Chapitre XIII :

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Les Elementaris étudiaient les restes des Xenos et conversaient à voix basse. Après un bref échange, deux d’entre eux à la peau cramoisie se levèrent et commencèrent à brûler les corps des rôdeurs qui, contrairement aux Xenos, ne tombaient pas en poussières à leur mort. Leur meneuse, une Elementaris de l’eau dénommée Neïlis, dépêcha plusieurs éclaireurs à la recherche d’éventuels ennemis dans les alentours.

Puis, elle dirigea son étalon noir vers le colonel Garrett et s'exprima dans un français parfait :

— Je suis désolée pour vos pertes. Nous étions en patrouille non loin d’ici, mais avons perçu la présence des monstres du Chaos trop tard pour tous vous secourir.

Sur les quarante-cinq soldats, Européens et Américains confondus, huit étaient morts. Douze avaient été blessés dont deux grièvement, mais les médecins s’affairaient déjà auprès d’eux, assistés par des Elementaris qui parvenaient, grâce à une magie incroyable, à arrêter l’hémorragie en manipulant l’eau dont le sang était constitué.

— Vous n’avez pas à vous excuser, s’enquit Garrett. Sans votre intervention, nous aurions subi des pertes bien plus lourdes.

— Nous vous sommes reconnaissants, ajouta Morin.

Le colonel Rogers, l’homme à la tête des soldats américains et l’homologue du colonel Garrett, la remercia également. Neïlis lui répondit en anglais, ce qui parut le surprendre. Pas moi. Peter nous avait prévenus que les Elementaris maîtrisaient un large panel de langues.

— Une fois que vos blessés seront capables d’être déplacés, reprit Neïlis, je propose que vous nous accompagniez à Thorlann. Pour votre propre sécurité.

Les officiers opinèrent du chef. Elysion, le bras droit bandé là où un Gerydïon l'avait griffé, l'interpella.

— Le Kalheni m’avait averti que les attaques de Xenos étaient fréquentes depuis la Bataille de Thorlann. Mais dans sa dernière lettre, il m’a informé qu’il n’y en avait plus eu depuis près de dix jours ! Je n’avais pas envisagé que nous serions en danger en revenant.

— De quand date cette lettre ? le questionna Neïlis.

— Cinq jours.

— Le temps qu’elle te parvienne, la situation a évolué. Les agressions des Xenos avaient diminué, mais elles ont redoublé d’intensité ces derniers jours. Malgré nos traques, il en vient encore et ils nous interdisent de nous éloigner de Thorlann en nous tendant des embuscades. Ils savent que nous prévoyons de partir, ils veulent nous ralentir.

— Mais ils ne nous font pas peur, intervint un Elementaris du feu à la chevelure de pierre rasée courte dressé sur un cheval brun tacheté de blanc. Contrairement à vous, ajouta-t-il en montrant notre groupe du doigt, qui tremblez comme une feuille en leur présence.

Nos soldats le foudroyèrent du regard et l’un d’eux ouvrit la bouche pour répliquer, mais Morin le fit taire d’un geste. Avant que la situation ne s’envenime, Neïlis se tourna vers le provocateur, les yeux plissés.

— Valenn, je ne t’ai rien demandé. File aider tes camarades à réduire en cendre les corps de Gerydïons ! Je n’ai pas envie de traîner ici plus que nécessaire.

Il nous dévisagea quelques instants avec un mépris évident, puis lança sa monture au galop. Elysion et Neïlis échangèrent un regard équivoque et je devinais ce qu’ils pensaient. Peter avait raison : tout le monde n’était pas prêt à nous accueillir à bras ouverts.

Une dizaine de minutes plus tard, nous reprenions la route, escortés par les Elementaris juchés sur leurs chevaux. Quelques-uns cédèrent, de gré ou non, leurs destriers aux blessés. L’Elementaris de la terre qui m’avait secouru, une dénommée Taliyah, me proposa le sien, mais je déclinai son offre. J’avais déjà suffisamment honte de ma conduite et d’avoir aussi lâchement baissé les bras, je refusais d'emprunter une monture que des hommes et des femmes méritaient bien plus que moi.

Eux n’avaient pas laissé la peur les paralyser.

Eux avaient lutté pour survivre.

Même Florian, Maël et Matt s’étaient battus !

Moi, j’avais renoncé.

