Chapitre 18 La maladie de l'amour

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Lettre LV De la duchesse de Galanta à la marquise de Souche-Parré


Je ne comprends pas comment notre plan n'a pas pu aboutir. Quelque chose n'a pas fonctionné, j'aurais souhaité les voir mourir sous cette voiture mais secourus par de bonnes âmes, ce couple maudit reste vivant et rejoindra son horrible nid d'amour. Le comtesse de Parois est responsable de l'échec ! Se prétendant experte en conduite, elle n'a pas réussi à faire accélérer les chevaux dans le chemin forestier et n'a pas percuté leur voiture à temps. Folle de rage, je faillis hurler pour exciter les animaux afin de provoquer un choc plus spectaculaire mais rien ne se produisit. C'est comme si elle renonçait au plan et à la mort de la pucelle et de l'adolescent. En relisant la lettre qu'elle vous a envoyé, je m'interrogeai sur ses véritables objectifs. Comptait-elle sur notre rancune pour nous dénoncer auprès des autorités ? Si cela est le cas, nous devons fuir au plus vite mais rien ne me motive à franchir d'autres frontières que celle de Lagandière. Je les crus tous deux morts, réduits en bouillie sous leur voiture et lorsque je m'approchai de l'habitacle, ce fut une intense joie que je souhaitai voir le sang, leurs cadavres. Vous m'en empêchâmes et je trouvai cela odieux. Nous avions rempli notre mission de femmes libres et indépendantes contre nos ennemis, il fallait bien que nous vérifiions et confirmions leur décès ! Puis nous dûmes dissimuler la voiture dans un coin isolé où personne ne la chercherait, nous demeurâmes dans le froid et la précarité. La colère noire laissa place à une amère déception, à la précarité et la pauvreté d'un abri sale et malodorant. Vous appeliez cela « un abri », c'était plus une chaumière où la soupe faisait s'émietter les morceaux de pain humide et les couches garnies de cafards. Heureusement pour ma frêle santé, nous sommes reparties deux jours après chacune de notre côté.

Ce que je n'avais pas prévu me tomba dessus : mon époux, rentré avant notre départ, s'inquiéta de ne pas me voir à la maison et demanda à mes domestiques où je me situais. Ils tinrent leur langue et j'arrivai tard dans la soirée, rentrai discrètement au domaine afin de me laver et d'être présentable auprès de mon époux. Cet imbécile ne remarqua rien d'anormal, nous nous accouplâmes puis il repartit le lendemain matin. Je n'avais nullement l'intention de rester ici. Sa voiture disparue dans les bois du domaine, je me rendis à Lagandière pour séduire quelques hommes au salon côté d'une amie avec lesquels je couchai le soir même. Rien à voir avec la force physique et l'expérience de mon pauvre époux qui n'a jamais touché une femme de sa vie. Ils se servirent de moi, me caressèrent, me baisèrent, pénètrent chaque recoin de mon âme dans des positions qui m'étaient encore inconnues mais qui, une fois testées, s'avérèrent satisfaisantes.

Malgré la reprise de mes activités, nous ne pouvions pas en rester là. Vous semblez prendre tout cela à la légère. Depuis que vous êtes rentrée, vous n'avez proposé aucune solution de secours contre cette garce de Parois que je soupçonne pour sa maigre participation à cette tâche. Vous étiez la première à vous comporter comme un malandrin à l'esprit vif, vous vous dégonflez comme une femmelette. Je ne vous pensais pas aussi minable et faiblarde et s'il le faut, je récupérerai cet homme par mes propres moyens. Vous n'êtes ni digne d'une mignonne, ni digne d'une femme puisque vous êtes dans l'incapacité de vous mouiller, notamment ici. Je ne peux me détacher de ce renégat de Lagandière, il arrive pendant le sexe que je pense à sa personne, à sa présence et que son nom vienne effleurer ses lèvres. Vous cessez de l'aimer, vous trahissez la confiance, le temps et la patience que j'eus pour vous tout au long de cet apprentissage. Je demeure le maître, je pensais qu'en bonne élève vous arriveriez à faire preuve de jugeote et d'intelligence pour faire revenir le prince au palais romain. Vous n'êtes qu'immondices et je vous hais. Vous n'êtes pas une amie, vous ne serez plus une amante.


Vous avez fait échouer notre tentative d'intimidation, c'est aujourd'hui chacun pour soi. Ne comptez pas sur mon aide pour vous sortir d'un mauvais pétrin.


Margot de Galanta.


