Chapitre 2 A la recherche de la proie
Lettre V De la marquise de Souche-Parré à la duchesse de Galanta
Ma chère amie,
Que de désespoir qui vient s'abattre sur mon âme. Depuis de longs mois, l'absence de mon mari me torture, me pousse à m'enfermer dans ce qui m'est le plus raisonnable : la prière du Seigneur. Vous savez à quel point je suis pieuse et sage et je ne détournerai point mon regard de Celui qui me permet de vivre et de vous écrire en ce lieu. Mes pas me dirigent vers la petite église que mes ancêtres ont fait bâtir et lorsque je pousse la lourde porte en bois, je sens l'énergie du Seigneur transcender mes faibles muscles. La tranquillité m'isole de toutes ces contraintes du monde axuqelles nous, les femmes sommes contraintes de nous soumettre. Il va de soi que j'obéis à mon époux, que sa santé demeure ma priorité. Mon regard se pose avant tout sur les murs gris et froids que le vent glacial et la pluie ont rendu sinistres. Au moins, je suis à l'abri de toutes ces femmes méprisantes. Un accident justifie mon besoin de me livrer à vous.
Le domaine de mon époux se situe dans les terres de Lagandière, protégé par un épais mur afin de préserver l'infrastructure des vents capricieux de la côte. Je me rendais en voiture à l'église la plus proche, ayant envie de causer avec quelques amies à la messe du dimanche. J'arrivai donc en toilette sombre et discrète et fus assaillie de regards indiscrets. Je m'assis au premier rang de cette belle église bleue, près du prêtre, près du Seigneur. Mes amies me rejoignirent bien vite, rouges et essoufflées. Je leur demandai quel état d'esprit les saisissait et l'une d'elles, une femme dont ma confiance en elle est presque égale à la vôtre, attira mon attention vers le groupe de ces prieuses malpolies que j'avais aperçues lors de mon entrée. Ces dernières, retranchées au dernier rang, chuchotaient à mon encontre. Cette amie les transperça du même regard qu'elles me lançaient, marmonnant le mot bien choisi de « garces ».
Depuis ce jour et à cause de ces profanatrices, je n'ose fouler le pied de ce lieu sacré. Je préfère la tranquillité et l'absence de ces gens outranciers dans mon autel, celui qui me permet de me relier à la grâce de Dieu.
Aidez-moi à m'élever, à être une excellente servante de Dieu ! Arrachez-moi à cette souffrance qui déchire mon cœur, tord mes organes et hante mes nuits. Soutenez-moi à demeurer auprès de Celui qui me sauve et permet à mes poumons d'inspirer cet air froid et brûlant ! Je ne puis supporter les absences, le délaissement et je risque de sombrer si une noble main ne vient pas me tirer vers la lumière de ce monde.
Votre amie jusqu'à la mort, Delphine de Souche-Parré.
Lettre VI Réponse de la duchesse de Galanta à la marquise de Souche-Parré
Chère amie,
Vous ne savez pas à quel point lire ce cri de désespoir m'a poignardé le cœur. Je ne pensais pas que les absences répétées de votre mari vous attristaient au point de vous abandonner à Dieu tout puissant. Je plains votre être tout entier de cette douleur dont toutes les femmes compatissent. Lors de mes premières années de mariage, en tant que jeune damoiselle au cœur tendre, je subis les absences de mon époux. Je pensais que cela me délivrerait, me permettrait d'épouser toutes les belles choses de la vie. Mais après les nuits d'amour chaudes et réconfortantes, il faut se rendre à l'évidence que la vie n'épargne pas une femme. Les journées seules, près de la fenêtre à la vitre froide, la pluie rendant impraticables nos chemins de terre. Les visites de ma mère ne parvinrent point à me redonner le sourire, l'envie d'enrôler le statut d'épouse et d'asservie me fit regretter ma vie d'avant. Mais avec la volonté, les conseils d'amies chères en votre cœur, vous arrivez à vous élever, à redresser votre faible corps face à la lumière. Faites-moi confiance et relevez-vous.