— Tu te sens bien ? s’inquiéta Matt. Tu n’es plus vert, mais encore très pâle.

Je détournai les yeux, incapable de le regarder.

— Oui, je vais bien. Et c’est en partie grâce à toi. Tu m’as sauvé la vie…

— Tu aurais fait la même chose, dit-il en haussant les épaules comme si cela n’avait pas d’importance.

Vraiment ?

J’en doutais. Je n’avais pas été prêt à défendre ma propre peau, alors aurais-je été capable de protéger celle de mes amis de toujours ?

— Te fais pas de bile ! essaya de me rassurer Florian. On s’en est sorti !

— Et nous étions tous terrifiés, compatit Maël.

— Mais vous n’avez pas abandonné, vous ! rétorquai-je.

— Florian a grimpé dans un arbre pour se cacher, s’amusa Matt. Toi, au moins, tu es resté sur le champ de bataille !

Le rouquin le fusilla du regard.

— Quand un tigre géant te fonce dessus, crois-moi, tu fais pas le fier et tu grimpes à l'arbre le plus proche en priant que lui ne sache pas grimper !

L’image de cette scène m’arracha un vague sourire.

— Et dire que Peter en a affronté des centaines, murmura Maël, impressionné.

— Je ne parvenais pas à les imaginer lorsqu’il nous les a décrits, admit Matt, mais maintenant je pense que je ne pourrais jamais me retirer leur sale tronche de la tête.

— Espérons que nous n’aurons pas d’autres mésaventures en route, conclus-je. Et que nous n’aurons pas à en croiser avant longtemps.

Notre bonne étoile semblait m’avoir entendu, car une demi-heure plus tard, sans la moindre attaque et après avoir escaladé un énième sommet qui fit hurler mes pauvres pieds, Neïlis déclara :

— Bienvenu à Thorlann !

Nous regardâmes en contrebas et je manquai de m’étrangler. Mes réflexions maussades ainsi que les plaintes de mon corps courbaturé furent balayées, remplacées par une dose d’émerveillement qui me laissa bouche bée.

— Mazette ! s’écria Florian.

— Incroyable… souffla Matt, les yeux ronds.

Contrairement à ce que nous le pensions tous, nous n’avions pas gravi une montagne. Non, nous étions juchés au sommet de la paroi d’un gigantesque cratère où s’était développé et prospérait un véritable biome : la cité des Elementaris. Ce petit paradis, protégé par une impressionnante barrière minérale, n’avait rien à avoir avec les villes au sens où les humains l’entendaient. Elysion avait dit vrai : leur territoire était tapissé par une forêt luxuriante au feuillage si épais que, de notre point de vue, il était presque impossible de deviner qu’un peuple vivait sous son ombrage. Cet océan chlorophyllien s’arrêtait à la limite du cratère, là où une large rivière longeait le bord de la paroi pour faire barrage.

Au centre, un arbre brillait par sa taille démesurée qui surpassait celle du plus vieux des séquoias, mais également par sa singularité. À son pied, d’immenses racines jaillissaient du sol pour autoriser à pénétrer à l’intérieur de son écorce. Mais contrairement à un végétal ordinaire, il n’arborait aucune crinière de feuilles. Nu, son tronc se scindait en deux à la base et s’entremêlait comme deux brins d’ADN sur plusieurs dizaines de mètres. Était-ce la fameuse Tour des Cieux où se trouvait l’épée d’Astérion dont Peter nous avait parlé ? Là où lui-même avait résidé ?

Le soleil, désormais fort dans le ciel, gorgeait le champ fleuri qui poussait au pied de la tour siamoise jusqu’à la lisière, puis laissait place à des arbres de tailles normales aux branchages d’un vert parfait parsemé de neige. Cette fois, nous le ressentions : ce lieu était empli de magie. Une magie sylvestre qui préservait cet Eden contre l’effet des saisons.

— Regardez ! s’exclama Matt, la main en visière. Il y a un lac là-bas !

— Et cette sorte de montagne qui surplombe tout ! nous interpella Maël en désignant un massif rocheux droit comme une aiguille. N’est pas celui-là que Peter nous a décrit, l'endroit où il a obtenu le pouvoir de maîtriser les éléments ?

— Si ! se souvint Florian. Il a dit qu’il s’appelait Seuz’la !

