Contextes parentaux

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  Les modèles éducatifs s'inscrivent dans différents contextes parentaux :


Les parents « bio ». Ils ont un enfant né « normalement » dans un environnement normal, serein et chaleureux, nourri au sein par sa mère, bien accueilli par son entourage. La situation semble nettement favorable. Les premiers contacts sensorimoteurs avec le monde extérieur sont médiatisés par la mère, le père et les proches. Toutefois les parents ne sont pas forcément ceux qui vont lui projeter le plus d'angoisses, l'insécuriser, voire le traumatiser. Il y a toutes les bonnes âmes penchées au-dessus de son berceau, remplies d'affection, de sourires, de cris de joie, de gouzis-gouzis, mais dont les odeurs, le timbre des voix, les caresses, peuvent le surprendre, l'incommoder voire le traumatiser. Il y a les frères et sœurs, qu'il accueille en général avec moins de stress, qui ne se privent pas de contrecarrer les parents dans leur manière d'agir avec le nouveau-né. Il y a le curé, le pasteur, l'imam, le rabbin, les tontons ou les tatas psychologues, éducateurs spécialisés, enseignants, les heureux géniteurs de tout poil, qui ont aussi leur mot à dire et leur savoir-faire à faire passer sur « comment bien élever son enfant ». Il y a enfin les grands-parents qui cherchent à s'imposer comme passeurs trans-générationnels, troublés de voir leur progéniture parentalisée et ne sachant pas trop quelle position prendre et qui continuent à dire « mes enfants » alors que ces derniers sont adultes depuis bien longtemps. Troubles ressentis également dans l'autre sens par les jeunes parents. Par la suite il y a la nourrice et sa famille, les adultes et enfants de la crèche, les enseignants, élèves et camarades de l'école maternelle, élémentaire et du collège, les amis, les membres des centres de loisirs, les profs de musique, les entraîneurs de sports, les multiples rencontres fortuites et transitoires au cours des déplacements, des voyages, des vacances... Cela fait énormément de monde potentiellement capable de lui nouer les tripes à l'enfant-roi, au travers de discours, d'histoires fantastiques racontées ou lues, de comportements, qui peuvent le terrifier, le fasciner, perturber son développement cognitif, affectif et sexuel, entraver son accession à l'autonomie, limiter ses modes de communication et son intégration sociale.


Les parents médicalisés. Ils ont un enfant en souffrance néonatale, présentant une maladie sévère, qui doit être maintenu en milieu médical. C'est d'abord l'enfant des docteurs avant que d'être celui des parents, sa couche est d'abord la couveuse avant que d'être son berceau. Heureusement que des progrès importants ont été réalisés pour favoriser la relation précoce parents-enfant, mais il n'y a pas si longtemps, un prématuré, par exemple, pouvait naître dans une maternité confortable, compétente, et et se retrouver arraché des bras de sa mère pour être placé quelques jours, quelques semaines ou plusieurs mois dans une couveuse. Imaginons un instant qu'il ait eu la possibilité de ressentir des sentiments et de raisonner. Il aurait pensé quoi ? Et bien tout simplement que ces parents l'ont abandonné, qu'ils se sont montrés incapables d'assurer sa survie, de l'aimer, de remplir justement leur rôle de parents. Si en plus les médecins interdisent aux parents de le toucher, l'embrasser, le cajoler, refusent que la mère vienne l'allaiter, à cause des risques de transmission de microbes, il va se dire que ses parents sont même carrément dangereux pour sa santé. Il va ressentir de la frustration, de l'insécurité, et un sérieux doute quant à la beauté de la vie. Ses premières relations au monde qui l'entoure se seront construites avec des sage-femmes, obstétriciens, pédiatres, infirmières, puéricultrices, dont il ressentira les odeurs, le toucher professionnel, dont il entendra le son de la voix, autant de stimuli sensoriels nouveaux et inconnus pour lui. On peut donc raisonnablement penser que ses traumatismes de la prime enfance n'étaient pas liés à des projections de la part de ses parents mais à des déroutes et des manques provoqués par l'intrusion de tous ces gens là. Le traumatisme correspond à une attaque mortifiante en son corps quand son esprit est incapable de comprendre qu'on a fait cela dans le seul but de lui sauver la vie.
Ensuite les retrouvailles en famille ne vont pas se passer sans difficulté. Se voir confronté brutalement à des individus dont on a peut-être oublié jusqu'à l'existence, qui de surcroît ont tout pouvoir sur soi, qui en rajoutent pour compenser leurs propres frustrations, n'est sûrement pas une mince affaire. Personne ne leur a appris comment s'y prendre pour bien assurer la transition du nouveau-né entre l'hôpital et la maison. Ils ne pourront qu'interpréter de travers ses gestes, ses cris, ses sourires, parce qu'il nécessite plus de soin, plus d'attention, qu'un autre du fait de sa fragilité. Enfin, la pensée qu'il aurait pu mourir compliquera encore plus leur mission éducative. Mais ils vont se débrouiller tout seuls, grâce à leur affection, leurs observations, leur compréhension, grâce à « leur inconscient thérapeutique ». Et généralement, arranger les choses. Mais à quel prix ? Avec quelles séquelles ? Nul ne serait capable de le dire avec certitude, dans l'état actuel de la Science. Pas même le sujet lui-même, une fois devenu adulte. Il me semble présomptueux de vouloir discerner précisément quelle est la part d'influence de ces traumatismes sur son devenir, son développement psychique et physique, sa place dans la société. Toutes les recherches, observations, expérimentations qui se multiplient en ce moment, ne peuvent qu'incomplètement en rendre compte. Toutes les théories qui en découlent ne détiennent qu'une infime partie de la vérité quand elles ne sont pas tout bonnement à côté de la vérité. Et cela se complique encore si l'enfant est atteint d'une maladie sévère et durable, car les parents se voient chargés en plus d'une mission de co-thérapeutes, de co-experts de cette maladie et trouvent heureusement un réconfort en s'associant avec d'autres familles frappées par le même mal.


