Les derniers sièges de la rangée étaient occupés par une dame fluette, la nuque raide sous un volumineux chignon, le regard caché sous de fortes lunettes de vue.

— Anselme Petitrôt ! Je vous retrouve enfin !

— Madame Pellegru ! Quelle heureuse surprise ! Vous aimez la magie, vous aussi ? Ça change un peu des mathématiques, hein ?

— Jeune homme, comme d’habitude, vous êtes partout, sauf à votre place ! Depuis le début, il était clair que j’allais vous retrouver ici.

Luv demanda à voix basse ;

— Elle est bizarre, non ? Le regard fixe, c’est un signe. Tu savais toi, que Babo s’appelait Petitrôt ?

La conversation s’envenimait.

— Pour la copie ? Je mérite d’avoir zéro, absolument. Je ne vous en veux pas madame Pellegru, vous savez ? J’ai rendu copie blanche, c’était bien normal.

— Je ne suis pas idiote, vous avez profité de ces magnifiques pages blanches et de tout ce temps que vous vous êtes accordé, pour dessiner mon portrait, au demeurant peu flatteur, de la page une à la page douze !

— Ha ! C’était donc ressemblant ? Je n’en étais pas sûr…

— Vous allez être puni, Anselme Petitrôt, nous en avons discuté entre nous.

— Entre qui ?

— Avec eux !

La rangée était barrée des deux côtés. Ils ne pouvaient pas sortir de l’Athéna. Il y avait des élèves du Collège, mais ils ne semblaient pas dans leur état normal. C'était comme s'ils avaient tous la même voix.

— Tu vas payer Anselme… Pour ma tablette que tu as cassée… Pour les heures de colle que j’ai fait à ta place… Pour les cartes Garous que tu m’as échangées contre de fausses cartes fabriquées en Verchélie… Pour mes copies que tu as glissées dans les égouts, comme s’il s’agissait d’une boîte postale…

— Mais vous n’avez pas le droit ! Ce n’est pas dans les règles, ça !

— On s’est mis d’accord…

— Ta place est en Enfer, Anselme Petitrôt !

Linh chuchota, en direction de Luv ;

— Désolée, je n’avais pas vu ça venir, des Errants ! Au Collège ! Mais pourquoi s’en prennent-ils à Babo, et pas à toi, Béatrice ? Ils ont l’air aussi toqués que la Pellegru !

Sur la piste, Peter et Hermès se regardèrent, puis Hermès sur un signe du Magicien, s'approcha des gradins.

— Mesdames et Messieurs ! Et maintenant, pour clore cette magnifique soirée de Maaagie, nous allons choisir une personne au hasard dans la salle, pour une opération trrrès particulière… Attention ! Vous monsieur, Non ? Ou vous jeune demoiselle ? Allons Hermès, n’importune pas cette jeune fille… Où alors vous madame ? Hermès, en es-tu sûr ? Oui ? On applaudit bien fort… Madame ?

Anselme était maintenant protégé par Linh et Luv. Mais cela n’était plus nécessaire. Les Errants étaient moins agités, comme s’ils avaient d’un coup oublié ce qu’ils faisaient. Ils regardaient à nouveau fixement la piste, où entrait Madame Pellegru, accompagnée de Hermès. Peter commença la conversation, pendant que Madame Pellegru rajustait ses lunettes et son tailleur.

— On l’applaudit bien fort ! Comment vous appelez-vous ?

— Hortense Pellegru, je suis enseignante au Collège.

— Magnifique ! Hortense, vous allez tourner le dos aux spectateurs, et me regarder. Vous êtes venue seule ?

— Non.

— Ne vous retournez pas, remontez dans votre mémoire, et visualisez la rangée, les sièges. Pouvez-vous me les donner ?

— Rangée 18, sièges 1, 2, 3, 14,15.

— Magnifique ! On les applaudit bien fort ! Oui, vous ! En piste, je vous prie. Installez-vous comme Hortense. Voilà. Comment allez-vous ? Vous aimez la magie ? Comment êtes vous venus ici ? Vous jeune homme, qui me semblez être un garçon dynamique et ouvert.

Le Magicien s’adressait à Bertrand Caruzo, qui entortillait nerveusement le bout de son T-shirt sur son doigt. Il lui tendit le micro.

— Je jouais sur mon ordinateur, dans l’Archipel des Mondes Souterrains. Une épreuve dans un tunnel, avec des lumières. Il fallait se concentrer, avoir une action par la pensée sur des trucs bizarres. A la fin je suis sorti du tunnel. J’étais sélectionné et j’avais une place pour le spectacle de Magie de l’Athéna ! C’était la dernière épreuve. Il était dit que je verrais enfin l’Archonte, et que je devrais lui obéir !

Il y eut des murmures dans la salle, et Anselme s’écria ;

— L’Archonte des Mondes Souterrains ! La plus puissante des Puissances ! Celui-là a détruit la moitié des Mondes, une armée maudite ! Les Mondes Souterrains ont 300 millions de joueurs connectés, et personne encore n’a réussi à vaincre l’Archonte. Tous ceux qui ont essayé ont du recréer un profil après avoir tout perdu !

Le Magicien reprit.

— Et savez-vous, jeune homme, qui est l’Archonte ?

— Madame Pellegru est la Puissance des Mondes Souterrains !

Un brouhaha parcourut à nouveau les gradins, Anselme était désespéré.

— Madame Pellegru, je suis maudit !

Pierre de Trégor souriait. Il leva ses bras vers le ciel, avant des les abaisser vers le sol.

— Vous êtes des preux et des valeureux, venus ici pour une quête ! Je connais votre but, je sais que vous m’écoutez, que vous me regardez, et je suis là pour vous aider, vous guider vers ce que vous cherchez, qui sera désigné par le bout de mon doigt, et qui est très petit ; il vous faudra alors vous pencher pour le voir, peut-être vous mettre à quatre-pattes pour regarder dans la sciure de la piste, et puis remonter l’allée, car ce que vous cherchez roule, roule, roule, vers la sortie ; et là j’invoquerais une Puissance, et lorsqu’elle sera là, je claquerai dans mes mains, et votre quête sera terminée !

Peter accompagna son troupeau quadrupède, flattant l'un ou l'autre du plat de la main sur le dos, le col ou la joue. Lorsque tous furent sortis, un hologramme d’Athéna apparut au-dessus de lui, il claqua dans ses mains, et les lumières furent rallumées.

— Notre spectacle est terminé !

Je sortis avec Anselme, Linh et Luv, en même temps que les autres spectateurs. Madame Pellegru et ses associés avaient disparu.