Affinités quantiques
Ce qui est bien dans le monde quantique, c’est la vitesse et aussi le timing parfait. La synchronisation. Lorsque j’ai compris, en écoutant mon père, que Linh et Luv n’étaient peut-être pas mes copines, en un claquement de talon, je me suis retrouvée à 10.000 mètres d’altitude, les laissant s’étriper sur le canapé, en russe et en chinois.
J’aurais du m’en douter. De toutes les langues parlées par Linh, il manquait notablement le chinois. Comme le dit souvent ma mère ;
— « Ce que l’on tait est ce que l’on cherche à cacher » C’est de Maître Chu. C’est très profond, n’est-ce pas Béatrice ?
Mais moi, je trouvais ça totalement idiot. Jusqu’à aujourd’hui.
Assise en lotus, je me fais l’impression d’être un origami flottant dans le ciel. Maman tu me manques. Je voudrais te revoir. Tu dois être dans l’avion à destination de Melbourne, maintenant. Je comprends mieux pourquoi père ne souhaitait pas te contacter. Ainsi, non seulement tu ne t’inquiètes pas, mais tu n’es pas en danger. ô, vertu de l’ignorance ! Et dire que certains craignent de prendre l’avion.
Je redescends doucement. En dessous, la maison se rapproche. Jonas est dans le jardin, avec Linh et Luv. Qu’est-ce qu’ils trafiquent ? Ils sortent des tas d’objets, et les posent sur le gazon. Ils écrivent quelque chose.
— « Amies, pas ennemies. Signé : Jonas. Luv. Linh. »
Le tout écrit avec des briques de lait demi-écrémé, des BD, un jeu de quilles, une balayette avec sa pelle. Même mon jean a été mis à contribution, pour le V de Luv. Je vous épargne la suite, ils ont vidé la maison, ma parole !
Je ne sais pas s’il faut les croire. Il serait temps pour moi d’examiner mes relations d’un oeil neuf. Ça tombe bien. Comme dans le monde quantique, ça ne compte pas mais ça combine des états superposés, je vais peut-être, enfin, savoir sur qui je peux compter, quantiquement parlant. Assise en zazen, je vide mon esprit et laisse Luv et Linh, mon père et ma mère, et même mon petit zombie, se superposer en état ami-ennemi.
« J’aime les neuneus. Luv et Linh sont peut-être mes amies, ou pas. Mes parents, itou. » Parce qu’ils sont bien chelous ces deux là. De toute façon, c’est toujours la faute des parents, non ? Et si je suis là, c’est un peu grâce à eux, ou à cause d’eux. Bon. « Moi. Mon moi. L’ancien et puis, le raplapla ultra bizarre. The Bad Boy ? » Là, il ne faut pas exagérer. Quoique. Restons zen.
Cette intervention holographique de mon père était tout de même hyper strange. Et puis, c’est quoi cette histoire de Smartphone pour mettre le son ? S’il voulait hurler sur tous les toits qu’il communiquait avec moi, il n’aurait pas fait mieux. Et puis, gnagnagna… blabla… « Tu es un peu quantique à cause de moi, mais on va arranger ça » La vie professionnelle déteint sur la vie familiale, paraît-il. J’aurais adoré que mon père travaille dans une boutique de fringues.
Je le connais. Je sais qu’il ne dit rien au hasard. Même le truc le plus anodin, ou le plus idiot, a du sens. En tout cas, pour lui. C’est bien ça le drame. Mais là, il a fait un effort pour faire passer le message. Il m’a montré que mon tour du quartier, il pouvait le détecter. Donc, pour tous les labos du monde qui travaillent sur « ça », je suis visible. En fait, ils doivent avoir de grands écrans, avec marqué « Menace vitale, portail Zombie ». Ça fait des plombes que l’écran est tout noir, et puis là, et bien, il y a un petit point lumineux, qui fait Bip… Bip… alors c’est sûr, les gentils vont vouloir supprimer le méchant Bip-Bip, parce que ça les dérange dans leur sieste, le bip-bip, et aussi les réunions avec les Chinois, les Russes, les Américains, les Français, sans même mentionner les discussions avec les Aliens sans traduction simultanée.
Il est marrant, mon père. « Je dois me sauver ». Mais où ? Rien ne peut passer de l’ailleurs où je suis vers mon monde d’origine. Je suis là, perdue, avec mon chat Schrödinger, une balle de tennis coupée au cutter, une barquette vide, et puis aussi ma doudou fluffie douce. Satané Schrödinger. Il est couché sur ma douce, je le chasse, il laisse plein de poils ionisés sur ma fluffie, comme si dans ce monde quantique on manquait d’électrons !
C’est là dans un instant que j’ai compris ce que voulait dire la superposition d’états. A cet instant précis, je savais, avec certitude, ce que j’allais faire, et ce qui allait arriver. Me repliant mentalement comme un origami, j’entrais par la fermeture éclair de ma fluffie douce électronifiée aux poils de chat, et lorsque la dernière de mes particules fut recouverte d’un manteau d’électrons, je tombais dans le jardin.
Depuis toute petite j’avais toujours rêvé de fusionner avec mon doudou.
Au revoir et adieu, Schrödinger !
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