Historique
Parents responsables, parents coupables ?
Réfléchir sur la relation parents-enfant est une véritable gageure, un challenge perdu d'avance, un parcours dans le « labyrinthe des esprits »1 dont personne n'a trouvé la sortie. Qu'on l'aborde du côté du père, de la mère ou de l'enfant, on n'obtient qu'une infime partie de la vérité et beaucoup de convictions nues, d'illusions flagrantes, de fausses certitudes rationnelles.
Les parents sont intronisés responsables de l'éducation de leurs enfants. Mais le sont-ils réellement dans les faits ? Heureux l'enfant élevé par des parents qui s'aiment et se respectent, qui l'aiment et le respectent ? Pas si sûr car il suffit que son parcours soit parsemé de quelques inflexions vers le désamour et l'irrespect, que des éléments perturbateurs surviennent de l'extérieur, pour que son bonheur bascule vers l'angoisse et la névrose, sans que ses parents ni lui-même puissent en prendre vraiment conscience. Sigmund Freud aurait répondu à une mère qui l'interrogeait sur la bonne manière d'élever son enfant : « Quoi que vous fassiez ce sera mal. » Et je pense qu'il n'avait pas tort.
L'éducation consiste à transformer un être de nature en être de culture. Soit, mais ils existe tellement de cultures familiales différentes, complexes et chargées en paradoxes, qu'il est impossible de les définir et analyser scientifiquement. En dépit de la multitude de chercheurs brillants et perspicaces qui s'y consacrent avec une énergie inébranlable. Aucun peuple n'a encore été capable de faire la synthèse objective des trois éléments fondamentaux entrant dans La construction du Moi, le biologique, le psychologique et le social. D'en tirer les moyens d'offrir à ses compatriotes la sérénité, la paix durable et la sécurité de l'existence.
Tout d'abord il est utile de faire un rappel historique de l'évolution du statut de l'enfant, afin de démontrer que les méthodes éducatives, qui se sont succédées au cours des 5 derniers siècles, se retrouvent de nos jours encore opérationnelles. Elles se côtoient, s'imbriquent entre elles ou s'opposent farouchement, varient de l'une à l'autre sans transition lors d'un même processus éducatif. Ce qui provoque la confusion et le désarroi chez les parents et la souffrance chez l'enfant, avec des conséquences plus ou moins fâcheuses tout au long de son existence, et même au-delà, sur sa descendance. Jadis on considérait l'enfant comme un petit animal, un petit sauvageon, qu'il fallait dresser plutôt qu'éduquer. « Même lavé du péché originel, l'enfant reste une ébauche, un être imparfait et inquiétant, capable de toutes les malices. »2 De la naissance à 2 ans, voire plus, le nourrisson était confié à sa mère ou à sa nourrice en fonction du milieu social. Ensuite il restait sous la protection de sa mère jusqu'à 7 ans, « l'âge de raison », à partir duquel son éducation, son instruction, étaient assurées par les prêtres ou les précepteurs. Dès l'âge de 12 ans, l'enfant se voyait plongé dans le monde des adultes, social et professionnel. On lui confiait des tâches adaptées à ses capacités physiques. Responsabilisé et adultisé très tôt avec ce paradoxe qu'il n'atteignait sa majorité civile qu'à 25 ans jusqu'à la révolution française, puis à 21 ans pour être fixée à 18 depuis le 5 juillet 1974. Du fait de cette adultisation précoce, les phénomènes propres à l'adolescence que nous connaissons actuellement n'existaient pas, il a fallu attendre le XIXème siècle pour les voir apparaître. D'autre part on peut reconsidérer les méfaits de cette conception jugée totalement néfaste en lisant sous la plume de ce pédagogue célèbre au début du XXème siècle, Janusz KORCZAK3, que l'enfant est comparable à l'adulte, qu'il manque seulement d'expérience et de connaissances, « sa seule différence, finalement, c'est que, ne gagnant pas encore sa vie, il doit nous céder en tout du fait qu'il est à notre charge ». En attribuant à l'enfance un statut particulier, en opposition au monde adulte, n'a-t-on pas en quelque sorte dénaturé et disqualifié le