Lettre LVI D'Aimé de Gaudrec à la marquise de Souche-Parré


Madame la marquise de Souche-Parré,


Je tiens à vous adresser ce courrier de toute urgence. Il concerne en effet une de vos proches amies, je cite, Madame la duchesse Margot de Galanta. Je constate après plusieurs visites rendues chez elle que son état ne s'est pas amélioré. Je tiens à tirer la sonnette d'alarme car votre amie ne se porte pas comme je l'aurais souhaité. Vous êtes une amie apparemment fidèle et sur qui elle peut facilement avoir confiance, veuillez m'excuser mais je ne savais pas trop à qui écrire, le mari étant très absent selon Madame de Galanta. Les relations de couple semblent tendues voire inexistantes, il me semblait inutile d'alerter l'homme en campagne. Pour revenir à la patiente, le bilan est clair : elle est dévastée par tous les événements vécus et les personnes qu'elle a fréquenté. Je ne vois pas quel traitement pourrait soigner cette âme que je connais depuis l'enfance à part l'écoute et l'accompagnement que je ne peux garantir à cause de l'affluence de mes clients. Je demande donc si des proches (cousins, cousines, tantes, oncles ou encore époux s'il est en capacité d'épauler sa femme) peuvent subvenir aux besoins de la patiente. Car je crains fort qu'elle ne puisse y répondre seule à cause de son état actuel. Une autre chose me vient à l'esprit et mérite d'être rapportée.

Elle m'avait demandé de venir, son mari n'étant pas au domaine. J'arrivai donc le matin, fus accueilli par le domestique qui m'indiqua que Madame était dans le salon. Juste levée, elle prenait une collation. Rien d'anormal mais je sentis qu'elle voulait me demander quelque chose. Je m'assis, la saluai et elle commença un discours délirant. Elle me parla d'un accident qui avait eu lieu quelques jours avant avec l'aide de deux complices : elle vous nomma et révéla un autre nom que je n'ai pu retenir. Puis elle s'énerva fortement, gesticulant, manquant de faire renverser la porcelaine. A chacune de mes visites, je souhaitais qu'un domestique se tienne à proximité en cas de crise. Ce dernier intervint afin de la retenir, la pauvre femme balaya d'un revers de main son assiette ainsi que sa tasse remplie à ras bord. Elle refusa qu'on la retienne, elle se calma immédiatement. Elle ne mâcha pas ses mots, injuria tout le monde (je tiens à vous préciser que j'en faisais partie), fit exploser sa fureur en indiquant le nom de Lagandière et de Rosalie.
« Lagandière, Lagandière, rah ce pervers, ce benêt, ce con ! Accompagné de sa femelle la pucelle ! Si vous saviez comme je les hais, ces cochons, rah, ces cochons ! »

Elle ne cessait de rager, de grommeler, je compris que sa haine était destructrice et que j'étais en incapacité de lui venir en une quelconque aide.

Ce qui me parut étrange, c'est cette douceur dont elle est capable de manifester pour autrui. Je redoute et j'appréhende certains jours. Je ne sais jamais comment je dois me comporter car Madame de Galanta a une personnalité très étrange. Pourtant, j'avoue que je fais quelque cachotterie avec cette femme. Elle est devenue une patiente particulière, précieuse à mes yeux et je ne peux m'en détacher. Lagandière est une petite ville où tout le monde se connaît et parle les uns et sur les autres. Et cette affaire circulera bien vite, c'est une évidence. Je regrette cette rapide relation dont j'ai le sentiment qu'elle s'essouffle déjà. Je veux y mettre un terme car Madame de Galanta me harcèle, envoie moult mots à mon cabinet et insiste pour me rencontrer à n'importe quel moment de la journée. Si je viens à refuser, elle crise, s'énerve, parle de vengeance et redevient une femme toxique et nocive.

Je voulais vous confier tout ce que je sais sur cette personne à l'apparence fréquentable mais mentalement dévastée. Mes conseils sont les suivants : éloignez vous d'elle, éviter si possible tout contact d'ordre social, ne vous laissez pas emmener dans de dangereux délires.

En vous remerciant de votre compréhension et du sérieux que vous porterez à cet écrit,


Aimé de Gaudrec.


Lettre LVII De la marquise de Souche-Parré au duc de Galanta


Monsieur le duc de Galanta,


Je devine en vous une profonde tristesse depuis que je vous ai quitté. Une de ces rares journées ensoleillées planait sur Lagandière refroidie par les violents vents marins mais cela ne m'empêcha pas de vous rendre visite. Je découvris votre femme, rayonnante dans une toilette claire et vous éternellement sombre dans votre costume noir. Un contraste entre vous deux que tout Lagandière remarque à chacune de vos sorties : l'homme discret et la femme extravagante bien connue des salons côtés. Si vous saviez ce que l'on dit sur elle...Je ne sais si je dois vous le révéler mais il y a bien des choses que je connais sur cette femme. Vous êtes un homme bon, trop bon et qui ne veut sans doute pas regarder les choses en face mais Margot n'est plus la même depuis que vous partez en campagne. Je m'interroge sur le fait que vous ne vous doutiez pas de quelque chose lorsque votre surveillance était réduite à des kilomètres du domaine. Elle faisait comme bon lui semblait. Lagandière a ses petits secrets, personne n'ose le dire pour ne pas vous attrister et faire trop d'histoires. Les rumeurs vont bon train, on sait se taire quand le mari en demande trop, on mesure ses paroles et ses plaisanteries. On a abusé de vous cher Monsieur, je tiens à vous le dire et en tant que bonne amie, je vous mets en garde contre votre propre épouse. Que vous ont dit vos compagnons ? Vous ont-ils fait quelque blague désobligeante sur leur femme et notamment sur la vôtre ? Les discussions tournaient-elles autour de l'infidélité ? Si cela était le cas, vous avez été bien naïf.