— Bonne mémoire, remarqua Taliyah, l’Elementaris de la terre.

En revanche, Valenn, celui qui nous avait provoqués plus tôt, se crispa et grommela quelque chose dans la langue des Immortels que, bien entendu, nous ne comprîmes pas. Elysion, qui avait préféré rester à pied, se tourna vers lui.

— Les Kalhns étaient d’accord pour partager les us et coutumes de notre peuple, déclara-t-il en français. Peter avait l’autorisation de répéter nos secrets, que cela te plaise ou non Valenn.

Ce dernier le gratifia d’un regard noir, mais n’ajouta rien.

Nous longeâmes le vide jusqu’à un large escalier sculpté dans la pierre qui permettait de descendre sereinement au fond du cratère et d’entrer à Thorlann. Une fois en bas, nous traversâmes un pont que quatre Elementaris armés gardaient. Ils s’écartèrent à notre passage et nous fixèrent sans agressivité, mais avec une gêne notable. Certains soldats, toujours piqués par la provocation de Valenn, leur renvoyèrent leurs regards.

Nous suivîmes un interminable sentier qui menait au cœur de la cité. Plus nous nous en rapprochions, plus des maisons façonnées dans l'écorce des arbres étaient visibles. Elles semblaient germer d’une excroissance de leur peau, comme si le tronc avait gonflé avant de donner naissance à une habitation qui ne faisait qu’un avec son intégrité. Nous croisâmes de nouveaux Elementaris qui avaient dû détecter notre présence. J’aperçus un groupe d’enfants, âgés de moins d’une dizaine d’années, se dissimuler derrière les bois. Seules leurs têtes dépassaient, tournées vers nous. Matt les salua d’un geste et sourit, mais ils s’enfuirent, effrayés.

Mon ami cligna des yeux, décontenancé.

— Tu n’as rien fait de mal, lui assura Neïlis qui marchait devant nous, mais avait assisté à la scène. Comme beaucoup, ils ont appris dès leur jeune âge que vous chercherez à nous exterminer si vous découvriez notre existence. Aujourd’hui, même si vous venez en paix, nombreux sont ceux qui fuiront le contact avec vous.

Matt hocha tristement la tête pour indiquer qu’il comprenait.

Nous sortîmes enfin du couvert des arbres. La Tour des Cieux se dressa face à nous, imposante et majestueuse. Tandis que nous avancions sur l’herbe parsemée de fleurs, je sentais le regard des habitants sur ma nuque, dissimulés dans la forêt. Une fois au pied du géant siamois, notre escorte s’arrêta devant deux portes ouvertes qui permettaient d’y pénétrer. J’aperçus un large escalier circulaire qui grimpait le long de son écorce jusqu’à sa cyme, là où se trouvait la salle du Conseil.

— Quels sont vos représentants venus dialoguer avec nos chefs ? demanda Neïlis à Garrett.

Garrett fit signe à une femme de s’avancer. C’était une Anglaise, la diplomate désignée pour parlementer avec le Conseil des Kalhns qui régissait Thorlann.

— Je vous accompagnerai également, indiqua Garrett. Moi, ainsi que le colonel Rogers et le docteur Morin.

— Bien, accepta Neïlis. Le reste de votre groupe patientera ici.

Elle descendit de son cheval avec grâce et caressa son museau. Elle lui murmura quelques mots auxquels l’animal répondit en renâclant. Il se frotta à elle, ce qui la fit rire, et partit au galop dans la forêt. Les autres Elementaris remercièrent également leurs montures et les laissèrent décamper telle une horde d’étalons sauvages. Elysion s’avança, suivi des deux hommes et femmes accrédités pour rencontrer les dirigeants des Elementaris, et entra dans la Tour des Cieux.

Nous n’étions pas prisonniers, mais les huit Elementaris nous surveillaient attentivement. Si nous avions ordre d’attendre le retour de nos camarades, eux avaient ordre de s’assurer que nous obéissions. Même lorsque Florian, n’y tenant plus, demanda s’il pouvait aller aux toilettes, ils refusèrent.

— Soyez sympas ! les implora-t-il. Il suffirait que vous me laissiez près de l'un des arbres là-bas et je…

Le regard du garde Elementaris le dissuada de terminer sa phrase. Il retourna s’asseoir avec nous, la tête basse.

