L'anneau de Pythagore
- Theano, tes conseils sont toujours aussi avisés !
Babo et moi, nous nous étions retournés, pendant que le Loup grognait. Peter était là accompagné du Dieu-Cerf, qui restait silencieux.
- Bonjour Béatrice. Bonjour Babo, et merci d'être venus.
- Peter, aurais-tu l'intention de nuire à ces enfants ? Théano s'élevait à nouveau au dessus de la fontaine.
- Ma chère, je ne peux rien contre Béatrice. Quand à Babo, je ne lui veux pas de mal, bien au contraire ! Je souhaite lui faire un cadeau merveilleux, un cadeau qui n'a pas de prix.
- Et lequel, vieux crouton ?
- Et bien, jeune impertinent, il s'agit d'un pouvoir extraordinaire, qui fera de toi un magicien très puissant. Je te transmettrais toutes mes connaissances, tous mes secrets.
- Je ne vous crois pas. Je n'aime pas ce qui se passe.
L'image de Théano reprit la parole.
- Mon époux, tu lui dois au moins la vérité.
- Je n'y vois aucun inconvénient, Théano. Je suis en effet Pythagore, celui que vous trouvez dans vos livres de mathématiques. Mais c'est un résumé un peu court, je suis bien plus qu'un simple mathématicien.
Mon père était un orfèvre de l'île de Samos, mathématicien lui aussi. Pour mon entrée dans le monde adulte, il mit toute sa science dans la fabrication d'un anneau, dont il n'avait, hélas ! pas conscience des pouvoirs.
L'anneau était magique, c'était ainsi que l'on disait à l'époque. A cette époque le merveilleux était partout, et nous savions que les pouvoirs secrets attiraient les craintes, les jalousies et l'envie. En un mot, le malheur. L'évènement fut caché.
Avec l'anneau, je pouvais apparaître ou disparaître. Nul ne savait où j'allais, ni comment. Mais toi tu le sais Béatrice. Ton pouvoir est identique au mien. C'est ce pouvoir que je tiens à offrir à Babo.
- Mais pourquoi ? Pourquoi moi ?
- Mon cher époux, dis-lui. As-tu bien dis toute la vérité ? Babo, tu es là parce que tu as l'anneau, celui de Béatrice. Il est au fond de ta poche. Tu ne l'as pas porté. Tu as bien fait. C'est le choix que j'ai fait également, je n'ai pas suivi Pythagore sur la voie de l'immortalité. Bien plus, j'ai demandé à Pythagore de me laisser mourir, et plus encore je lui ai demandé l'anneau. J'en suis la gardienne, reflet porté par les ondes dans cette fontaine enchantée. Il m'a fait le sermet par le Styx de ne plus jamais chercher à le porter. Cet anneau est là, au fond, il brille et vibre car il a senti la présence de son double, et toi aussi, Babo, tu dois ressentir ses effets.
Babo en effet se trémoussait, comme si quelque chose le gênait, dans sa poche droite.
- Il faut que tu le saches Babo, Pythagore quoique immortel, a un corps qui vieillit, comme tous les corps. Il convient alors d'opérer une transmigration de l'âme, où accepter de rester dans les limbes. Pythagore évidemment n'a jamais eu l'ombre d'une hésitation. Il a toujours choisi un jeune homme naïf et normalement doué, beau et athlétique, et sans que sa victime ne s'en aperçoive, il a, au cours de sa vie, opéré plusieurs transmigrations. Il n'est pas un monstre. Il pourrait détruire les personnalités antérieures, mais il s'y refuse. Il cohabite pour ainsi dire, ce qui fait de lui une personnalité complexe, qui n'a renié aucun de ses avatars. Il les a tous emportés dans ses transformations successives, les rendant immortels eux aussi, quoique recomposés en un tout autre qu'eux-mêmes. Pythagore change. Mais il s'arrange toujours pour garder l'essentiel. Encore aujourd'hui je le reconnais tel qu'il était. Toujours fort, toujours beau. Toujours dangereux. Dangereux pour toi, car tu es jeune et beau et tu l'admires, et tu veux déjà lui ressembler.
