Souvenir d'enfance

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À genou au pied de mon lit, je referme enfin ma valise. Nouveau départ, nouvelle vie, nouvel avenir. Nous devons tous quitter le cocon familial un jour, pas vrai ? Je crois que c'est mon tour... Autour de moi, des sacs-poubelle, des tas de jouets et de peluches... Trésors d'une époque depuis longtemps révolue. Même si mon âme d'archéologue en souffre, je dois me faire une raison. Mon maigre bagage m'oblige à faire des choix. En internat, pas la place pour tous ces souvenirs d'enfant.

Après une dernière œillade nostalgique à mon ours Musclor, je me résigne et me relève avec dépit. Je n'avais jamais songé que cela serait si dur. Dans mon dos, je sens une silhouette légère s'avancer à pas feutrés sur le vieux parquet.

" Tu laisses Musclor ? m'interroge ma petite sœur de sa voix fluette.

  • Il ne risque rien en ta compagnie..."

Tout sourire, je me retourne vers la fillette, haute comme trois pommes. Dans ses yeux brille une lueur de chagrin mêlée de convoitise.

" Je veillerai sur lui alors. Et sur tout le reste, jusqu'à ton retour ! s'exclame-t-elle, à nouveau joyeuse.

  • Il n'est pas près de revenir tu sais, murmure ma mère en lui ébouriffant les cheveux, adossée à l'encadrement de la porte.
  • Ne dis pas ça, Maman ! On lui manquera trop !
  • Bien sûr que je reviendrai ! Et, un jour, avec un beau diplôme d'archéologue en poche.
  • C'est vrai... Bon, on te laisse à ton rangement. Tu me diras ce que tu veux qu'on garde précieusement."

Avec un clin d'œil, ma mère se détourne, la petite main de ma sœur au creux de sa paume. Dans le couloir, j'entends sa voix aiguë protester.

"Moi je garde Musclor !"

D'un grand soupir, je chasse ce désagréable sentiment de nostalgie qui m'avait envahi. Elles me manqueront toutes les deux... Mais l'école, ce sera une nouvelle expérience, l'occasion de réaliser ce rêve que j’entretiens depuis toujours.

Guidé par cette pensée, je saisis les poignées de cuir usées de mon vieux sac et le jette négligemment sur mon épaule. D'un dernier regard, je balaye cette petite pièce qui m'a vu grandir. Ce bureau de bois où j'ai rédigé mes premiers devoirs d'histoire, cette bibliothèque où se sont entassés au fil des années des livres d'archéologie, ce gros coussin où je me plaisais à rêver d'époques lointaines...

Fébrile, je dépose ma main sur ma porte, toujours décorée de l'affiche : "Recherche de dinosaures en cours...". Je ne peux m'empêcher de glousser. Tout quitter, tout plaquer, pour vivre de nouvelles aventures devrait être un moment heureux, et pourtant... Mes doigts se crispent alors que les images des multiples activités que j'ai réalisées pour cette passion défilent sous mes yeux. Leurs vestiges reposent encore pour la plupart ici, les miniatures de soldats napoléoniens, la réplique d'Excalibur, la maquette du Parthénon... Tous récupérés lors de visites au musée ou d'expositions en plein air.

Renversée à mes pieds, sur une vieille latte de parquet à moitié décollée, je remarque la boule à neige représentant le Colisée de Rome. Agacé, je l'attrape délicatement et la repose sur son étagère puis me penche sur le bout de bois déplacé. Je ne m'en étais jamais rendu compte... Sourcils froncés, je finis par comprendre en détaillant à nouveau la pièce : elle était cachée sous le tapis. Intrigué, je soulève un peu plus le bout de bois, qui se détache avec docilité, révélant un véritable compartiment secret. Peu profond, mais assez pour que les ombres l'engloutissent, je distingue une forme au fond de la cachette. Ma curiosité attisée, je sors illico ma lampe torche de poche et éclaire ce nouveau trésor. Sous la lumière éclatante, une vieille boite, rectangulaire, darde ses reflets métalliques sur mes lunettes. Mon cœur s'emballe alors que j'attrape du bout des doigts cette relique inconnue.

Je la dépose sur le sol et malgré la poussière qui la recouvre, je reconnais à sa forme qu'il s'agit d'une boîte de céréales que je mangeais quand j'étais petit. Pourtant l'idée de planquer cette boîte sous mon plancher ne me rappelle rien. Drôle de coïncidence...