— Qu’est-ce que tu penses qu’ils se disent là-haut ? me questionna finalement Matt à mi-voix.

— Ils décident s’ils acceptent de nous intégrer dans leur société, j’imagine.

Un soldat français, un jeune homme noir d’une trentaine d’années nommé Théo, se pencha vers nous.

— Avec les monstres qui rôdent autour, j’espère qu’ils envisageront de nous laisser dormir chez eux. Ou au moins camper dans leur forêt. En cas d’attaque nocturne, nous serons des cibles faciles hors de ce cratère.

— Notre ami, Peter, nous a dit qu’il y avait peu de chance qu’ils acceptent de nous loger, lui confiai-je. Ils nous en veulent terriblement à cause de…

— De cette histoire comme quoi nos ancêtres les auraient chassés ? termina Théo. Franchement, ils ont la rancune tenace !

Il jeta un œil aux Elementaris qui discutaient à quelques pas.

— On est tous dans le pétrin parce qu’un dieu veut se réincarner, si j’ai bien tout compris. J’avais un peu de mal à y croire quand on m’a révélé ça, mais maintenant que j’ai rencontré Elysion et que je vois que Thorlann existe bel et bien, tout autant que les Xenos, je me dis qu’on est tous dans la même galère. Nous arrivons pour leur accorder un savoir que nous avons mis des siècles à acquérir et nous me leur offrons gratuitement. Ce serait hypocrite de leur part de nous refuser l’accès à leur cité !

Me remémorant les paroles de Peter, je répondis :

— Nous avons un ennemi commun, c’est pour cette raison qu’ils consentent à nous recevoir et à s’allier à nous. Mais notre savoir ne les intéresse pas, ils l’acceptent juste en gage de présent et de potentiel cadeau de réconciliation.

Théo eut un rictus.

— Ils ont plutôt intérêt à l’apprécier ! Bientôt, je parie qu’ils nous supplieront de leur expliquer comment fonctionne une radio pour cesser de communiquer par le biais des oiseaux ! Et puis, vous avez vu leurs habitations et leurs vêtements ? Si vous voulez mon avis, ils ont tout l’air de sauvages primitifs qui…

Soudain, il fut arraché du sol. En un éclair, Valenn, l’Elementaris du feu, l’avait empoigné par le col et le tenait à bout de bras, les prunelles embrasées.

— Sauvage primitif, hein ? gronda-t-il.

Théo, les yeux écarquillés, se débattait comme un beau diable, mais l’Elementaris avait une poigne stupéfiante. Le reste de notre troupe mit quelques secondes à réagir. Ils se dressèrent d’un bond et braquèrent leurs armes sur le guerrier enragé qui les ignora, totalement accaparé par sa victime. Les autres Elementaris, un instant surpris, pointèrent leurs lames vers nos hommes tout en jetant des regards circonspects vers Valenn.

— Repose-le ! ordonna l’un des nôtres.

— Pas tant que ce misérable humain n’aura pas appris le respect, répliqua l’Elementaris du feu, la mâchoire crispée.

Il embrasa sa main libre, les traits déformés par la colère.

— Arrêtez ! s’écria Matt en s’efforçant de faire baisser leurs mitraillettes aux soldats. Si vous vous battez, tout arrangement sera impossible !

— C’est lui qui menace l’un des nôtres ! rétorqua un militaire.

— Je suis désolé ! s’exclama Théo dont le sang avait fui son visage. Je ne pensais pas ce que j’ai dit ! Je…

— Et maintenant, tu oses me mentir, siffla Valenn.

Loin d’avoir arrangé les choses, les excuses de Théo avaient empiré la situation.

— Valenn ! intervint Taliyah qui dressait son bouclier entre ses congénères et notre bataillon. Relâche-le !

— Ils n’ont pas changé Taliyah ! rétorqua l’Elementaris du feu sans détourner son regard flamboyant de Théo. Ils sont venus chez nous avec l’arrogance de se considérer comme supérieurs ! Comme si nous désirions leur savoir et que nous leur devions quelque chose !

— Ils sont venus racheter les erreurs de leurs ancêtres, le tempéra un autre Elementaris à la peau blanche dont l’arc était tendu dans notre direction. Ne laisse pas la bêtise de l’un d’eux empêcher toute réconciliation entre nos deux peuples ! Il en va de notre survie !

