TL - 7 L’insatiabilité
Les os couverts de chair s’engouffrent bien vite dans la gueule de la bête. Avant même que la rétine de la fillette ne puisse interpréter les couleurs de ses canines, la créature l’engloutit, annihilant toute issue possible, mais ne déchiquète pas son corps frêle. Au contraire, elle compte la préserver d’un univers incoercible sur lequel la jeune personne ne peut exercer aucune domination, d’un monde redoutable où tous guettent une dégringolade future, d’une sphère où il vaut mieux sombrer dans l’oubli.
Noir.
La carcasse féminine ondule dans les ténèbres inquiétantes sans se démener contre leur pression : elle paraît épouser leur silhouette, essayer du moins. L’esprit qui l’anime attend le couplage entre ses contours et l’environnement. À l’instant où ils s’y fondront, plus personne ne pourra déterminer sa présence. Tentative d’une noce avec l’obscurité des entrailles de la créature.
Disparaître.
Et des fils s’unissent dans l’objectif de constituer des bras aussi tenaces que l’acier, aussi malléables qu’un fluide. La fille ne discerne pas la particularité du lieu et non plus les membres de l’ombre en mouvement. Cécité absolue, inconsciente mais convoitée. Se voiler la face et ne plus jamais examiner son apparence. Ainsi, elle exulte : ici, nul ne pourra l’identifier.
Les yeux fermés.
Et la substance glisse sur le sol, tel un serpent proche de sa proie, effleure timidement les pieds de l’enfant qui se réjouit d’une nouvelle compagnie, toujours insouciante de l’avidité du monstre. Doit-elle véritablement s’en méfier ?
Déni.
Et les mains tissées s’agrippent à ses chevilles, s’insinuent sous l’ourlet de son pantalon. La fillette s’esclaffe à cause de cette intrusion chatouilleuse. D’autres bras la frôlent puis grimpent sur son corps squelettique tandis qu’elle rit, elle rit à gorge déployée. Ils étreignent son ventre creux sans se préoccuper d’une possible fissure : son épiderme en recèle déjà.
Minuscule être broyé...
Et les cordes nouent son estomac, fermement, si fermement... Sous la béatitude de la fille. Elles accèdent à ses épaules, sillonnent ses bras émaciés, étirent leurs doigts afin de les entrelacer aux siens, comme pour la rassurer. Ensuite, les ficelles rudes se hissent jusqu’au cou et, avant de l’étrangler, l’enlacent avec tendresse. Oui, la créature ne lui veut aucun mal. Sa poigne se resserre, les éclats de rire s’interrompent.
Et lorsqu’elle escalade ses joues, elle rencontre des gouttes salées. La petite comprend qu’elle ne peut plus déguerpir.
Trop tard.
Elle ne remue plus, concède sa dépouille au spectre qui la dévore. L’a-t-il sauvée ?
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