Généalogie de la fée Viviane
- Gal, je fais quoi ? J'ai un lapin pour avocat ! Gal ?
- Salut Louloute. Désolée, j'étais occupée. T'en fais pas, je suis en train de faire fonctionner le matos à fond, je scanne tout Brocéliande ! C'est génial ! Une cartographie complète. Ne t'en fais pas, tout ce qui se passe est bon à prendre, je fais aussi une analyse complète des rapports socio-politiques, de l'histoire, des mythes et de l'inconscient collectif de Brocéliande. Tu peux t'approcher s'il te plait ? J'enregistre.
Le Lapin se lissait les moustaches, éclaircissait sa voix.
- Hmm.. Mmm-Mmm. Comme vous le savez, on dit souvent que Brocéliande est une création de Merlin, qu'il s'est finalement laissé piéger par la fée Viviane, enfermé, spolié, bref. Mmm... Ce n'est pas tout à fait faux, mais est-ce la véritable histoire ? La véritable histoire, la voici.
Avant Brocéliande, il y avait un grand royaume, et ce royaume avait un Roi.
Ce Roi avait trois fils.
Depuis leur plus jeune âge, le premier et le second se disputaient, et cela dura jusqu’à ce que leur père, le Roi, fût mourant. Au dernier instant, il les appela auprès de lui pour leur faire connaître ses volontés.
A l’ainé, il donna les deux tiers de son royaume, constitué de bêtes sauvages et de forêts profondes, ainsi que la capitale, et dit,
- A toi l’aîné, la connaissance des choses cachée, celle des choses révélées, et la puissance royale.
Au second, il donna les terres les plus riches, portant au soleil, blé ou sarazin, et dans les vallons, bœufs, vaches et veaux gras.
Il dit,
- A toi, le second, une vie facile, dans l’opulence.
Quant au troisième, il reçut simplement un coffre en bois, fermé, dont il devait chercher la clé.
- A toi, le dernier fils, je donne la recherche de la clé. Je ne saurais t’en dire plus. Ni le temps que cela prendra, ni le contenu du coffre.
Puis, le Roi mourut.
Peu après, comme on peut le penser, les frères les plus âgés se disputèrent, oubliant leur plus jeune frère, et son coffre fermé. La guerre fut terrible. Elle dura longtemps. Des années. La capitale, ravagée, les terres, brulées, le bétail, égorgé, la forêt, abattue, les bêtes sauvages, enfuies, à la fin, il ne restait plus rien.
Assis sur son coffre au milieu des ruines, le dernier frère, profondément affligé, regardait. Il avait passé les dernières années à voyager, et avait fini par trouver une jeune fille, qui était fille de roi. Un jour, un oiseau merveilleux avait apporté à celle-ci une clé. Elle l’avait gardée, en collier autour de son cou, jusqu’à ce qu’un jour un jeune prince arrive au royaume de son père, avec dans ses bagages un coffre mystérieux. Il serait trop long de raconter comment ils comprirent que la clé ouvrait le coffre. Mais sachez que le coffre était vide, et sachez aussi qu’ils avaient découvert qu’en formulant un vœu, si l’on refermait, en ouvrant à nouveau, le vœu était réalisé.
Ils revenaient au pays, en jeunes mariés.
Les deux frères se plaignirent.
- De nous trois, c’est toi qui as eu la meilleure part. C’est injuste.
Et ils se disputèrent, pour la clé, et le coffre. Pour son malheur, le plus jeune se disputa aussi avec ses frères, essayant de leur reprendre la clé que par ruse, ils avaient volée, et qui lui sembla être celle du bonheur. La princesse essaya de les en empêcher, mais rien n’y fit. Le coffre s’ouvrit, et les trois frères disparurent.
Lorsque la jeune femme reprit la clé qui après avoir rebondi trois fois gisait sur le dallage, le coffre était vide. Elle fit le vœux de revoir son époux, mais le coffre ne semblait plus répondre aux souhaits invoqués, soit que le jeune homme fut retenu dans sa lutte, soit qu’un maléfice quelconque eut dépouillé l’objet de son pouvoir magique.
Elle repartit, emportant le coffre, sentant dans son corps les premiers signes d’un enfant.
Cet enfant deviendrait la Fée Viviane, qui de sa mère des années après hériterait d’un coffre en bois, peut-être magique, et d’une clé.
Le Lapin se lissa à nouveau les moustaches, regardant son public.
- Je vais vous dire un grand secret : Brocéliande est le monde à l'intérieur du Coffre Magique.
Il se fit tout d'abord un grand silence.
- Béatrice ? Tu m'entends ? J'adore ces histoires !
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