Je vais vous adresser une parole qui vous fâchera fort. Je vous respecte en tant que pieuse, en tant que fidèle à notre Seigneur. Vous faites malheureusement partie de cette race de suiveurs, d'aveuglés qui pensent naïvement que par le biais de bonnes actions, Dieu viendra les sauver de leur miséricorde. Mais vous-a-t-Il déjà pris la main pour vous guider vers le droit chemin ? Vous a-t-Il déjà ordonné de sa voix céleste de vous relever, de vous armer de courage et de force dont sont parées toutes les femmes ? Dieu se fiche bien de ce que vous ressentez, seuls les hommes de foi transmettent sa parole invisible et indescriptible. Les croyez-vous donc, ces renégats à la langue de serpent ?
Suivez donc mes paroles, mon écriture, laissez-vous guider par ces lignes qui vous feront reprendre conscience de votre être. Vous, femme renfermée, discrète et attachée aux valeurs aristocratiques, citoyenne lagandienne, n'avez-vous point envie de montrer que vous êtes femme ? Nous toutes, nous attirons la soif de conquête chez les hommes : les corsets, les jupes bouffantes aident à cette œuvre séduisante. Mais derrière cette cour antique, se cachent des secrets que seuls les esprits ouverts peuvent sentir. Que diriez-vous d'un enseignement à cet art de la séduction, aux savoirs que chaque être humain doit posséder ? Je sais de suite que lorsque vous lirez cette question, cette dernière pénétrera votre esprit et inspirera une réponse positive.
Je vous laisse tout le temps qu'il vous faudra mais si la réponse est négative, sachez que vous continuerez à subir l'ennui des gens aisés et la vie monotone des vieillards.
Margot de Galanta.
Lettre VII Du duc de Galanta à sa femme
Ma douce épouse,
Maintes semaines se sont écoulées depuis mon départ. Je me souviens encore de notre baiser brûlant malgré les bourrasques de vent aux grandes portes de notre domaine. Après le déjeuner traditionnel, je vous ai vu, belle et charmante dans une toilette chaude et réconfortante. Où trouvez-vous toutes ces effluves chatoyantes et ces couleurs séduisantes et poivrées ? Je me félicite d'avoir eu les moyens de payer la dot (certes coûteuse) que vos parents proposaient pour votre personne. Depuis que je vous ai épousé, j'ai cette peur qui noue l'estomac de tous les hommes mariés. Celle qui pétrifie vos membres, sème des doutes dans l'esprit et vient troubler le flot de vos pensées. Je ne doute point de vous mais devrais-je ? Lorsque les femmes sont livrées à elles-même, livrées à tous ces prédateurs sans pitié, elles se laissent séduire par la pire race des resquilleurs. Elles mentent, jouent un tout autre rôle et nous ne les reconnaissons plus. Je suis soulagé de ne rien entendre de mes compagnons et de plaindre plutôt les pauvres hommes trompés.
Dans le domaine de Tiradeau où je me situe, les seigneurs sont fort belliqueux. Refusant de se plier aux traités, nous devions à tout prix les déloger. Forts en discours et en rhétorique, nous privilégions la discussion. Nous demeurâmes donc entre les murs d'un seigneur tolérant qui accepta de partager ses lits avec nous. Des jours de négociation sont une victoire pour nous : un accord a été signé et nous repartons vers nos domaines, vers nos épouses qui nous manquent tant.
Je vous annonce donc que je reviens en ces lieux dans exactement deux jours et deux nuits. Si je suis malheureusement trompé, occupez-vous de repousser vos soupirants et de faire place à l'homme de votre cœur. Dernier petit mot : soyez sur vos gardes concernant le marquis de Lagandière. En effet, mes compagnons de négociation m'ont dépeint un sombre tableau de ce personnage.
En espérant vous revoir sublime et le teint frais,
Signé Honoré de Galanta.
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