Confession posthume d’un enfant madrilène
« La conservation du vieil Armagnac de Savoie, balbutia le vieil homme, est un art dont même les autochtones ont perdu le secret… »
Silence, Tous les auditeurs réunis dans le grand salon attendaient patiemment la suite.
« …et c’est bien regrettable ».
Un murmure de soulagement accompagné du bruit des chaises déplacées ponctua cette chute décevante. L’orateur chenu avait laissé passer son dernier instant de gloire, et l’assistance se dispersa dans les pièces adjacentes.
Don Sanche avait été le plus grand avocat de Castille.
Après sa retraite, il répétait ses vieilles plaidoiries face au miroir de sa chambre, d’où il ne sortait plus que pour se produire devant le parterre de ses enfants et petits-enfants.
De ceux-ci, j’étais son préféré, et il était mon héros.
Bien des années plus tard, à Séville en 36, face au peloton d’exécution des Marocains de Franco, je devais me rappeler cette chaude soirée madrilène qui consacra pour mon grand-père, l’idole de mon enfance, son entrée dans la vieillesse.
Rien de ce que des légions de Jésuites, de confesseurs zélés m’enseignèrent au long de ma jeunesse, sur la Religion, la Foi, l’Honneur, le repentir face à la Mort, rien de tout cela, au moment où les orbites aveugles des fusils se pointèrent sur ma poitrine, ne parvint à chasser de mes oreilles la voix sourde et fantomatique de Don Sanche père de mon père.
Lorsque le capitaine ordonna le feu, j’entendais encore, et encore, la conversation du vieillard maniaque de sa voix.
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