17 – Philou

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Les travaux de consolidation de la zone d’éboulement représentaient un gros travail. Arrivés « sur zone », Zelo donna une série d’ordres, et toute l’équipe se mit en place. Les hilotes déblayèrent les blocs effondrés et firent place nette sur toute la zone d’intervention. Les soussols s’étaient répartis sur le chantier pour superviser le travail et inspecter l’état des structures. À première vue, le tunnel s’était effondré à la suite de l’affaissement du terrain séparant l’ouvrage de l’immense cavité souterraine dont la caverne que nous venions de visiter faisait partie.

Zelo continuait à me garder sous son aile. Il m’expliquait une foule de choses avec grand soin, mais je dois reconnaître qu’au bout d’un moment, mon attention avait considérablement diminué. On n’avait pas tant de choses à savoir dans la police… Alors que je rêvassais, écoutant Zelo d’une oreille distraite, je remarquai un mouvement lent au fond de la cavité ouverte par l’effondrement du tunnel. Une forme indistincte rampait dans notre direction. Mon sens de l’observation était intact. Je coupai la parole à Zelo d’un ton respectueux mais ferme.

– Patron, y’a un truc là.

J’avais dégainé mon arme et pointais ses trois canons dans la direction du mouvement.

– Tout doux, Ernesto, ne va pas tirer sans savoir sur qui ou sur quoi ! On n’est pas dans la police ici !

Zelo avait raison. L’équipe s’approcha prudemment pour découvrir que la forme rampante était un homme. Très amaigri, équipé d’un masque respiratoire rafistolé avec les moyens du bord, ce type avait tout l’air d’un naufragé. Bayek s’écria avec excitation que c’était un soussol !

– Regardez, dit-il, il est vêtu des restes d’une combinaison réglementaire ! C’est l’un des nôtres !

C’était franchement stupéfiant ! Nous allongeâmes doucement l’homme sur une plaque de géoplastique. Il était affaibli à l’extrême. Lygor remplaça son masque abîmé par un équipement de secours et lui fit respirer le mélange de premier soin. Zelo piqua une crise lorsqu’il découvrit que Nex et Bayek faisaient des paris sur ses chances de survie. Coup de bol, il ne vit pas que j’étais sur le point de miser 3 crédits sur le gars.

En l’examinant, Nex trouva rapidement le médaillon de service du naufragé. Il était accroché à une chaîne passée autour de son cou. Elle lut à voix haute :

– Notre homme est un certain Phil Aspairt. Soussol du secteur C. Bon sang, ce gars est réellement un collègue ! Que lui est-il arrivé ?

Lygor s’avança vers le blessé.

– Je me souviens d’un type du secteur C porté disparu il y a environ six mois. Je me rappelle de son nom, car j’avais un copain d’école qui s’appelait comme lui. C’était sur Stellaris, un gros astéroïde de la ceinture extérieure. On faisait souvent les cons ensemble dans les chantiers d’extraction de minerai. Un jour, il est tombé dans le goulet d’admission d’un concasseur minier pendant une partie de cache-cache. Je ne l’ai jamais revu, mais j’ai quand même pu rapporter sa botte droite à sa mère. Son pied était resté dedans, c’est toujours mieux que rien n’est-ce pas ? C’était un bon copain, le gars Aspairt…

Comme il marquait une pause respectueuse à la mémoire de son ami, Zelo en profita pour reprendre la parole et donner ses ordres.

– On remonte la victime immédiatement. On laisse les hilotes continuer le travail ; ils remonteront seuls en surface grâce au système de localisation. Ça ne devrait pas poser de problème, car le réseau de balises est en assez bon état. Allez, les gars, on charge le collègue dans un transport et on file ! Nex, tu t’occupes de lui pendant le trajet ; Lygor, tu contactes la surface dès qu’on retrouve le réseau. En route.

Nous n’avons rencontré aucun problème particulier lors du retour vers la base. Nex avait injecté une dose de stabilisant métabolique à notre blessé, qui reprit même connaissance par intermittence. Il se faisait appeler Philou et s’était perdu lors d’une sortie souterraine en solo. Il était fasciné par la caverne et tout le réseau de cavités dont elle faisait partie. Philou ne respectait pas l’interdiction d’explorer cette zone et faisait donc des sorties illégales. À part une combinaison de service, il n’utilisait que du matériel personnel de qualité standard.

