Chapitre 13 Aux mains du Marquis
Lettre XXXXII De Rosalie de Parme au marquis de Lagandière
Monsieur !
J'ai relu votre lettre passionnée et chargée d'amour, je la conserve bien au chaud, ne vous inquiétez surtout pas ! Je sors d'un dîner complexe avec des invités fort aimables mais qui ne vous arrivent pas à la hauteur, heureusement pour vous, beau prince aux allures fières. Je dois tout de suite commencer à vous raconter ce que j'ai vécu en cet événement, les bougies brûlent vite et la femme de chambre risque de me surprendre et de rapporter mes petites affaires nocturnes à ma mère, ce qui donnerait une bien mauvaise image à ces messieurs. Commençons bien et terminons vite.
Hier soir, Papa a organisé un souper avec plusieurs de mes prétendants afin que je les connaisse un peu mieux et que je fasse un choix. Tout en m'apprêtant, Maman me donna mille conseils sur ma tenue, ma droiture, quand est-ce que je devais prendre la parole, sourire lorsqu'il y en avait besoin. Elle ressemblait plus à une institutrice qu'à une mère attentionnée soucieuse de sa progéniture. Un vrai moulin à paroles, vous l'auriez entendue ! « Rosalie, c'est un enjeu important qui se joue ce soir. Dans quelques semaines, nous organiserons un autre souper et je choisirai enfin l'homme qui me plaît, qui ne correspond évidemment pas à ce que je recherche. Il n'y a que vous pour satisfaire le moindre de mes besoins.
J'ai donc salué ces messieurs, quatre en tout. Nous avions les marquis Grâce et de Portheuil, le duc de Civerna, Messieurs de Guere-Tyrobin et de Graffe-Chaurin, des hommes bien habillés, certes très soignés de leur personne mais au visage terriblement laid ! Maman a dit tout bas qu'ils étaient charmants et qu'ils sentaient bon, Papa n'a pas fait de commentaire et s'est contenté de leur présenter la maisonnée. Nous nous sommes mis à table et les conversations se sont principalement orienté sur ma personne. Lorsque l'on me posait une question, tout le monde dont l'institutrice me toisait. En bonne élève, j'avais préparé mes réponses afin qu'il n'y ait pas d'interruptions dans la discussion (C'est Papa qui l'a affirmé). A la fin du souper, je m'effondrai sur mon lit après une ennuyeuse partie de cartes, Maman voulait que je joue pour prouver à ces messieurs mon habileté et mon intelligence. En réalité, je ne suis pas très forte mais par gentillesse, Monsieur de Graffe-Chaurin m'a laissé la victoire, une qualité honorable de gentilhomme. À la fin du souper, Maman me demanda ce que j'en pensais. Couchée dans mon lit, je soupirai bien fort et lui fis entendre que je n'en savais trop rien. Elle insista afin de m'en faire dire plus. J'étais si fatiguée que je fis un geste désinvolte qu'elle n'apprécia pas beaucoup. Puis une vilaine dispute éclata. Maman me cria : « Enfin, je ne comprends pas ce qui te pousse à hésiter, ces messieurs sont à la hauteur de nos espérances. Tu ne trouveras pas mieux ailleurs, enfin ! » Je fis semblant de comprendre puis elle me questionna durement : « Me caches-tu quelque chose que tu n'oserais pas dire à ton père Rosalie ? » Je restais bouche bée puis m'offusquai, protestai que jamais je ne dissimulerai une pareille chose à celui qui m'a mis au monde ! Mon géniteur, un père de famille modèle, jamais !
Méfiante, Madame ma mère ne répondit point et décida de me laisser en paix. Rouge de honte, mon visage se retrouva sous les couvertures. Ne m'en voulez pas, je vous en prie, je suis une pauvre petite fille sans autre solution que de bafouiller, je n'ai jamais, au grand jamais commis un acte pareil. À mon grand malheur, je soupçonne Maman de se méfier de moi, de mes dires et de savoir ce qui se trame entre nos échanges. Lorsque je m'absente avec Papa pour quelques courses, je l'imagine fouiller dans mes tiroirs, violer mon intimité, déchirer mes écrits, hurler de rage face à ma désobéissance. Jour après jour, j'ai le sentiment qu'elle me guette, surveille chacun de mes gestes et de mes paroles, de mes coups d'oeil hors de mes leçons, ceci est angoissant ! Je suis contrainte de redoubler de prudence et je vous écris depuis le coin sombre comme la dernière fois. Que je frissonne fort, le feu familial m'appelle, me supplie de revenir à la raison. Mais je ne puis, l'amour donne d'imaginables forces pour ne point succomber à l'autorité de mes parents et vous me l'avez bien appris ! Si vous pouviez m'apprendre à me protéger de toutes ces foudres, j'accepterais bien volontiers vos leçons, bien plus intéressantes que celles de mon précepteur sur les bonnes manières de vivre et le catéchisme avec le curé de Lagandière. Dans les jours qui viennent, tentez de convaincre Maman, de lui faire voir la vérité de votre âme et de votre être, je ne supporte plus ses critiques incessantes.
