TI - 13    Le fumet du Haggis

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Depuis longtemps, mon cher,

Depuis longtemps, l’astre couchant embrasse les hauteurs qui surplombent la vallée de Balgie.

Depuis longtemps, c’est le signal des féroces combats à venir.

Je regarde une dernière fois ces collines rougeoyantes qui enserrent les landes mystiques et dénudées. Faisant fi du sang qui se répandra bientôt, je m’assois au bord de la rivière qui coule paisiblement vers les eaux claires du Lock Lyon. Confortablement installé sur cette herbe verte et grasse d’être sans cesse arrosée par les embruns qui traversent les Highlands et filent droit vers la mer du Nord, je contemple les flammes dansantes qui lèchent la marmite. Le tempo de l’eau qui bout arrive jusqu’à mes oreilles. Il imite les souliers qui battent le pavé au son du Highland Fling, la danse de la victoire. Le fumet du haggis titille mes narines, déjà grandes ouvertes d’inhaler cet air écossais aux parfums de liberté grandeur nature. Je sentirai presque le contenu de la panse de brebis fondre dans ma bouche, libérant les saveurs épicées des hautes terres.

Les arbres au sommet des collines qui nous dominent s'enflamment dans les braises rougeoyantes du crépuscule. Les illustres du clan nous observent, à quelques mètres de nous, derrière le mur de pierre sèche délimitant leur ultime demeure. Certains disent, de ce cimetière, qu'il s’échappe parfois le son des cornemuses pour honorer les heures sombres où les tartans se teignaient en vermeil.

Le tintement du métal contre le métal, les coups tranchant dans la chair viendront bientôt perturber la quiétude de cet instant de trêve : c'est la symphonie des gamelles qui se remplissent.

La fumée du foyer m’engloutit. Une perle coule sur ma joue. Ce soir, la fumée sera ma meilleure alliée. Elle occultera ma présence de l’ennemi.

Une tache sombre se dessine au loin. Elle rampe sur les bruyères, les rocailles et la verdure. Elle s’élève et flotte sur les landes, se tend et se détend telle une poche à cornemuse qui nous jouerait sa marche funèbre. Elle plane, bifurque, revient et nous encercle.

— Ils arrivent !

La rumeur enfle et traverse le groupe au grand galop. Chacun épie les mouvements de l’ennemi. Moi, je me concentre sur ma gamelle et avale ce joyau de la cuisine écossaise qui me donnera peut-être le courage légendaire de ces terres.

Chacun attrape son arme pour se défendre.

Moi, je ne me dessaisis pas de la fourchette, je ne céderais pas à la menace !

Ils fondent sur nous et mes compagnons dégainent.

Les odeurs de citronnelles envahissent le champ de bataille, vapeurs illusoires qui ne retarderont pas le supplice. Les midges se rient de cette arme chimique qui nous incommode plus que cela ne les dérange. Minuscules bestioles pas plus grandes qu’une tête d’épingle, elles n’ont pas d’égales pour leur voracité.

Alors que mes compagnons se flagellent de leur main, pour tenter d’écraser les assaillants qui s’immiscent dans les interstices, je finis mon plat.

La gamelle vide, je lève la tête. La fumée du feu se dissipe, ils m’ont vu. Je retiens ma respiration. Ils s’approchent et se lancent sur mon visage. Je lâche un long soupir de défaite, exhalant par la même occasion les saveurs de haggis. Ils battent en retraite devant le fumet qui se dégage de mon haleine.

Mes compagnons d’armes se jettent alors sur leurs gamelles, avalant goulûment et expirant d'un air triomphant.

Ce soir, dans la vallée de Balgie, il plane un parfum de haggis.

Ce soir, dans la vallée de Balgie, il plane un parfum de victoire.

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