1.8 - La transition shyve

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Suite à la disparition de Bâlâ Seh, il était impossible pour les miens d'exposer la vérité divine aux Humains. Sans lui, la longue préparation à cette révélation n'avait plus aucun sens. Kalinaas le Fils et ses proches descendants s'évertuèrent à rechercher le précieux leg d'Érès à travers toute la Sakasie. Ils poussèrent même le vice à retracer pas à pas le parcours supposé d'Itomas le baroudeur, disparu avec l'ouvrage. Le clan Cytharoès auquel ce dernier appartenait feignait l'ignorance et entra durablement en conflit avec ma lignée.

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Esméraldée la Voyageuse, arrière-petite-fille de Kalinaas le Fils et héritière du clan Imagazoas, était toujours en quête de Bâlâ Seh lorsque la Sakasie fut confrontée aux invasions barbares. Elle survécut à la chute de Parthénis et fut témoin du délitement et de la scission du royaume en de multiples principautés indépendantes, barbares ou sakases. Les dirigeants de ces micro-États n'étaient rien d'autre que de vulgaires chefaillons se réclamant d'ancêtres prestigieux, ou parfois de simples chefs de clan. Il n'y avait plus ni roi ni empereur autour de la mer Centrale, mais la nostalgie d'un puissant État sakase unifié alimenta les espoirs de toutes les générations qui succédèrent à l'invasion barbare. Ce fut pourtant à l'extérieur des frontières, dans ces contrées shyves encore considérées comme sauvages, que l'institution impériale ressuscita après des millénaires d'attente.

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Waneta le Rugissant, simple chef de clan de la tribu des Peaux-grises, sillonnait le cours du cyclade chaque année à la même époque. Il proposait des peaux d'aurofle aux Sakases de la mer Centrale, tandis qu'il rapportait chez les siens des épices, du vin et des produits manufacturés. Il noua de nombreux contacts à Parthénis, dont certains comptaient parmi les plus riches et les plus influents notables. Il obtint de leur part (ou paya) une place à l'université royale, laquelle formait l'immense majorité des hauts fonctionnaires de Sakasie. Les cinq années de scolarité l'amenèrent jusqu'au début des incursions barbares des frères Norvskr le Puissant et Nordr le Fier. Désormais très impliqué dans la vie du royaume, en plus de s'être marié avec une sakase de bonne extraction, il resta fidèle à ses hôtes et combattit à leur côté. Les deux cents guerriers et guerrières de son clan qui l'avaient rejoint furent également mis à contribution.

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Le détachement shyve participa activement et brillamment à la défense de Parthénis, assiégée par Norvskr le Puissant. Archers redoutables et athlètes fantastiques, ils furent de tous les combats. Mais le souverain sakase au nom désormais infâme, Ighytès, négocia la libération d'un parent avec le chef barbare. En échange de son incompétent neveu, il n'hésita pas à sacrifier Waneta le Rugissant et son clan. Il organisa vilement leur capture, puis les livra au Puissant sans aucune autre forme de procès. Les princes sakases, probablement jaloux de la réputation des Shyves, ne protestèrent aucunement. Pire, l'un d'entre eux planta son poignard dans le cœur de Lamaztée d'Icarlis, épouse de Waneta le Rugissant, comme pour effacer toute trace de cette perfidie. Elle était l'amie d'Esméraldée la Voyageuse, mon ancêtre alors présente dans la ville assiégée.

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Celle-ci avait enfin retrouvé la trace de Bâlâ Seh, dans le palais royal de Ighytès l'Infâme qui s'était entouré des hommes du clan Cytharoès... Il est probable que ces lâches, incapables de le traduire, aient cédé le manuscrit au roi à la faveur d'une ascension sociale perverse. Mais la Voyageuse, bien seule en cette période de trouble, manquait d'options pour mettre à l'abri le précieux ouvrage. Elle misa finalement sur une défaite sakase, ce qui ne tarda pas à arriver. Privée de ses meilleurs guerriers, Parthénis chuta en effet brutalement.

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Le roi fut écartelé devant ses sujets, la cité fut pillée et Norvskr le Puissant s'empara de Bâlâ Seh ainsi que de l'antique couronne impériale, précieux talisman détenu par les souverains sakases depuis de nombreux siècles. Profitant de la pénombre et du fracas des armes, Esméraldée la Voyageuse rallia Waneta le Rugissant, encagé et mutilé avec le reste de ses guerriers. Le chef barbare avait crevé un œil et arraché une oreille à l'ensemble des captifs pour détruire leur volonté de résistance. Mais le Shyve fut loin d'être brisé. Il accepta le marché de mon aïeule : en échange de la libération de son clan, il prit l'engagement de s'emparer puis de livrer Bâlâ Seh et la couronne. Le Rugissant accomplit sa mission avec talent et maîtrise. Il refusa néanmoins de céder la couronne impériale à Esméraldée la Voyageuse. Il reprit immédiatement le chemin de ses origines avec son clan mutilé et ne se retourna plus. Mon ancêtre manqua une occasion unique de détruire le dernier symbole impérial mais gagna l'essentiel, l'ouvrage divin.

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Ironie de l'histoire, cette couronne conservée précieusement par les rois de la deuxième civilisation sakase, n'avait jamais été considérée comme authentique. Elle était, tout au plus, un idéal à atteindre et une source de légitimité pour ces souverains au pouvoir limité. Lorsqu'elle fut volée par le chef de clan shyve, l'indignation et la nostalgie s'emparèrent du monde sakase. La couronne apparut dès lors comme le témoignage de la décadence de la Sakasie au profit d'un peuple en pleine ascension, les Shyves, qui d'ailleurs avaient repoussé les incursions barbares sur leur propre territoire.

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Le clan de Waneta le Rugissant prit le nom de "Unique", en raison du seul œil et de la seule oreille de ses membres. Ils furent d'emblée honorés à leur retour au pays. La population leur prêtait le don de repousser les mauvais génies. Les Peaux-Grises se soumirent à leur influence, puis ce fut au tour des tribus voisines. Le chef du clan Unique, ébranlé par son expérience sakase, ne s'embarrassait plus de diplomatie ni de finesse. Sur son passage, il ne laissa aucun autre choix à ses opposants que de reconnaître son autorité ou de s'exiler. Il se rendit maître de toute la vallée du Chattanaga en quelques années, non sans quelques coups de force. Il fonda son pouvoir d'une part sur l'assemblée des sages constituée des chefs de tribu les plus vénérables, et d'autre part sur ses deux cents guerriers et guerrières mutilés qui formaient sa garde d'élite.

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Les shyves éprouvèrent de la fascination, teintée d'exaltation, envers lui et son clan. Vers 2050 a-crH, 25 ans après l'épisode de la trahison de Parthénis, il subjugua la cité d'Istendria et acheva son triomphe sur l'ensemble du peuple shyve. Le conseil des sages l'éleva au rang d'empereur, ou "werowance" ("souverain universel" dans la langue shyve), au cours d'une cérémonie religieuse en milieu naturel, au pied de la grande cascade soi-disant habitée par un génie bienfaiteur. Waneta le Rugissant se para de la fameuse couronne et proclama l'avènement de l'empire shyve, désigné héritier de la civilisation originelle. Cette annonce solennelle provoqua la consternation des Sakases, alors en plein chaos.

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