- Babo ! Son serment lui interdit de porter l'Anneau de Pythagore, mais pas celui de mon père ! C'est cet anneau qu'il désire !
Le reflet commençait à s'évanouir, j'avais crié, et l'on voyait distinctement l'Anneau de Pythagore au fond de l'eau, qui brillait de plus en plus fort. Je vis Babo qui se trémoussait comme s'il avait mal, et il fouilla dans sa poche pour en retirer la bague du gateau en chocolat, ma bague, celle que mon père m'avait offert pour mon anniversaire. Elle brillait de plus en plus, comme si elle avait reconnu son double. Babo la gardait au creux de ses paumes, la faisant sauter d'une main à l'autre comme s'il ne savait pas quoi en faire.
- Je me doutais bien qu'il ne fallait pas la porter ! Et puis les bagues c'est pour les filles !
Peter commençait à perdre patience, la bague s'éleva dans les airs.
- Alors donne la moi !
Je lui attrapais le poignet, et pris l'Anneau dans la fontaine. Tenant toujours fermement Babo, je mis l'Anneau de Pythagore . Il ne se passa rien. Peter souriait.
- Je te l'avais bien dit, Béatrice. Tu dois encore apprendre beaucoup de choses avant de maitriser tes pouvoirs !
- Gal, Gal ? Tu m'entends ? J'ai l'Anneau de Pythagore au doigt, et c'est Peter qui a pris le mien ! Je fais quoi ?
- Salut, ma louloute. Alors là, tu as un truc sensationnel pour maitriser le temps. Je suis vraiment trop excitée ! C'est la première fois que je vais le faire en vrai. Alors écoute-moi bien. Tu vas tourner légèrement l'Anneau, comme si tu dévissais un pôt de confitures, tu y es ? Pas trop fort hein ?
Je fis exactement ce qu'elle me disait. Je vis la forêt, la fontaine et les grenouilles, le Loup, s'effacer. J'eus à peine le temps de voir Peter qui enfilait l'anneau de mon père, et qui nous regardait. Puis j'entendis,
- Salut poulette ! Alors on voyage en compagnie ?
Avec de grosses lunettes roses qui lui couvraient la moitié du visage, un casque rond sur la tête, habillé d'une veste en cuir, d'un pantalon en jean et de chaussures à clous, Chico me saluait. J'étais à l'arrière d'un Harley Davidson, et Babo se trouvait sur la moto de Harpo. Quand à Groucho, il roulait solitaire, transportant un gros paquet.
- Une livraison spéciale ! Ne vous inquiétez pas, on gère pour vous. Dites-nous seulement ce que vous voulez. On va où ?
- Je crois qu'il faudrait... arriver juste avant mon anniversaire ! Au moment où mon frère propose de mettre le gâteau au chocolat au micro onde ! C'est là que tout a commencé.
- Alors c'est parti. C'est fastoche. Comme si on y était !
Les motos accélérèrent en vibrant, je ne savais pas si on avançait vraiment, mais le paysage défilait à toute vitesse, devenant rouge et désertique. Les motos fonçaient sur un ruban d'asphalte qui tournait, montait, descendait. Je vis au loin une fenêtre, qui s'avançait, mais encore loin vers l'horizon, que je reconnus comme la devanture d'Omega Sport.
- On y est presque, poulette !
Sur ces mots, la Harley qui portait Babo commença à avoir des ratés, à tousser. Chico, Harpo et Groucho se mirent en ligne pour discuter, et Groucho tapota sur le clavier intégré à son gant gauche.
- Panne d'essence, les poulets ! On va faire une pause.
Une route secondaire apparut, puis un saloon en bois perdu dans un paysage de rocaille, entouré de cactus. Quelques caravanes, des voitures et des motos étaient garées devant un motel dont l'enseigne clignotait. Une pompe à essence semblant sortir tout droit des années 1950, se matérialisa lorsque Groucho, Harpo et Chico, arrêtèrent leurs moteurs.
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