Le tertre perdu
Il était une fois une péninsule sans nation. Les éleveurs-fermiers vivaient disséminés, dans la crainte des brigands qui se servaient dans leurs réserves. Ceux-là pillaient également des ruines éparpillées sur le territoire et revendaient les trésors trouvés aux marchands de pays voisins. Pour ce faire, les trafiquants exploitaient les rares personnes sachant lire pour décortiquer les vieux livres et étudier les emblèmes sur les reliques.
Naeriba était la lectrice d’une bande de taille moyenne. Résignée à sa triste condition, elle obéissait sans songer à fuir. Nul n’avait le courage de s’élever contre les pillards.
Un jour, on lui confia un petit miroir de bronze. Quand elle le prit, la fillette croisa son regard. Ses cernes assombrissaient encore ses yeux noirs et avec ses cheveux coupés à ras elle paraissait maladive. Elle s'apprêtait à le retourner pour étudier les gravures qui ornaient son dos quand son visage se modifia. La mâchoire béante, elle voyait désormais un beau jeune homme aux yeux pleins de conviction la fixer.
– Toi qui tient mon miroir, je peux exaucer ton vœu le plus cher, annonça le garçon. Pour cela, ramène-le au tertre perdu. En route, un guide t’indiquera le chemin.
L’image s’effaça, laissant Næriba seule avec une boule d’espoir qui irradiait en elle. Avec cette dernière revint l'envie d'essayer. Sa liberté, elle allait la retrouver.
Næriba passa le reste de la soirée à étudier le dos du miroir, aidée de ses vieux livres. Ne se doutant de rien, les brigands la laissèrent faire. Et à la nuit tombée, la petite lectrice leur faussa compagnie. Il lui fallait s’éloigner le plus vite possible des bandits, par peur des représailles.
Parvenue à un carrefour, la fillette sursauta en apercevant une petite silhouette blanche apparaître sur le bord du chemin. Ses bras se resserrèrent sur le petit miroir.
La forme blanche s'approcha calmement. À la lueur des étoiles, son pelage paraissait luire de pureté.
– Es-tu mon guide ?
L'animal hocha la tête et repartit dans l'obscurité. Rassurée de ne plus être seule dans le noir, Næriba s'empressa de le suivre. L'hermine lui fit quitter le chemin en traversant des friches et des sous-bois.
L'aube approcha et la faim se fit de plus en plus impérieuse.
– Je ne peux plus avancer, avoua Næriba en s'effondrant au pied d'un vieil arbre.
Comme si elle la comprenait, l'hermine vint lui poser une patte compatissante sur le bras et s'éclipsa. La jeune fille se pelotonna entre deux racines et s'endormit dès ses paupières tombées.
Agitée par de terribles cauchemars, Næriba se réveilla en sueur. Le soleil était haut dans le ciel et un repas de racines l'attendait. Après l’avoir englouti, la petite lectrice reprit la route. L'hermine resplendissait tout autant de jour.
– Les trafiquants ont dû se lancer à ma poursuite, soupira-t-elle. J'espère que nous ne sommes plus loin.
L'hermine poussa un chant proche du gloussement pour l'encourager. Le soleil commençait à décliner quand le guide la mena dans un épais bosquet. La fillette s'y enfonça en se protégeant du mieux qu'elle pouvait des griffures des ronces. Au bout d'un moment, elle se cogna contre un rocher et pesta copieusement.
– Va plus doucement ! s'exaspérait-elle. Je n'ai pas ta petite taille !
L'hermine répondit de son petit chant. En reprenant son chemin, Næriba trouva un autre rocher similaire au précédent. Puis un troisième et arriva sur un mur végétalisé. En levant la tête, elle voyait le sommet du mur sous le feuillage.
– Le tertre perdu. Et maintenant, que dois-je faire ?
L'hermine l'appela de l'autre côté du monticule. En la rejoignant la jeune fille trouva un trou dans le mur assez grand pour qu'elle puisse rentrer dedans.