Valenn les dévisagea tous les deux quelques instants qui sembla durer une éternité. Notre voyage prendrait fin immédiatement s’il décidait de frapper. Je retenais ma respiration. Enfin, au prix d’un terrible effort, Valenn relâcha Théo qui tomba lourdement. Ce dernier rampa en sécurité vers nous, le souffle court.

— Vous deux ! accusa l’Elementaris du feu en désignant ses deux camarades. Taliyah, Alatorn, vous vous êtes laissés bercer d’illusions par les belles paroles et actions de Peter ! Bientôt, vous verrez que j’avais raison : aucune entente n’est possible, ils finiront par nous planter un poignard dans le dos comme ils l’ont fait par le passé !

Puis, il se détourna et partit dans la forêt sans un regard en arrière.

Taliyah prit une profonde inspiration, abaissa son bouclier et se tourna vers Théo. Ses yeux noir réduits à deux fentes firent tressaillir notre camarade.

— Je t’ai défendu, humain, pour préserver la paix. Mais cela n’enlève rien au fait que ce qu’il a dit est en partie vrai. Si tu ne nous vois que comme des êtres inférieurs, je t’invite à retourner dans ton pays dès aujourd’hui. Sinon, tu nuiras à tout ce que nous tâchons d’entreprendre.

Théo la dévisagea en silence.

Au même instant, les colonels Garrett et Rogers, Morin, la diplomate anglaise et Elysion sortirent de la Tour des Cieux accompagnés d’un vieil Elementaris. Sa peau était d'une pâleur de porcelaine en adéquation avec les roches qui coiffaient son crâne. Vêtu d’une longue toge blanche, le cou enveloppé dans une écharpe grise malgré la température douce, ses yeux étaient d’un bleu aussi translucide que le ciel.

Son regard perçant et bienveillant se posa sur chacun d’entre nous.

— Je vous présente le Kalheni de Thorlann, annonça Garrett. Il s’agit du Grand Ancien, celui qui prédomine le Conseil des quatre dirigeants de la cité.

— Je vous adresse mes plus sincères salutations, s’enquit le Kalheni, le sourire aux lèvres. Je suis ravi de pouvoir vous accueillir chez nous.

— Le Kalheni, poursuivit Garrett, ainsi que ses confrères, ont accepté notre demande de partager leur quotidien afin de les aider à préparer leur départ, mais également notre proposition de transmettre notre savoir médical et technologique. Ils concèdent à ce que nous installions notre campement non loin d’ici pour assurer notre sécurité face aux créatures qui rôdent dans les terres de San Rafael.

— Nous vous imposons simplement de ne pas chasser, pêcher ou cueillir les fruits que vous trouverez, précisa l’Elementaris. Nous vous fournirons nourriture et eau potable régulièrement et, si vous manquez de quoi que ce soit, je vous invite à venir nous le réclamer.

— Merci encore pour votre hospitalité, le remercia le docteur Morin.

Le Kalheni lui sourit et continua en anglais :

— Nous espérons pouvoir quitter notre cité dans une dizaine de jours, si le Président américain accepte de nous laisser traverser son pays. Comme vous le savez, la réincarnation d’Hepiryon devrait avoir lieu dans dix-sept jours, cela ne nous offre que peu de temps pour nous préparer.

Il fixa longuement le colonel Rogers qui comprit que ces paroles s’adressaient plus à lui qu'aux autres. Ce dernier devait faire un rapport journalier à son gouvernement sur la potentielle menace que représentait le peuple Elementarien. Il était le seul à pouvoir obtenir l’autorisation aux Elementaris de quitter Thorlann sans avoir l’armée américaine sur le dos.

— J’ai déjà expliqué le fonctionnement de notre société à vos supérieurs, conclut le Grand Ancien, en français cette fois. Nous nous sommes mis d’accord sur le rôle que vous aurez dans notre quotidien et sur les règles que vous aurez à suivre à partir de demain. Maintenant, Taliyah et Konör vont vous guider à votre futur campement et j’enverrai quelqu’un vous apporter de la nourriture. J’espère que votre séjour ici se passera pour le mieux et vous fera réaliser que nous avons tout à apprendre les uns des autres.