Je compte sur vous et pense déjà à un avenir plus doux,
Lily.
Lettre XXXXIII Du marquis de Lagandière à Madame de Parme
Respectueuse dame du monde,
Lorsque vous recevrez cette lettre et que vous apercevrez le sceau familial, vous serez prise d'une rage de femme. Et je la connais bien cette colère de femme, cette colère de mère refusant de voir cette vérité qui existe bel et bien aujourd'hui. Je suis fort ému de votre investissement auprès de votre seule et unique fille et j'admire votre courage et l'amour que vous lui portez. Je ne peux que compatir de votre méfiance envers moi, envers ma famille mais je ne vous permets pas de prononcer de pareilles paroles nous concernant. Vous nous considérez comme des rustres, des gens au quotidien contrasté mais nous sommes ce que nous sommes et au grand jamais vous ne changerez de belles personnalités. Rosalie de Parme est votre fille unique, la progéniture qui fera de vous et de votre époux des parents comblés, c'est une enfant profondément désirée. Mais je suis un être de ce qu'il y a de plus sincère. Malgré tous mes arguments, je sais que vous refuserez de le voir.
Toute cette agitation que vous créez à l'aide de votre époux, ces files de soupirants incessants, ces soupers majestueux, est-ce vraiment ce que souhaite votre fille ? Écoutez ses envies, ses désirs, ses préférences en matière d'hommes. Les filles ne sont bonnes qu'à se marier dans notre beau monde, ayez au moins la décence de la confier à un homme bon qu'elle aimera de tout son âme. Les bambins n'aiment point par la force mais par l'envie, la volonté que déploie une femme aimante pour son mari. Mais assez parlé de Rosalie, je m'intéresse à vous pour une raison bien particulière.
Quelle raison vous pousse à la faire marier à un homme bon ? Les critères y sont pour quelque chose, vous demandez les qualités d'un dieu, d'un être surhumain que même le plus parfait des gentilshommes ne peut posséder. Cherchez-vous réellement l'homme idéal pour votre fille ou pour vous ? Notre première rencontre sur ce banc de sable ne m'a pas laissé indifférent et je n'ai pas seulement observé Rosalie. Je vous ai sentie tendue, comme crispée et ce sourire que vous me fîtes s'avérait bien faux. Votre mari causait bien avec moi mais vous ne dites pas mot autant que la petite. Gêné par la situation, je posai tout de même quelques questions que Monsieur de Parme prit pour sa personne. Le quotidien semble être plus laborieux que vous ne voulez l'avouer : une femme malheureuse entre les mains d'un bourreau se tait quoiqu'il arrive, fait bonne figure face aux proches et c'est ce que je ressens dans les profondeurs de votre être. Ne rêvez-vous donc pas de quelqu'un de plus sensé, de plus honnête ? Vous pensez comme moi : Monsieur de Parme est un homme très près de son argent, ce goujat se pare de sa fille et de sa femme afin de se montrer et de dire :« Regardez à quel point je suis monté en grade ! Mes biens les plus chers sont une femelle et sa petite et rien d'autre ! » Si vous ne voulez pas que je sois auprès de votre fille, acceptez que je sois auprès de vous, vous ne regretterez pas l'engagement que j'aurais pour vous. Vous connaîtrez ce que votre époux ne vous a jamais donné et que vous avez sans doute maintes et maintes fois quémandé : caresses, doux compliments venant du cœur, attentions discrètes et touchantes, écoute attentive de vos petites plaintes quotidiennes. Mais bien sûr, je ne vous bousculerai point et comprendrai votre hésitation, je ne suis pas une brute contrairement à ce que vous dites au beau monde. Non, je serais un ami, un confident, un mari respectueux. Je ne vous demande pas de me répondre maintenant. Vous serez sans doute tiraillée par la vérité des uns et la vérité des autres. Mais ne vous laissez pas avoir par de ridicules rumeurs de gens envieux, pensez par un esprit fin et réfléchi, faites-vous votre propre avis sur cette affaire.
En vous présentant tout mon respect pour une femme telle que vous,
Monsieur le marquis de Lagandière.
Lettre XXXXIV De la duchesse de Galanta à Rosalie de Parme
Demoiselle de Parme,
Je me prétends être une bonne amie de longue date. Nous nous sommes perdues de vue lors d'une escapade qui d'ailleurs fut fort gentille et agréable. Nous avions causé sur un banc de bois dans un endroit de délicieuses rencontres qu'elles soient amicales ou de cœur. Pour moi, cette rencontre s'est avérée être un mélange des deux puisque nous nous sommes écrit pendant bien des années avant que vous ne mettiez un terme à notre correspondance. Triste et accablée de ne plus nous voir et rire comme en l'ancien temps, vous avez jugé juste – et je ne vous en veux pas – de suspendre l'envoi d'écrits qui pourtant me réchauffaient le cœur et l'esprit. Pourquoi n'ose-je point ajouter mon nom dans cette lettre et quelle est ma raison de correspondre avec vous ?