D'un souffle, je balaye la poussière et dévoile enfin le couvercle, ornée de la mascotte de la marque. Tandis que je dépose mes mains sur les bords du couvercle, une sensation incroyable m'envahit. Celle d'être enfin un archéologue, d'éprouver la satisfaction inouïe de trouver quelque chose sur un lieu de fouille. Avec un nouveau soupir, je détache délicatement le couvercle, dont le seul crissement me fait frémir.

Soudain, mon souffle s'arrête alors qu'une vague de souvenirs remonte à ma mémoire. Je connais cette boîte... Je sais ce qu'il y a dedans... Mon cœur se serre. Je ne suis pas sûr de vouloir retrouver son contenu. Mais je refuse de le mettre à nouveau sous le tapis. Ce qui doit arriver arrivera.

Décidé, je saisis le petit paquet de papier marron noué d'une simple cordelette à l'intérieur de la boîte. Je sens déjà les larmes monter tandis que je défais le noeud d'un coup sec.

Avec douceur, j'extirpe du paquet une simple feuille pliée en quatre, ainsi qu'une petite voiture en plastique. Je me souviens avoir prévu que la lettre serait lue en premier. Les doigts engourdis par l'émotion, je déplie donc la vieille feuille ayant résisté à l'épreuve du temps. Sur le papier est écrit, de la main maladroite d'un enfant de sept ans, un court texte parsemé de ratures et de taches d'encre noires.

Cher Moi du Futur,

Je t'écris, car, en ce moment, rien ne va. Je n'arrive plus à refouler mes larmes, "mon chagrin est trop grand pour mes petits yeux", dit Maman. Tout me semble nul et dérisoire, plus rien ne m'intéresse, pas même les dinosaures. Cela fait quatre mois que Papa est mort, et pourtant son rire est encore ancré dans ma tête, son sourire envahit mes nuits, sa voix résonne à mes oreilles. Le psychologue dit que c'est normal. Qu'il va m'aider et que tout ira mieux. Mais moi je ne veux pas qu'il m'aide ! Je veux que Papa revienne, pas d'un rendez-vous hebdomadaire avec un inconnu ! Maman répète que rien ne pourra me rendre mon Papa, et je sais qu'elle a raison, mais j'aimerais tellement... J'aimerais que tout redevienne comme avant. Qu'avec Papa on aille chercher les dinosaures, qu'on joue au chevalier et aux cowboys...

Mais la véritable raison pour laquelle je t’écris, c'est parce que le psychologue l'a demandé. Il m'a dit que ça m'aidera d'écrire ce que je ressens, pour mieux passer à autre chose. Et puis, t’écrire, ça me permet aussi de demander de tes nouvelles. Je ne sais pas quel âge tu as, Moi du Futur, mais je me doute que tu es un peu plus vieux. J'espère que tu as réussi à sortir de ce chagrin dans lequel je traîne, que tu as repris goût aux bonnes choses, que tu crois à nouveau en tes rêves... Mais surtout, j’espère que tu trouveras cette boîte, sinon tout cela ne sert à rien.

Une fois cette lettre terminée, je devrais la cacher dans un endroit que moi seul connais. Enfin... Nous seuls plutôt. Puisque nous ne sommes qu'un, toi et moi. Ensuite, je devrais l'oublier, dès ce soir, et ne plus jamais y retoucher jusqu'à ce que tu la retrouves par hasard, bien des années plus tard. Le médecin dit que ça m'aidera à pardonner, et que ça ravivera mon âme d'archéologue. Mais moi je ne veux pas oublier Papa, je veux qu'il reste avec moi ! De toute façon, je n'ai pas le choix, alors autant essayer, on verra bien...

Alors voilà, Papa, je l'aime, je ne l'oublierai jamais, quoi qu'en pensent les psychologues ! Je veux être heureux, mais je ne veux pas effacer son image de ma mémoire. Je veux vivre avec car je sais qu'il veille et qu'il veillera toujours sur nous...

Bon, je te laisse, Maman m'a promis de corriger les fautes, comme ça tu auras une belle lettre.

Gros bisous Moi du Futur, je te souhaite le meilleur et merci d'avoir lu.

Ton Toi du Passé

PS : Fais-moi plaisir, et sois archéologue.

PS 2 : Je te laisse ma petite voiture préférée, celle que Papa m'a offerte il y a longtemps. Prends-la comme un souvenir d'enfance, Musclor me dit que tu en as plus besoin que moi.

En larmes, je détache mes yeux de la lettre et admire la petite voiture rouge, conservée malgré les années.

" Merci, murmuré-je. Merci pour tout."

Au creux de mon poing, je sens le plastique du jouet miniature, que je glisse dans ma poche. Il y a bien assez de place en internat pour un souvenir d'enfance.

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