Son regard s’attarda sur Matt, Maël, Florian et moi. Il était apparent que nous étions bien plus jeunes que les autres membres de l’expédition et Elysion avait dû l'informer sur notre relation avec Peter. Il nous salua d’un signe de la tête, puis retourna dans la Tour d'une démarche si légère qu'il semblait voler. Je comprenais ce qu’avait voulu dire Peter : cet Elementaris incarnait la sagesse et le calme même. Sa simple présence avait suffi à apaiser la tension qui s'était installée suite à l'incident entre Théo et Valenn.

Taliyah et Konör, un Elementaris de l’eau, invitèrent le groupe à les suivre tandis que leurs semblables prirent congé. Je remis ma besace sur le dos et m’apprêtai à les accompagner, mais Elysion nous interpella :

— J’ai obtenu l’autorisation pour que vous séjourniez chez moi, si vous êtes d’accord.

Nous haussâmes tous les sourcils en même temps, ce qui fit sourire Elysion.

— Tu te proposes de nous accueillir ? m’étonnai-je.

— Oui.

— Pourquoi ? ajouta Maël.

— Vous êtes les amis de Peter, répondit-il. Et jusqu’ici, je dois dire que je vous apprécie. Je pourrai également vous permettre de rencontrer d’autres Elementaris et vous expliquer comment fonctionne Thorlann. Il faudra simplement que deux d’entre vous partagent un lit, mais ce sera plus confortable que vos sacs de couchage.

— Un lit ! saliva Florian, les yeux brillants. Prem's !

— Comment as-tu fait pour convaincre Morin ? demanda Matt, intrigué.

— Je lui ai promis que vous serez à l’heure auprès de vos tuteurs. Elle m’a donné leurs noms et nous avons établi un lieu de rendez-vous quotidien où vous les retrouverez pour les accompagner le reste de la journée. Et comme vous n’êtes pas habitué aux campements militaires et qu’elle ne vous aime pas particulièrement, ça n’a pas été difficile de le persuader.

J’imaginais bien la sévère médecin ravie qu’Elysion lui retire l’énorme épine que nous représentions dans son pied. Et, soyons honnêtes, Florian aurait été d’une humeur exécrable tout le séjour s’il avait dû dormir à même le sol dans un sac de couchage.

— Elysion, déclara solennellement le rouquin, je te kiffe à mort !

Tout le monde rit.

Soudain, Florian se figea comme s’il venait d’avaler une mouche. Il fronça les sourcils et tourna sur lui-même à la recherche de quelque chose.

— Qu’y a-t-il ? demanda Matt, toujours hilare. Tu as peur que Morin revienne te chercher par la peau des fesses ?

Mais Florian ne sourit pas à la blague. Il semblait troublé.

— Vous n’avez rien entendu ?

Nous secouâmes la tête.

— Tu es simplement fatigué, diagnostiqua Maël.

— Je ne pense pas, songea Florian, le regard dans le vide. J’ai entendu des mots dans une langue que je ne connais pas. Je crois... Je crois que c’était de l’Esternal.

Cette fois, Matt cessa de rire et Elysion haussa un sourcil.

— L’Esternal ne s’invente pas, dit ce dernier.

— C’est pour ça que je ne pense pas avoir halluciné, justifia Florian.

— Il est possible que tu aies entendu les paroles qu’un Elementaris de l’air a fait porter par le vent, mais normalement ils n’atteignent que le destinataire du message. Or, aucun des miens ne te connaît encore et n’aurait de raison de t’adresser un message.

Florian et son incroyable cerveau semblaient, pour l’une des premières fois de leur vie, dans l'incompréhension. Il se gratta la tête, le regard songeur. Je pouvais presque distinguer les rouages dans son crâne tourner à plein régime.

— Qu’as-tu entendu ? lui demanda Elysion. Tu serais capable de me le répéter ?

Notre ami ferma fort les paupières et, après quelques secondes, marmonna :

Nae fora meor diës.

J’échangeai un coup d'oeil avec Matt et Maël. En effet, ce type de phrase ne s’inventait pas et si Florian assurait l’avoir entendu, aussi farceur qu’il l’était, il ne mentait pas. Je ne l’avais jamais vu déstabilisé à ce point.

— C’est de l’Esternal ? questionnai-je Elysion.

Ce dernier scrutait notre ami, pensif.

— Oui, c’en est.

— Et qu’est-ce que cela signifie ?

Après quelques instants, il se tourna vers moi.

— Les quatre sont revenus.

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