Je fouillai dans mes tiroirs à la recherche d'encre et de papier vierge et je tombai sur nos lettres. Je vis nos mots si tendres, si doux, si sincères que deux amies échangent entre elles. Une larme coula, je fermai les yeux, submergée par l'émotion. Ah, que vous me manquiez ! L'absence de cette odeur de jasmin répandue sur le papier et les quelques larmes échappées lorsque votre main guidait la plume émotive me rendent nostalgique, un manque considérable se loge en moi quand il m'arrive d'y repenser. Je suis heureuse de ce que vous êtes devenue. Vous avez toujours été une femme honorable qui mérite tous les égards d'un homme bon. Votre savoir-vivre ainsi que votre bonne tenue vous élèvent dans une société que vous méritez. En ville, moult personnes parlent de vous et ne manquent pas d'éloges, vous êtes excessivement demandée auprès d'hommes aisés et fort biens de leur personne. En rentrant d'une course, ma mère m'a rapporté qu'un mystérieux courtisan tenterait de vous séduire et que vous n'êtes point indifférente à ses charmes. Il va de soi que si j'avais été une mère, j'aurais protégé mon enfant contre vents et marées mais étant une amie chère et compatissante, je vous conseille de bien le connaître. Vous avez l'air fort éprise de cet homme, comment est-il ? N'est-il point trop pressant avec vous, vous demande-t-il des choses outrageuses ? Si cela est le cas, refusez, mettez un terme à cette conversation et suivez les recommandations de votre mère. Je n'ai pas le sentiment que ce dernier vous manipule et tente de vous enlever à vos parents puisque je le connais bien. Oui, j'ai fréquenté ce gentilhomme pendant quelque temps et il s'avère que tous ces mauvais commentaires gravitant autour de cette famille sont bien des sottises. Je sais que je ne pourrais vous faire changer d'avis et je contribue bien à l'amour que vous portez pour lui : lorsque deux personnes connaissent le sentiment amoureux et que ce dernier envahit leur quotidien, il est impossible de s'en défaire, il faut parfois lutter, se battre contre lui. Voici mon aide.
Dans quelques jours, vous ferez une crise à votre mère mais pas une petite crise non, une grosse crise qui choquera bien toute la maisonnée. Vous taperez des pieds, hurlerez qu'elle ne vous a jamais aimé, des choses terribles qui la blesseront bien fort. Vous vous ferez gronder par votre père par vos expressions impardonnables, il vous fera part de la déception de votre mère mais rien n'y fera. Vous ferez en sorte que les choses s'aggravent : vous refuserez de quitter vos appartements, même d'avaler quoique ce soit, de vous abreuver, vous ne voudrez plus sortir de votre chambre et réclamerez la présence de cet ami cher. Vous entendrez, - et je conçois que cela soit extrêmement douloureux pour vous deux -, les cris de votre mère derrière la porte. Néanmoins, vous ne lâcherez rien. Vous attendrez plusieurs jours avant de mettre le reste de la comédie à exécution : vous vous prétendrez très fatiguée, déprimée à cause du mal qui enserre votre cœur. Encore rongée par la colère et toujours rancunière vis-à-vis de Madame votre mère, vous ferez preuve d'une plume féconde et accusatrice. Vous communiquerez vos écrits à la bonne, vous vous empêcherez d'écouter les pleurs de votre génitrice, tout cela sera déchirant, vous serez prise d'une envie de la prendre dans vos bras mais c'est ainsi. Les mères doivent finir par comprendre que le bonheur de leur fille n'est sans doute point ce qu'elles se représentent elles-mêmes. La vigilance retombera, vous serez en mesure de frapper très fort et je vous demande de vous armer de courage. Les premières étapes ne seront pas simples mais l'ultime effort reste à faire, pour l'amour que vous lui portez. Une fois la nuit tombée et les esprits paisiblement endormis, vous ouvrirez votre fenêtre, ferez un nœud afin de laisser tomber votre drap et glisserez contre ce dernier. Lorsque vous arriverez au bas du mur, vous trouverez une carte dans une cachette que vous connaissez fort bien et dont je ne vais pas m'étaler sur les détails.
En tant qu'amie de longue date, je vous supplie, malgré la gravité de vos actions, de faire attention à vous et de ne surtout pas en faire trop. La comédie est bonne à petites doses mais il n'en faut pas de trop pour ne pas que le public vous démasque. Lorsque vous aurez bien appris ces instructions, incinérez la lettre, ne la conservez surtout pas.
Je vous soutiens coûte que coûte dans votre projet amoureux, sachez que l'amour que je vous porte est tel que je ferais n'importe quoi pour vous donner le bonheur que vous méritez.
Votre amie jusqu'à la mort.
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