Il finit par nous dire que c’est pour cette raison qu’il s’était perdu. Son système de localisation était tombé en panne et, à partir de ce moment, sa situation avait viré au tragique. Ses vivres s’étaient progressivement épuisés, et ses cartouches de filtration atmosphérique avaient cessé de fonctionner correctement. Il évoqua une rencontre terrifiante mais s’évanouit avant d’avoir pu nous donner le moindre détail précis. Ce qui est certain, c’est qu’il était au bout du rouleau lorsque nous l’avons trouvé. En se basant sur l’endroit où Philou nous disait avoir démarré son périple, il avait parcouru plusieurs centaines de kilomètres.

– Peut-être a-t-il fait beaucoup plus s’il est revenu sur ses pas à certains moments. On ne peut pas savoir quand le système de loc est HS, remarqua Bayek. Pauvre homme !

Tous les collègues de l’équipe étaient d’accord sur un point : ce réseau de cavités inexplorées était fichtrement attirant. Je commençais à comprendre combien les soussols n’étaient pas des gens comme les autres. Pour eux, un tunnel, obscur si possible, était la chose la plus attirante que l’on puisse imaginer…

Lorsque nous sommes arrivés dans le sas de sortie sous notre station de contrôle, le système d’alarme retentissait.

– Alarme générale ? Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? grogna Zelo. Il ne manquait plus que cela, et en plus le jour où nous rapatrions un blessé… Lygor, tu n’as pas eu d’info par le réseau ?

– Non, boss, le réseau semble complètement hors service.

Nous émergeâmes du sas avec Philou bien emmitouflé dans une couverture de survie. Tout le quartier était ravagé. Certains bâtiments étaient en ruine. Une fumée épaisse remplissait l’atmosphère. Des véhicules de secours se trouvaient dans certaines rues qui débouchaient, naguère, sur la place centrale du quartier 01. Un détachement de maintien de l’ordre surgit de derrière un immeuble à moitié écroulé. Un haut-parleur nous hurla de lever les mains en l’air. On ne badine pas avec ce genre d’ordre. La civière de Philou fit un bruit mat en heurtant le sol. Le collègue également.

Il nous fut très facile de faire connaître notre identité et d’expliquer pourquoi nous étions là. Les flics, mes anciens collègues, nous apprirent que le quartier avait été ravagé par une créature inconnue et particulièrement dangereuse. Insensible aux armes à feu standard, le monstre avait livré un combat homérique avec les forces de l’ordre. Nul ne savait d’où venait cette bestiole, et les pertes étaient importantes : bâtiments et installations détruits, agents blessés, tués, voire avalés par l’animal qui avait fini par disparaître dans le réseau de collecte des eaux usées.

Notre blessé fut rapidement pris en charge par les services de santé qui étaient déjà présents sur le site.

– Au moins, déclara Zelo, Philou est entre de bonnes mains ! C’est déjà ça !

Nous nous approchâmes de ce qui restait de notre QG.

– Regarde, Zelo, voilà tout ce qui reste du bureau des missions. Et là, ce sont les restes du vestiaire ! On va pouvoir récupérer nos affaires. Enfin, si le monstre ne nous a pas piqué nos fringues. J’ai hâte de sortir de ma combi.

Nex s’avança vers ce qui restait du mur du fond de notre vestiaire. Zelo s’arrêta soudain et fixa Bayek d’un air furieux.

– Bayek, qu’as-tu fait de l’œuf bizarre que tu as trouvé l’autre jour ? Tu l’as incinéré comme prévu par le règlement, n’est-ce pas ?

Bayek prit une teinte verdâtre et baissa la tête.

– Ben heu… c’est-à-dire que… non…

Zelo devint rouge comme la lune de Centora 12.

– Quoi ????? Tu remontes du matériel biologique inconnu et tu ne le traites pas ? Es-tu fou ? Veux-tu la fin de notre équipe ?

– C’est que, dit-il, je l’ai passé à l’incinérateur, mais j’ai réglé la température sur 200 pour le faire cuire. Je ne voulais pas le cramer. Je l’ai ensuite rangé dans mon armoire, car je voulais l’apporter au mariage de mon voisin la semaine prochaine. Je voulais préparer le plus gros œuf mimosa du système solaire. Ca aurait été original non ?

Zelo était blême et ne disait plus rien. Nex annonça que des traces griffues partaient approximativement de l’endroit où nos armoires se trouvaient avant l’attaque du monstre. Quant à moi, je crois que j’allais rapidement devoir me trouver un autre job…

[1] voir Ernesto 10 et 11.

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