Chapitre 15 La trahison de l'associée
Lettre XXXXVII De la marquise de Souche-Parré à la comtesse de Parois
Madame la comtesse de Parois,
Nous ne sommes pas faites pour nous entendre, il va de soi qu'aucune de nos activités ne nous réunisse un jour dans une amitié solide et profonde. Pourtant, en pensant à nos échanges et notamment à notre statut au sein du palais romain, nous sommes semblables : des mignonnes prêtes à tout pour séduire le prince. Ne pensez pas que vous êtes la favorite, il a bien d'autres filles à voir, bien des femmes vous l'ont dit. Certaines ont remarqué l'amour dévorant que vous lui portez et qu'il semble utiliser à bon escient. Il vous délaisse autant que nous Madame, voilà le problème ! Je nous prétends ennemies mais j'ai trouvé une faille qui pourrait nous allier pendant quelque temps. Je suis autant éprise du marquis de Lagandière que vous, j'ai des sentiments fondés et sincères envers cet homme original et bien fait de sa personne. Toutes deux l'aimons d'une façon différente et juste, c'est ainsi, les femmes n'aiment jamais de la même manière un homme qui a marqué leur existence. Nous voulons à tout prix le faire retomber dans nos bras afin qu'il ne puisse pas s'enfuir de nouveau. Nous sommes des femmes de caractère, puissantes et immortelles, prises de gestes et de paroles violents lorsque cela nous prend. Madame la comtesse, nous sommes pareilles, pourquoi ne pas s'allier pour une dernière fois, alors que nos tentatives de séduction sont vaines et que deux complices sont plus efficaces ensemble que séparément.
Toutes deux sommes condamnées par le sentiment destructeur qu'est l'amour. Depuis que nous avons croisé le chemin de cet homme, nous ne nous détachons point de sa personne, de son être dans son entièreté. Les rêves, les cauchemars, les fantasmes affluent dans nos nuitées, ne faiblissent pas comme les symptômes d'une maladie grave et incurable, rongeant les os et les chairs. Sœurs liées dans l'enfer, la jalousie fait de nous des personnages obsédés par la seule personne qui pourra nous apporter le soulagement nécessaire.
Je dus me rendre à l'évidence : après plusieurs semaines de délicieuses fréquentations, de champagne, de plaisirs et de luxure, j'eus l'impression que le prince du palais romain portait un certain intérêt pour moi. Il m'écrivit bien souvent afin de me rassurer vis-à-vis de cette entreprise que je trouvais fort vulgaire et garnie d'affaires louches. Il fit de moi une femme mûre, ne négligeant point mes connaissances en la matière et m'apprit bien des compétences. L'influence du palais romain attira des centaines de femmes de toutes les classes, il se désintéressa de moi lors de votre arrivée, je vous en voulais pour votre jeunesse, vos gestes gracieux, la beauté de votre corps. Il était mon ami, mon confident, mon éternel soutien et il m'abandonnait pour une jeune femme dont il ne connaissait ni la classe sociale, ni le nom ? Je me traitais de candide, d'imbécile, d'irraisonnée, de simplette à cause de l'erreur commise !
En vous voyant dans ses bras, rayonnante et rieuse, je conclus que vous aussi alliez tomber dans son piège, plus rien finalement ne vous enviait, vous n'étiez qu'un pantin entre ses doigts. Monsieur de Lagandière ne nous a jamais aimé, il prétend connaître l'amour et ses commencements mais il ne sait absolument rien. C'est un adolescent en pleine croissance, la cervelle peu garnie, il choisit une pauvre pucelle au lieu d'une véritable femme aux sentiments sincères. Quand nous vieillissons, les forces nous manquent, la tête devient bancale, les paroles moins précises. Nous ne sommes plus en capacité de remplir les exigences des jeunes hommes traîtres et facilement lassés du poids que nous représentons. Après cette bataille acharnée contre la protégée du prince, nous déterminerons quelle femme sera la plus méritante et remportera la victoire. Nous nous arrangerons bien entendu à l'amiable pour que cette dernière étape ne soit point trop violente. Puis chacune fera ce qu'elle voudra, récupérera le prince si elle veut vraiment et partira de son côté en tentant d'oublier les événements.
J'attends votre réponse avec une certaine appréhension. Nous sommes ennemies, nous le savons toutes deux mais une récompense nous attendra toutes les deux : le jeune homme adoré et vénéré.
La marquise de Souche-Parré.
Lettre XXXXVIII Réponse de la comtesse de Parois à la marquise de Souche-Parré
Madame,
Je pense cette opération impossible au vu des relations tendues que nous entretenons et de plus, je ne comprends pas la raison de nous allier. Nous n'avons pas les mêmes façons d'agir envers un homme : je suis directe et provocatrice, vous êtes plutôt timide et fort effacée. Cette alliance comme vous la caractérisez si bien ne sera que maladresse et échec, deux complices ne pourront achever cette tâche et je sais que votre amante est derrière cette affaire. Je puis vous dire que cela me dérange fortement, ne supportant pas la présence de cette femme empoisonnante et très douée pour faire la comédie, vous en êtes témoin et vous y contribuez aussi. Perverse, croqueuse de mâles et voleuse d'hommes honnêtes, elle ne mérite pas d'aide mais plutôt une souffrance lente et douloureuse dans son maudit domaine. Si elle ne fait pas partie de notre opération, j'accepte de vous apporter mon aide et ma solidarité mais je ne veux risquer de soucis avec la maréchaussée. La mission aboutie, il convient de nous taire et de ne pas avoir la langue qui fourche. Mais une chose me fait particulièrement rêver depuis que vous m'avez envoyé cette requête.
