Erotisme à l'Elysée

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 Au-delà de sa fonction de protection avec sa meilleure amie la serrure, la porte du bureau avait pris la fâcheuse habitude d’aboyer pour annoncer les personnes qui entraient dans le bureau du Président de la République Française. C'est pourquoi, lorsque quelqu'un frappa et appuya sur la cousine-poignée pour entrer, elle annonça d'une voie tonitruante et solennelle :

- Madame la secrétaire du Président !

Dans la pièce, à cette heure avancée de la journée, tous les objets connaissaient déjà le motif de sa visite. Le spectacle pouvait démarrer et le brouhaha laissa place au silence, ou presque.

Le miroir italien dans lequel se reflétait l’entrée siffla l’arrivée de la secrétaire et fut le premier à s’exprimer :

- Par tous mes ancêtres ! Bellissima ! Dites-donc messieurs les escarpins semelles-rouges et la famille tailleur-chemisier-transparent, vous n’avez pas l’impression de trop afficher la couleur ?

- Cher ami, répondirent en cœur les escarpins sur un ton hautain. Nous nous faisons déjà violence pour entrer dans cette pièce indigne de notre rang, soyez respectueux de cette classe à la française s’il vous plait !

Le miroir qui n’avait connu que des hauts lieux de la bourgeoisie française, des rois et des Présidents, s’apprêtait à répondre lorsqu'une voix roque résonna dans la pièce. C’était le vieux bureau en bois du Président de la République, qui avait traversé les siècles et dont la surface était tapissée d’un cuir grenat.

- Regardez bien, elle s’approche. C’est pour moi ! Poussez-vous les jeunes ! C’est pour moi je vous dis ! Ça se voit de suite qu’ ils ont du goût et je suis le seul dans cette pièce à être à la hauteur ! L’expérience ! Il n’y a que ça : l’ ex-pé-rien-ce ! Si vous saviez combien j’en ai soutenu avant eux ! Un jour, je vous raconterais peut-être.

Un ricanement monta dans la pièce et le radiateur ne put s’empêcher de réagir :

- Du goût ? Mais tu es dépassé mon vieux ! Regardez ces rides sur les angles et ce cuir ternis par les années ! Et puis tu ne commences pas à trembler quand on te bouscule un peu trop fort ? Non, laissez-moi plutôt la place et attendez que j’en tienne un des deux par les poignets ! Je vais vous montrer comment donner du plaisir et vous allez réapprendre la définition du mot « orgasme » !

- Prétentieux, asséna le tapis. Rien ne vaut le naturel à même le sol ! Ton temps est révolu monsieur le radiateur.

Pendant ce temps, la secrétaire approcha du Président et fit frémir le bureau en l'effleurant d'un doigt sur sa largeur. Le Président se leva et ensemble, ils revinrent au centre de la pièce. Pris dans leur fougue ou comme inconsciemment poussés par l’agenda qui criait que le prochain rendez-vous arrivait dans vingt minutes, les vêtements volèrent à travers la pièce, occultant la vue du tapis, du porte-manteau et du fauteuil présidentiel. Des protestations montèrent tandis que d’autres sifflaient d’encouragement.

La secrétaire et le Président s’approchèrent de l’entrée où était installée une vieille chaise rembourrée de style Louis XV.

Silencieuse jusqu’à présent, elle bégaya sous la pression qu’elle sentait monter :

- No…..non ! P...p..pas moi ! Je….je ...je s….suis vieille ! Au...au...au sec...au secours !

- Ça va être un carnage, lança le radiateur. Je ne peux pas assister à ça.

- Quel gâchis, se plaignit le bureau. Encore une occasion qui va avorter.

Certains s’insurgeaient de ne rien voir comme le porte-manteau et le tapis :

- Racontez-nous ! Que se passe-t-il ? Que font-ils ? On ne voit rien ! C’est inadmissible ! Une honte ! Faites quelque chose !

Tandis que d’autres auraient justement préférés ne rien voir :

- Occultez-moi, supplia le miroir. Je ne veux pas voir ça !

La chaise poussa un grand « ouff », qui s’entendit dans toute la pièce lorsque la secrétaire poussa le Président dessus. Loin d'en avoir terminé, madame monta à califourchon sur monsieur.

- N...non...non….non ! Mon...mon d….mon dos….est….fra….fragile, gémit la chaise.

- Et tu as les guibolles vermoulues, se moqua le bureau, mais la chaise n’arrivait plus à s’exprimer et essayait déjà de résister aux assauts de madame sur monsieur.

La chaise fit le maximum pour remplir son rôle : le dossier se courba mais ne plia pas et l’assise malmenée ne se déchira pas non plus. S'appliquant à amortir chaque assaut, ses pieds reculérent sous les impacts mais ne fléchirent pas.

Dans l’admiration générale de tous les objets de la pièce pour la chaise, l’action s’arrêta brusquement dans un grand fraca : les quatre pieds vermoulus de la chaise avaient cédés et tout le monde gisait au sol. Tous les objets retinrent leur souffle.

Lorsque le couple se releva, certains objets aperçurent des égratignures et à en juger par les grimaces sur leurs visages, les humains ne remettraient pas ça tout de suite.

Quant à la chaise, malgré les sollicitations, elle ne répondit plus. C’en était fini.

- Heure du décès : Dix-neuf heure trente-neuf, annonça solennellement l’horloge victorienne.

- Paix à son âme, répétèrent les objets.

La porte s’ouvrit et la secrétraire sortit.

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