Petit déjeuner

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Au petit déjeuner, le lendemain, je suis allée sans mot dire m’asseoir à ma place. J’ai essayé de renvoyer la lunch box vide, mais nada. Pareil pour Schrödinger. Dans ce sens là, il ne passe plus !

Je suis devenue une sorte de trou noir dont rien ne peut sortir, et où tout peut entrer, pour peu que la surface, convenablement ionisée, grouille d’électrons. Cela tombe bien, j’ai faim.

Luv était venue très tôt ce matin. Elle était assise en face de moi, près de mon père. Linh lisait la traduction en Thaï sur une boîte de corn flakes, la tournant dans tous les sens pour examiner le code barre et les QR codes. Elle la reposa pour me regarder. Tous, autour de la table, venaient de comprendre mon silencieux appel au secours.

— Evidemment, dans le monde des particules, il est rare de trouver des tartines beurrées…

L’humour de mon père…

Mais personne n’a ri. Drôle d’ambiance, ce petit déjeuner où tout le monde porte des lunettes noires. Dans le genre funèbre, on ne fait pas mieux. C’est déprimant.

Mon père a bu son café, puis m’a fixée, droit je ne sais où, quelque part sur le front.

— Béatrice, tu ne peux pas venir avec moi, au laboratoire. Tu es trop… visible… Là-bas, avec tous ces instruments ultra-sensibles, et les détecteurs de sécurité, tu ne tromperais personne. Mais, peut-être, pourrais-tu aller au collège, avec Linh et Luv ? Tu seras bien mieux qu’ici à la maison, à broyer du noir.

Il avait raison. D’ailleurs, perdue en mon moi bidimensionnel, à la surface d’un trou noir non répertorié, qu’y avait-il d’autre à broyer ?

Mais, qui voilà-t-il donc… mon frère qui descend les escaliers. Quand on parle de broyer. Il ne manquait plus que lui ! Que tient-il dans les bras ? Ma peluche fluffie douce, la seule, l’unique !

Et que vois-je ? Voilà qu’il ouvre sa fermeture éclair, il l’étripe, ce sadique ! La vide, et la voilà toute flagada… En toute franchise, je ne savais pas qu’il y avait autant de cochonneries à l’intérieur.

Bientôt, je reçois ma peluche préférée, formatée au carré par une barquette en plastique. A l’intérieur, Ô miracle ! Mes tartines préférées. Miam. Schrödinger a eu droit à une balle de tennis entaillée par Linh au cutter et frottée à la bakélite, remplie de croquettes.

Miam miam.

Merci, Jonas, merci luv, merci Linh. Merci, papa.

Le ventre bien plein de je-ne-sais-trop-quoi, je préfère ne pas réfléchir. Cela fait du bien. L’espoir revient.

Dans la voiture, pour une fois, Jonas est à l’avant. Frustré de son activité préférée du matin, il pianote staccato sur le tableau de bord. A l’arrière, Linh et Luv m’encadrent. Ce n’est pas vraiment nécessaire. Si ça peut les rassurer.

Mon père, qui voulait se montrer gentil, est descendu pour ouvrir la porte, mais j’étais déjà sortie.

— Houps… Pardon ! C’est vrai…

Imbécile…

— Bon, bien. A ce soir ?

Est-ce la peine de répondre ? Ils ne m’entendent pas. Peut-être que, parfois, je clignote un peu plus fort, ou différemment.

— Heum… Je crois que je vais déjà travailler sur ma caméra holographique. Avec quelques réglages et un décodeur, on devrait pouvoir améliorer la netteté, et puis, peut-être, communiquer ?

Ho, espoir ! A quoi te raccroches tu ? Et moi dans tout ça ?

Encadrée par Linh et Luv en lunettes noires, j’entrais au collège en grésillant de colère, traversant les grilles.

Le cauchemar empirait. J’aurais tout donné pour que ce jour n’arrive pas. En tout cas pas aujourd’hui !

Celui que je ne dois pas croiser s’avançait vers moi.

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