Déguisée en petite peluche rose, serrée par Dédounet, Schrödinger miaulant, tenu à bout de bras par Arty, nous venions de passer la porte.

La magie n'existait peut-être pas, mais je venais d'entrer dans un laboratoire dont la mission était de repérer toutes les petites bestioles invisibles, les neutrons, électrons et autres quantas, sans même faire sonner le portail de détection. J'étais trop forte.

• Bonjour Mademoiselle Wertmann ! Comment allez-vous ?

Zut ! C'était trop beau pour y croire. Evidemment, une alerte, à ce niveau, ce n'était pas une alarme stridente, avec des flashs lumineux dans tout le batiment, c'était plutôt quelque chose de discret.

• Mais suis-je bête. Vous n'allez pas, Béatrice, vous êtes, puisque vous êtes quantique. Donc éternelle. Croyez-moi, vous n'êtes pas obligée de vous cacher dans cette peluche que je qualifierais, si vous me le permettiez, de répugnante. Vous êtes encore attachée aux choses, aux objets. C'est bien normal. Ce qui vous arrive est tout neuf, vous n'êtes pas habituée !

Dédounet ne comprenait pas tout ce que disait l'homme, mais il devait en avoir l'habitude. Il s'agitait, dansant d'un pied sur l'autre. L'homme semblait parler tout seul, ou peut-être parlait-il, vraiment, à la peluche qu'il avait dans les mains. Il ne savait pas.

• Je peux poser la peluche sur votre bureau, Monsieur ?
• Mais oui, André, mais oui. Et que vois-je ? Il y a aussi Schrödinger ! Félicitation Arty.

L'homme auquel Arty et Dédounet s'adressaient était un jeune dandy de dix-sept ans, habillé en costune rayé jaune poussin et gris, un foulard bouffant violet autour du cou, il portait des lunettes noires.

• Mais je manque à tout mes devoir ! Je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Merlin. Le vrai Merlin, bien entendu. Ha. Je vois. Vous ne pouvez pas parler. Et dire qu'avec tous vos pouvoirs, vous ne savez pas faire une chose aussi simple !

Il prit une cloche posée sur son bureau et la fit sonner. Peu après, mon père arrivait, ouvrant la porte à demi et passant la tête dans l'embrasure.

• Vous avez encore utilisé la procédure d'alerte mécanique, Monsieur Merlin ?
• Cela s'appelle une cloche, Monsieur Wertmann ! Une cloche ! Je sais bien que nous vivons dans un monde moderne, mais vous ne pouvez pas savoir le bien que ça me fait. Je suis un grand nostalgique !

Il remonta ses lunettes noire sur son nez.

• Votre fille est parvenue jusqu'à nous.
• Laquelle ?
• La première. Celle que vous appelez Charlotte, qui vient d'un Parallèle..
• J'aurais pourtant juré que Béatrice se doutait de quelque chose !
• Trop jeune. N'oubliez pas que Charlotte est un peu plus âgée. Et Quantique ! Vous avez terminé votre adaptateur ? Dans ce cas, je vais demander à ce qu'on nous l'ammène.

Il prit la cloche et la fit tinter à nouveau. Drelin ! Drelin ! Drelin !

• Vraiment, Monsieur Wertmann, cela me fait du bien de sonner cette cloche. Je sais que dans votre monde, cela ne se fait pas. Mais vous aurez bien quelque indulgence pour un vieillard âgé de quelques siècles ?

Merlin regardait mon père en souriant, remontant ses lunettes, pendant que ce dernier ajustait l'adaptateur sans rien dire.

• Charlotte, tu m'entends ? Tu peux parler !
• Z...oui, Pâpâ, pâpâ ! Mê ne m'appelle plus Zarlotte. En vrê, ze suis Béatriz !

Mon père me regardait, moi, petite peluche rose, l'air désespéré.

• Je sais ma chérie, je sais. Tu viens d'un monde parallèle, et tu t'appelles aussi Béatrice. Et j'existe aussi dans ton monde à toi.
• Dans Monmondamoi, tu ê fassé... Fassé.
• Attends, ma chérie, je dois revoir le réglage. Vous comprenez, Merlin, ce qu'elle veut dire ?
• Fassé... André... Fassé.
• Moi, comprendre ? Dit-il en remontant ses lunettes. Pas du tout.