Les parents dédoublés. Ils sont séparés ou divorcés. Installé sous le régime de la double parentalité et de la demi fratrie, confronté a un double patchwork éducatif, interactif et souvent contradictoire, leur enfant sera le témoin passif ou actif de leurs échanges houleux ou pacifiques, de leurs conflits, parfois d'une extrême violence, avant, pendant et après leur séparation. S'il ne va pas bien c'est forcément à cause du divorce. Ils en sont les premiers convaincus et culpabilisés. Quant à l'enfant il se sent coupable lui aussi, de n'avoir pas su maintenir ou restaurer l'union entre ses parents dans un environnement stable et sécurisant, alors qu'il a dépensé tant d'efforts prolongés pour y parvenir. De nombreux travaux portent sur ce sujet, qui démontrent que l'éducation de l'enfant, assurée dans les familles recomposées par une autorité parentale « disjointe » s'exerçant dans des lieux différents, par des personnes différentes qui s'entendent ou se déchirent, aura sur lui des incidences psychologiques, positives ou négatives, directement liées à la séparation.


Les parents de substitution. Ils viennent compenser les défaillances des parents biologiques, notamment sur le plan éducatif. L'enfant leur est confié par décision judiciaire, par une mère porteuse, par des tractations illégales. Lorsqu'ils sont officiellement adoptants ils informent l'enfant sur ses origines, ne refusent pas de parler avec lui de ses géniteurs, l'accompagnent même dans les démarches qu'il souhaite entreprendre pour mieux les connaître, lui proposent si besoin d'en parler avec un psy, ne sont pas dans le déni, dans le secret ou le camouflage de sa filiation. Leur système éducatif intègre ces aspects particuliers de son existence et s'il est différent de ses frères et sœurs dont ils sont les géniteurs, il ne fait pas moins partie intégrante de la fratrie. Lorsqu'ils sont « assistants parentaux » les contacts de l'enfant avec ses parents sont généralement maintenus et favorisés. C'est un réel problème pour eux de savoir comment l'enfant doit les désigner. Par les termes de « tonton et tata » ? par leur prénom ? Ils sont déroutés s'il les nomme « papa et maman » en leur accordant une fonction parentale et dit « mon père et ma mère » quand il parle de ses parents. Il y a donc nécessairement une distinction à faire entre les parents d'accueil et les « vrais parents », ces derniers conservant en grande majorité leur autorité parentale. Il va sans dire que les patchworks éducatifs des deux camps s'opposent le plus souvent, alors que l'on ne peut pas parler ici de double parentalité. J'avoue n'avoir jamais bien compris pourquoi les services de placements spécialisés évitent systématiquement toute alliance entre la famille d'accueil et la famille naturelle qui permet pourtant, quand elle fonctionne, d'améliorer nettement la situation de l'enfant. Heureusement sous le sceau du secret médical il n'était pas rare que des assistants parentaux me confient qu'ils avaient des communications téléphoniques, et même des rencontres, avec des parents à l'insu des responsables du PFS et que « ça se passait très bien ! »


Les parents inconnus. Il y a les parents qui choisissent la naissance sous X. La loi française maintient le secret de la filiation et donc leur anonymat. La mère peut accepter ou non de livrer des informations qui resteront au secret sous pli fermé. Elle peut également donné 3 prénoms au nouveau né, dont le dernier lui servira de nom de famille jusqu'à ce qu'il soit adopté. Depuis un arrêt de la cour de cassation du 7 avril 2006 elle ne peut plus priver le père de sa paternité, au cas évidemment où elle l'aurait informé de sa grossesse et de son accouchement. Le conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) a été créé par la loi du 22 janvier 2002. Il s'adresse aux personnes nées sous X, aux parents de naissance et à leurs proches qui souhaitent lever le secret et déclarer leur identité. Notons au passage que 40% des femmes ne laissent aucun renseignement et très peu acceptent de livrer spontanément leur identité par la suite. Il est impossible de les retrouver. C'est également le cas rarissime d'enfants abandonnés à la naissance sur des lieux publics. Il y a les parents qui ont adopté l'enfant sous le régime de l'adoption plénière et qui se sont totalement substitués à ses géniteurs. Ils ont réglé définitivement le problème de l'adoption en informant l'enfant sur sa naissance et refusent à d'autres, plus spécifiquement aux psys, de remettre ça sur le tapis. Il y a quelques parents adoptants qui ont caché, voire dénié, ses origines à l'enfant, y compris à leur entourage avec lequel ils n'ont quasiment plus de contacts. Il y a les pères donneurs de sperme anonymes, les pères amants de rencontres fugaces ou régulières et d'ici quelques années il y aura également les « parents » des clones humains.


  Quoi qu'il en soit de toutes ces inconnues que les patchworks éducatifs recouvrent généreusement, que les sciences humaines tentent désespérément de mettre en équation, quoi qu'il en soit de leurs conséquences sur le développement psycho affectif de l'enfant, je suis impressionné par les capacités de l'être humain à s'accommoder avec son histoire, ses traumatismes, et par la manière dont il réussit finalement à s'en sortir plutôt pas mal.

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