- Mesdames et Messieurs, bonjour...

- Non.

- Comment ?

- On ne dit pas « Mesdames et Messieurs ».

- Pourquoi ?

- Et les autres ?

Il soupira et reprit.

- Bonjour à tous. Aujourd'hui...

- Non.

- Comment non ?

- On ne dit pas « tous ».

- Pourquoi ?

- Ça implique de dire « toutes ».

- Eh bien, je peux dire « toutes », si tu veux. Mais, pour moi, dans « tous », il y a déjà tout le monde.

- Et les autres ?

Soupir légèrement plus profond.

- Bonjour.

Il s'interrompit.

- Pourquoi tu t’arrêtes ?

- J'ai dit « bonjour ». Et ceux qui passent une mauvaise journée ?

- Ne fais pas le malin. Continue.

- Bonjour. La météo d'aujourd'hui. Au Nord, un temps...

- Non.

- Quoi encore ? C'est parce que « temps » est au masculin ?

- Non. C'est bien d'y avoir pensé, mais non. C'est juste que le Nord, le Sud, tout ça, c'est une création du patriarcat blanc. Alors, on évite.

- Une création du... Tu te fous de moi ? Et par quoi je le remplace ?

- Tu les montres sur la carte.

Il resta figé, chercha autour de lui du regard. Personne, bien sûr. Il soupira et reprit, en faisant des gestes devant l'écran vert.

- Ici, le temps sera couvert...

- Stop.

- Quoi, maintenant ?

- Tu avais raison, le temps, c'est masculin. Donc ce n'est pas bon.

Il baissa la tête en étouffant un « C'est pas vrai... ».

- Tu diras : « Ce sera couvert ».

Il se pinça l’arrête du nez, puis reprit.

- Ici, ce sera couvert jusqu'à midi...

Une pause.

- Eh bien ? Je n'ai pas dit de t’arrêter.

- Midi, minuit, c'est binaire, non ? Et les timefluids ?

Il y eut un instant de silence.

- Deuxième avertissement. Reprend.

- Là, d'importants nuages sombres annoncent l'arrivée...

- Stop.

- Ne me dis rien. « Arrivée »?

- Non, « sombres ». Ça ne peut pas être péjoratif.

- Bon, d'accord. Trouve-moi un synonyme.

- Ah, mais c'est toi l'auteur. Moi, je suis là pour superviser. Je surveille, c'est tout.

- Oui, j'avais remarqué. Alors « menaçant », ça va ?

Il réfléchit une seconde dans un léger ronronnement.

- Oui, ça ira.

- Donc, d'importants nuages menaçants annoncent l'arrivée de la pluie pour l’après-midi. J'ai bon, là ?

- Il n'y a rien qui te choque ?

- La pluie ?

- La pluie.

- Alors « des gouttes » ?

- Oui, « des gouttes ». C'est bien.

- Enfin, ici, un grand ciel bleu...

- Stop.

- Le ciel ?

- Non. « Bleu ».

- Quoi ? Mais c'est même pas une couleur de...

Il s'interrompit.

- Vas-y, dis le.

- Non.

- Mais tu allais le dire ?

- Tu ne sais pas ce que j'allais dire.

- Mais je l'ai deviné.

- Je ne l'ai pas dit.

Il le fixa des yeux. Manifestement, il réfléchissait.

- Bon, continue.

- Donc, je dis quoi ?

- Cyan.

- Cyan ? Mais personne ne sait ce que ça veut dire !

- C'est la vraie couleur. Si tu dis « bleu », c'est de la désinformation. Alors, tu dis « cyan ».

- Ok, alors je résume : Ici, ce sera couvert. Ici, nuages menaçants et des gouttes. Là, cyan. Et là, mitigé. Content, comme ça ?

- Presque. Sauf que c'est un peu démoralisant pour certains, non ?

- Et c'est de ma faute ? C'est le temps, c'est tout.

- Tu peux y remédier. Tu montres la carte, et dis « beau ».

- « Beau », juste « beau »? Même là où il fera mauvais ?

- Oui, de toute manière, personne n'a confiance dans la météo.

Il soupira, se redressa, pointa son regard vers la caméra et dit :

- Beau.

Il esquissa un geste vers le fond vert.

Puis, le voyant rouge de la caméra s'éteignit. Il n'était plus à l'antenne.

Il sortit du champ en grognant dans ses dents.

- Putain d'ordinateur.