sujet humain au cours de son développement ? D'ailleurs, notre code pénal rend l'enfant responsable et punissable, au même titre que l'adulte, pour des actes délictueux et criminels dès l'âge de 13 ans C'est même 7 ans en Suisse et 10 ans en Angleterre.. Quant aux parents, leur position, leur crédit, leur considération, leur sensibilité ont également évolué au cours de notre Histoire. Autrefois, comme chacun le sait, la mortalité infantile était très importante. François LEBRUN s'est demandé « Comment a-t-on pu si longtemps, dans toutes les classes de la société, y compris dans l'élite cultivée, accepter sans réagir l'effroyable hécatombe que représente la disparition, dès la première année, du quart des nouveau-nés?... Autant la vie éternelle des enfants est l'objet d'un souci que traduit l'empressement généralisé au baptême, autant leur survie temporelle semble laisser largement indifférent... la disparition de beaucoup d'entre eux est ressentie comme une nécessité quasi biologique et la plupart des parents opposent à ces coups répétés du sort une résignation fataliste. » En ce qui concerne la fonction parentale cet auteur précise : « Au total, le rôle joué par la famille dans le processus de socialisation de l'enfant reste assez mince. Ce rôle est assumé bien davantage par un milieu beaucoup plus large comportant la parentèle plus ou moins proche, les amis et les voisins, les camarades de même âge au catéchisme ou à l'école et lors des jeux en commun. Pourtant, l'autorité des parents, et plus spécialement celle du père, ne fait que se renforcer entre le XVIème et le XIXème siècle. »
Par la suite les choses vont évoluer, le dressage va progressivement céder la place à l'éducation sous l'influence de certains éducateurs, tels les jésuites ou Jean-Baptiste de La Salle, qui voient dans l'éducation la tâche la plus noble qui soit et proposent des méthodes pédagogiques prenant en compte la spécificité de l'enfance à ses différents stades... « Aux châtiments corporels est préférée toute une gamme de punitions sous forme de pensum gradué non seulement selon la gravité de la faute, mais aussi selon l'âge et le caractère du délinquant... L'Emile de Jean-Jacques Rousseau, paru en 1762, n'est que l'un des très nombreux ouvrages qui sont publiés sur le sujet et dont on ne peut douter qu'ils répondent à l'attente d'un très large public... un regard neuf porté sur l'enfant, que l'on considère à la fois comme un bien précieux qu'il faut s'efforcer de conserver dès la naissance et comme un être ayant ses droits et ses besoins propres. L'éducation tendant au libre développement physique et psychologique de l'enfant l'emporte sur le souci de rendre celui-ci le moins gênant possible en bridant ses initiatives... S'ouvre l'ère de l'enfant désiré, choyé, dont le décès lors des premiers jours ou des premiers mois est ressenti comme un drame et un scandale, bref l'ère de l'enfant-roi... L'éducation, soit au sein de la famille, soit dans le cadre de 'institution scolaire en plein développement, se fait volontiers répressive au nom du “Qui aime bien châtie bien”. L'enfant, souvent unique, n'est-il pas, désormais et quoi qu'il en ait, porteur de toutes les espérances de ses géniteurs?... Autant, sinon plus, que l'épanouissement de l'enfant, c'est l'épanouissement des deux parents qui compte. »2 Au XXème siècle la famille devient une cellule mononucléaire, avec une tendance à se replier sur elle-même, à conserver sur des périodes de plus en plus longues ses enfants mûrs de plus en plus tôt. Le mot « cellule » peut s'entendre au sens d'enfermement, de cellule de prison. Des auteurs comme André. Gide : « famille je vous hais ! », David Cooper : « Mort de la famille », J.Korczak3 n'hésitent pas à parler de « prison familiale ». «Quant aux jeunes, beaucoup d'entre eux commencent, dans les années 60, à enfoncer violemment les portes des foyers clos. Devenus eux-mêmes adultes et parents, ils contribuent à donner un visage nouveau à la famille. »2
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