Næriba s'y faufila en rampant. Son avancée lui parut bien plus longue que la taille extérieure du tertre le lui aurait fait penser. Elle parvint enfin dans une chambre close éclairée de flambeau. Le plafond était bas et la largeur suffisait à peine à contenir un coffre en pierre avec un petit espace autour pour circuler. La lectrice l’identifia comme une sépulture. Elle en avait vu de similaires en croquis dans des livres.
L'hermine avait pris place sur le sarcophage près d'un petit socle et la regardait fixement.
– Le garçon est mort, n'est-ce pas ? demanda la fillette d'une petite voix.
L'animal hocha lentement la tête. Une pointe de tristesse serra la gorge de Næriba espérait s'en faire un ami.
– Je dois poser le miroir sur le socle ?
Elle n'attendit pas la confirmation et s'avança le long du sarcophage. Elle regardait au passage les gravures à peine érodées qui en ornaient la surface. La petite lectrice reconnut l'emblème d'un royaume qui régnait sur la péninsule autrefois.
Elle allait poser le miroir quand un bruit de reptation la fit bondir. Elle se retourna d'un bloc et sentit tout son courage s’évanouir en voyant le chef des trafiquants sortir du tunnel.
C'était un homme qui la dépassait de deux bonnes têtes. Son regard sournois fouillait la chambre et un grand sourire de rapace éclairait son visage buriné.
– Bravo ma petite lectrice, tu m’as mené à une sépulture inconnue !
Næriba tremblait de tous ses membres.
– Un tombeau princier, poursuivit le chef. Il doit regorger d'or et de pierres précieuses ! Ma chère petite lectrice, j'ai mésestimé ta participation à notre prospérité.
Ses aspects durs se firent doucereux.
– Cette découverte me le prouve, je vais faire de toi une associée. Qu'en penses-tu, tu aurais ton mot à dire sur nos explorations, une part du trésor, à manger autant que tu le souhaites.
Dans l'esprit de la jeune fille, se dessinait un avenir plus confortable, plus alléchant. Même sa peur de cet homme s'émoussait sous ses promesses caressantes.
Elle baissa les yeux sur le miroir qui l'avait amené là. Elle y vit son reflet miséreux. N'était-ce pas son vœu le plus cher de ne plus manquer de rien ?
Pourtant, une petite partie au fond d'elle résistait. Elle repensa à l'hermine et le courage lui revint.
– Je ne veux pas de richesses. Tout irait mieux si des brigands comme vous ne pillaient pas tout ! Notre histoire, nos cultures et notre liberté ! Disparaissez !
Aussitôt dit, aussitôt fait, l'homme effrayant s’effaça. Næriba frotta ses yeux fatigués, elle était de nouveau seule avec l'hermine dans la chambre funéraire. Elle explosa de rire et déposa le miroir avec le cœur léger. Dès que la relique prit place sur le sarcophage, l'hermine se métamorphosa. La fillette vit le garçon apparaître devant elle. Il lui adressa un sourire radieux.
– Tu as réussi l'épreuve. La conviction dont tu as fait preuve à l'instant te sera indispensable à la réalisation de ton vœu.
– Les brigands n'ont pas disparu ?
– Celui-là n'était qu'une illusion, à toi de faire disparaître les vrais ! J'étais le prince héritier du dernier roi de ces terres.
Næriba hocha la tête.
– J'ai beaucoup lu à son sujet. Personne ne mentionnait son fils.
– Hélas, l'Histoire ne m'a pas gardée dans sa mémoire, dit-il avec un sourire triste. Prends ceci.
Il lui tendit une chevalière gravée d'un emblème.
– C'est le sceau du monarque, il renforcera ta conviction et encouragera les gens à te suivre.
– Avec ça, tous les opprimés des trafiquants pourront se dresser contre eux ! Nous pourrons nous entraider !
Enthousiasme, Næriba se précipita vers le tunnel et quitta la chambre. Parvenue dehors, le passage disparut dans son dos et elle se rendit compte qu’elle n’avait pas demandé son nom au prince. La jeune fille le remercia en s’adressant au tertre.
En regardant le bosquet, elle y voyait une myriade de couleurs. Des mûres appétissantes côtoyaient les ronces dont les frêles épines ne représentaient plus une menace : il suffisait de les écarter. La chevalière dans sa main gonflait Næriba de confiance en l’avenir.
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