connais-tu l'existence ? Certains détails m'échappent.

— Ce tome contient des écrits qui te permettront de découvrir la réelle puissance qui sommeille en toi. Celle qui te permettra d’accomplir tout ce que tu désires. Même de te venger de ceux qui t’ont opprimée.

— Je les déteste, je veux bien l'entendre. Mais pas au point de désirer tous les tuer. Tu ne m’aides pas beaucoup à positiver là… Cela me paraît tout de même excessif. Puis, je veux me focaliser sur Teïnelyore, je n’ai pas besoin de devenir quelqu’un d’autre pour mériter son amour, je refuse juste qu’elle ne se fasse du souci pour moi et qu’elle ne revive le même traumatisme qu’elle a déjà vécu.

— Pourtant, tu as bien constaté l'avidité, l'arrogance de ceux que tu penses être tes semblables. Tu sais très bien que si tu ne leur sers à rien, ils te jugeront, te rejetteront, puis t'oublieront. Tandis que toi, tu as juste cherché à les aider, les conseiller. Voilà ta récompense... Sans compter le fait que...

— Je sais que je ne pourrais pas donner la vie ! J'enrageais plus farouchement, tandis que mes yeux se remplissaient de larmes. C'est bien mon plus grand tourment, sans ça, je ne me serais pas en train de patauger dans ce marécage putride ! Je serais restée avec Urghal pour le restant de mes jours. Il m'aurait aimée, inconditionnellement, mais il a fallu que je possède ce don maudit et pas la capacité d'enfanter. Moi qui ai toujours été juste envers tous, je ne suis qu'une proie de l'injustice. Ce monde est cruel. Mes joues scintillaient d'une coulée salée. Pourquoi ne suis-je pas née normale ?

— Ne crois pas que ton pouvoir soit une tare. Il s'avère seulement juste que personne ne soit en mesure de te comprendre. Tu n'es pas défectueuse, il n'y a que ce monde qui ne fonctionne pas normalement. Toi, bien au contraire, tu vas le remettre dans le droit chemin. Il ne te manque qu'un peu de puissance pour y parvenir !

— Et tu penses donc que ce fameux ouvrage me permettrait d'acquérir des pouvoirs supplémentaires ? Je me demande juste où est-ce qu'il pourrait être dissimulé dans un tel amas pourrissant. À moins que le Dragon n'ait creusé une caverne, dans laquelle il aurait caché tous ses biens. Il nous faut alors forcément trouver le monstre en question. Il doit veiller de très près à sa planque.

— Je pense aussi que son trésor est dissimulé. Je sais où se trouve le Saurien. Il a dû me prendre pour un de ses semblables. Nous devrions agir en connaissance de cause. Je vais le distraire, pendant que toi, tu iras dérober le livre.

— Je veux bien, mais à quoi ressemble-t-il ? C'est vaste comme description de rechercher un grimoire. S'il y en avait plusieurs... Je ne veux pas prendre le risque de me faire dévorer pour un simple recueil de poésies ou une encyclopédie. Tu me comprends ?

— Je suis certaine que tu sauras deviner lequel est-ce. Il te faudra agir rapidement, je ne pourrais pas détourner son attention éternellement.

— Entendu, allons-y alors. »


 Sans avoir la conviction que ce plan allait fonctionner, je suivais mon « Léviathan » qui semblait se diriger vers la profondeur obscure du marécage, l'après-midi touchait à sa fin, la luminosité déjà tamisée par les feuillages des arbres du marais diminuait davantage minute après minute. Bien que le reptile m’accompagnant semblât être confiant quant à ma réussite, j'imaginais encore me faire engloutir par le Dragon, et cette pensée me faisait frissonner. Je venais de saisir mon espadon, me préparant à chaque instant afin de faire front, d'au moins être en mesure de pouvoir parer un assaut qui m'aurait été fatal. Mon escorte s'interrompait subitement, se tournait vers moi.

« Regarde par là-bas. »

  Sa tête me désigna un espace dégagé et débarrassé de toute végétation, tout avait été labouré, déplacé et saccagé. Seuls deux ailerons dorsaux de plusieurs mètres de long dépassaient de la surface opaque et moussante de l'eau croupie. Les deux crêtes étaient pourvues de longues pointes osseuses tendant des pans de toile noire et mauve. J'étais convaincue que cette présence toute-puissante, camouflée et embusquée de la sorte, pouvait déchiqueter quiconque aurait sous-estimé l'incroyable talent de dissimulation, adopté par la créature qui n’en demeurait pas moins gigantesque.

 Nous restions inertes, et inspections les alentours. Plus un bruit ne parasitait la lande en putréfaction, même les gargouillis écœurants de l'eau avaient cessé de rendre l'atmosphère plus infâme qu'elle ne l'était. Nous cherchions à déterminer dans quel sens l'animal légendaire était-il tapi. Je distinguais quatre pics sombres striés de courbes pâles d'un bord dépassant d'un fourré qui s'apparentaient à des ornements caudaux, et deux cornes recourbées à l'opposé des lamelles dorsales. L'imposant gardien du marais devait sûrement mesurer une vingtaine de mètres.

 Je prenais conscience de l'incroyable créature qui attendait que nous tombions dans son piège... Comment cela pourrait-il bien se passer ? Allais-je mourir face à ce géant à écailles ? Trop de questions se bousculaient dans ma tête, tandis que je restais perturbée par les ténèbres environnantes et leur atmosphère toxique.

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