Laissez-moi vous faire le récit de la vie débridée de Margot. Lorsque vous partez, elle accueille moult jeunes hommes, se rend dans les salons pour faire connaissance d'adolescents à peine sortis de la puberté et facilement manipulables. Elle les endort de compliments, d'espoirs concernant leur vie d'adulte puis les dévore tout entiers. Désormais, ils sont sous sa coupe prêts à tout pour la sauver d'histoires farfelues qu'elle invente sur vous. Elle se prétend être une femme malheureuse,dépressive, battue par vous, contrainte de se plier à des supplices sexuels. Tout le monde croit en ces multiples versions et lui font subir des interrogatoires pervers et curieux. Elle aime qu'on lui tourne autour, que toutes les attentions soient dirigées vers elle. En ville, on vous hait, on vous dévisage, on épie chacun de vos mouvements. Margot n'est pas l'épouse qu vous croyez, elle possède moult amants, les garde ou les jette comme de vieilles choses. Je suis obligée de dévoiler ses libertés, ses frasques car la situation devient incontrôlable pour moi mais aussi pour les personnes qu'elle fréquente. Pour vous Monsieur, je ferais tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous faire ouvrir les yeux sur tout ce qui se passe, puisque les événements passés risquent d'être fortement punis. Ses aventures sont les suivantes.

J'allai pour dîner chez vous en un jour où vous n'étiez pas ici, je rentrai et fus accueillie par le majordome. Le décor me parut très différent, le rideau massif entre l'entrée et la salle à manger qui n'était jamais tiré l'était et laissait entendre des gémissements. Sans retirer ma fourrure, je me précipitai. Je vis une scène affreuse. A quatre pattes et à moitié couchée sur le sofa, Margot se faisait – veuillez m'excuser – sodomiser par plusieurs hommes. Leurs masques ne me permirent pas de les reconnaître mais cela suffit pour me scandaliser. Toujours en gémissant sous les assauts de ces mâles, son regard m'observa, ses lèvres s'étirèrent en un sourire malicieux et elle murmura :
« Venez nous rejoindre Delphine, n'ayez pas peur. Nous nous amusons bien ».

Effrayée par l'allure des inconnus, je fis un pas en arrière mais n'osai toujours pas m'enfuir. Je devais vous le rapporter, vous envoyer une lettre sur-le-champ afin de vous rapporter les faits !

Margot organisa bien d'autres fêtes psychédéliques en des lieux insolites : fermes, domaines abandonnés, extérieur, pièces lugubres, toujours accompagnée par ses fidèles amants qui prenaient plaisir à explorer son corps. Elle est devenue la reine d'un lieu que tout Lagandière a déjà visité, le palais romain. Plusieurs soirées par semaine, s'illuminaient des êtres de la nuit couverts de poudre d'or, masqués, un verre de champagne à la main et prêts à rejoindre leurs couches. En entrant dans le palais, les couleurs vives laissaient place à une atmosphère plus douce et plus chaude dont le protagoniste, la reine du palais romain, trônait sur un siège d'ivoire aux pieds finement sculptés. Elle recevait tous les hommes et toutes les femmes du monde et ils pouvaient la toucher, la caresser, la mordre, la lécher. Je vous le répète et insiste sur cet élément : Margot se lassait de votre piètre expérience au lit et ne se gênait pas pour le faire savoir. Autour d'une fontaine déversant d'un côté du vin, de l'autre du champagne pétillant, elle plaisantait sur vous, vous traitait de malheureux garçon, de malhabile. On riait, absorbés par son envoûtant discours.

Je suis désolée de vous savoir dans un pitoyable état, je sais que vous aurez besoin de soutien et je suis de votre côté. Je ne vous laisserai pas entre les mains de cette femme diabolique dont les actions ne correspondent en rien à celles d'une femme équilibrée. Je suis là pour vous épauler en cette épreuve. Je suis désormais votre amie, votre confidente, ayez confiance en la personne capable de vous soutenir et de vous diriger vers des décisions plus sages. Nous serons de bons compagnons, nous nous soutiendrons le temps qu'il faut. Paysan, vous succomberez aux attaques, chevalier, vous vaincrez le démon.


La marquise de Souche-Parré.

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