Je fantasme de l'instant où nous les surprendrons tous les deux dans un lit piteux d'une auberge, Lagandière sodomisant la petite. Nous enfoncerons la porte de toutes nos forces : la pucelle hurlera de surprise et Lagandière ce lâche se précipitera contre le mur, transpirant, les yeux écarquillés par notre venue. Nous dirons comment nous les avons trouvé, grâce à un aubergiste gourmand d'une belle somme d'argent, des poches sous les yeux, l'air fatigué, nous rapportant qu'un étrange couple avait fait irruption dans sa modeste habitation et avait fait l'amour toute la nuit. Les cris de truie l'avaient empêché de fermer l’œil. Je m'occuperai de sa maîtresse et pour mon plaisir personnel, je lui assénerai les violences les plus horribles. Quant à Lagandière, vous me le laisserez bien pour que je m'occupe de ses précieux bijoux, le fantasme de toutes les mignonnes du palais romain. Vous parliez de récupérer notre bien, il sera bientôt dépossédé de son héritable de ce qu'il a de plus cher et vous me les donnerez tous les deux par générosité comme un cadeau que l'on offre pour une amie. Vous ne vous inquiéterez pas pour eux, ils auront un excellent traitement, la jeune bourgeoise notamment aura le droit à un petit supplément. Celle qui nous a fait tant de mal et a contribué à détourner le prince du droit chemin aura une mort bien méritée : traînée par la racine des cheveux, les vêtements en lambeaux, isolée au milieu d'une forêt silencieuse et témoin de sa lente agonie, je l'étranglerai jusqu'à lui tordre le cou. Quant à ce malfrat de Lagandière, il pleurera sur le cadavre de cette petite sotte. Nous voulons des excuses sincères de ces deux êtres mais nous ne leur pardonnerons pas de sitôt. Soyons soudées pour la première et la dernière fois.
Votre alliée la comtesse de Parois.
Lettre XXXXIX De la duchesse de Galanta à Madame de Parme
Madame de Parme,
Je vous écris dans la plus grande urgence car les choses que je m'apprête à vous révéler sont d'une gravité à ne pas prendre à la légère.
En effet, je suis une amie éloignée de votre fille, nous nous sommes perdues de vue il y a bien longtemps. J'avoue, l'avoir soutenue dans ses projets amoureux et désormais je m'en veux de l'avoir jeté dans les bras de cet homme. Il s'avère que je connais bien celui qui ose courtiser votre fille, beaucoup de gentilshommes et de femmes honorables en parlent en bien mais certains sont mitigés. J'entends très régulièrement dans les environs de Lagandière des rumeurs peu flatteuses à son égard et j'ai tout de suite compris d'où elles venaient : après un recueil d'informations, – qui ne fut pas trop difficile puisque le sujet était abordé dans tous les lieux où je passais – je sus que ce marquis dont la famille respectée faisait l'unanimité, faisait le fanfaron dans son domaine apparemment entouré de femmes dénudées et le visage dissimulé derrière un masque. Tous avaient raison : votre fille entretient une relation intime avec un homme peu fréquentable, elle est aux mains d'un dangereux manipulateur ! Le marquis de Lagandière fait partie de la pire espèce de rats du pays. Le portrait que je vous en fais est des plus sincères et le connaissant que trop bien, je ne peux que confirmer ce que les gens disent de lui. C'est un adolescent vivant au crochet de ses parents et de son jeune âge, il domine l'ensemble de sa famille avec une ribambelle de paroles mielleuses et envoûtantes. Son passé est responsable de ce qu'il est aujourd'hui : fils d'une mère volage et très ouverte, victime d'une famille dont il ne faut pas en révéler les frasques, il est devenu ce qu'il est maintenant. Ils ont donné naissance à un fauve aux intentions sexuelles cruelles. Le jour, il a un visage d'innocent, de petit garçon encore couvé par sa mère, la nuit, il part à la recherche de femelles faibles et vulnérables, ce qu'est malheureusement votre progéniture. Il a du bien décupler une série d'arguments pour la séduire et l'amener à faire ces actions et je ne sais ce qu'il a employé. La question fatale de cette lettre risque de profondément vous blesser mais avez-vous eu une quelconque relation avec ce satané homme ? Je crains fort que cela soit affirmatif, vous avez du lutter pour ne pas tomber sous les moult paroles déployées pour obtenir votre fille. Tombée dans vos bras, vous étiez faible, vous vous livriez à lui, désormais il sait tout de vous !
Lorsque cette lettre vous sera parvenue, suivez absolument mes instructions. Demandez à l'un de vos plus fidèles domestiques de recueillir des informations sur le lieu où se trouve votre fille. Si Rosalie a affaire à quelqu'un de familier, il y a de fortes chances qu'elle revienne vers vous. Suivez absolument ce que je vous ordonne à la fin de cette lettre dramatique.
Madame, Rosalie est une amie très chère et je ne veux point la perdre dans une malheureuse histoire de mœurs. Elle m'a dit beaucoup de bien de vous, je m'excuse d'avoir peut-être participé à sa fuite. Comprenez mon désarroi, j'aurais souhaité la prévenir du danger qu'elle encourrait, vous avertir de sa fuite mais je n'ai pu, tiraillée par un dilemme infernal. Je vous en supplie, retrouvez-la saine et sauve, arrachez-la de ce prédateur condamnable !
En vous transmettant toute mon amitié et mon soutien,
L'amie de Lily autant que la vôtre.
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