Les chaussons de Julie

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Les Chaussons de Julie

Julie était une petite enfant blonde de dix ans. Elle était adorable, elle avait l’air d’un ange, tout le monde le disait. Contrairement aux autres élèves de sa classe, elle était calme, posée, concentrée et très appliquée quand elle travaillait, ce qui ne l’empêchait pas de s’amuser comme une petite folle quand sonnait la récréation.
Elle adorait jouer aux poupées avec sa copine Amélie, au loup avec tous ses camarades ou aux princesses avec Jeanne et Louise. Elle était curieuse de tout, épanouie et joyeuse. Elle aimait beaucoup de chose comme le dessin, les jeux de société ou la corde à sauter…mais il y avait bien une chose qu’elle adorait : la danse. Un jour de l’année de ses six ans, elle avait été captivée par une vidéo de danseuses de ballet qui représentaient Casse-Noisettes. Depuis, son rêve d’enfant n’avait plus qu’été d’enchainer entrechats et pointes sur une grande scène et que tous ceux qu’elle aime l’applaudissent du premier rang.

Sa mère n’était pas riche, travaillait dur et loin pour pas grand-chose, tandis que les cours de danse les plus proches étaient à vingt-cinq minutes en voiture et n’étaient pas les plus accessibles financièrement. Au bout d’un an de supplications effrénées de petite fille aux yeux de cocker, elle finit par céder et décida qu’il n’y aurait désormais pas de petites économies. Julie obtint des vieux chaussons usés et un tutu qui avait déjà servit il y a au moins 10 ans, mais elle se mit immédiatement à les chérir inconditionnellement.
Elle commença donc la danse à sept ans. Elle n’était pas forte, au début. Ses jambes la tiraillaient, ses bras la faisaient souffrir mais elle n’abandonna pas. Elle persévéra et son travail porta ses fruits : à neuf ans, elle put obtenir le premier rôle dans le spectacle de fin d’année, où elle joua la gracieuse Cendrillon. Au moment de saluer, elle fit un maladroit pas de côté, perdit l’équilibre, trébucha, s’emmêla les jambes et tomba de la scène, qui était tout de même assez haute.
Les applaudissements cessèrent et un attroupement se forma autour d’elle. Elle n’arrivait plus à marcher et elle avait mal, si mal aux deux jambes. Elle versait des torrents de larmes ; pourquoi avait il fallu que son doux rêve soit gâché comme ça ? Elle avait presque fini de le réaliser… Ah si seulement elle n’avait pas fait ce pas de côté… Elle ne se serait pas fait mal. On appela les urgences et elle fut emmenée à l’hôpital. Il s’avéra qu’elle avait eu une mauvaise position durant sa chute et qu’elle s’était déplacé certains os. Le médecin était formel : il lui faudrait un an pour récupérer de sa blessure et elle devrait attendre encore un an pour pouvoir pratiquer à nouveau la danse.

Cette nouvelle plongea la pauvre Julie dans une effroyable tristesse. Dans deux ans, elle n’aurait plus le niveau, elle serait dans un groupe constitué de plus jeunes qu’elle, elle ne retrouverait pas cet éclat, cette sensation de lumière qu’elle avait ressenti le jour du spectacle. Elle en était convaincue, plus jamais elle ne danserait. On l’opéra, lui plaça un plâtre puis on l’installa dans une petite chambre au dernier étage de l’hôpital. De là, elle pouvait apercevoir la salle des fêtes où ses rêves avaient commencé puis s’étaient arrêtés. Cela la faisait souffrir de voir cet endroit, désormais maudit pour elle, mais elle ne pouvait d’empêcher de le regarder.

Les médecins étaient optimistes pour elle, elle avait échappé au plus grave, elle avait repris des forces et des couleurs, peut-être même qu’elle ne mettrait que six mois à se rétablir… Un jour pourtant, une infirmière la trouva dans une sorte de transe, les yeux fixés sur la fenêtre.

- Que regardes tu ? lui demanda t’elle doucement. Le joli ciel bleu ? les oiseaux ? les fleurs qui s’épanouissent ?

- Il pleut dans mon cœur, les oiseaux meurent et les fleurs fanent… répondit tristement Julie.

- Mais oui, car c’est l’automne… au printemps tout cela reviendra !

- Je crois que vous ne comprenez pas. Le printemps sera, mais pas pour moi. Jamais plus je ne sourirai et jamais plus je ne danserai… c’est bientôt fini.

- De quoi ? ne comprit pas la pauvre infirmière.

- Rien. répondit Julie. Qu’est ce qu’on mange ?

A partir de ce moment, Julie parla de moins en moins. On ne le remarqua pas, et la vie continua sans incidents. Un jour, Julie demanda à ce qu’on lui chante une chanson.

- Bien sûr ! dit l’infirmière, qui commença à chanter une joyeuse comptine.

- Non ! Je veux une chanson triste. réclama Julie.

- Très bien… fit l’infirmière, surprise, puis commença :

« Dans un jardin où vivent des fleurs

Une belle rose est en pleurs

Elle aimait un beau jeune homme

Qui partit pour le beau royaume

Des nuages et des petits anges

Où de la mort on chante les louanges.

Alors la fleur s’est fermée

Pour de bon elle s’est fermée

Vers son amour elle est allée

Et maintenant ils ont l’éternité

Pour se retrouver… »

- Mourir pour retrouver ce qu’on aime… murmura Julie. C’est si beau. Je pense que c’est une mort assez respectable…je préfèrerais ça à une mort insignifiante à 80 ans.

- Oui, mais on peut aussi profiter de la vie, car ceux qui nous ont quitté et qui nous ont aimé ne voudrait pas que nous soyons malheureux sans eux… répondit l’infirmière qui n’avait pas compris la terrible allusion de Julie à sa propre mort.

- Est-ce que la danse… non est ce que je… non rien. murmura à nouveau Julie

- Je sais que ça a été dur pour toi de devoir arrêter la danse… dit l’infirmière.

- Non, ça n’a pas été dur. répondit sèchement Julie. Ca a été bien plus que dur ; ça a été horrible, tout simplement.

L’infirmière souffla et s’installa à côté du petit lit de Julie.

- Tu sais… quand j’avais 19 ans, j’ai moi aussi perdu quelque chose de très cher à mes yeux : pour toi ce fut la pratique de la danse, et pour moi, ce fut… mon copain. Il en avait marre de la vie alors… alors il est parti. J’ai été tentée de le rejoindre plusieurs fois, beaucoup de fois même. Mais je sais qu’il n’aurait pas voulu ça pour moi, car il m’aimait plus que tout. Même… même si… elle sanglotait à moitié.

- Même si ça ne l’a pas empêché de partir ? proposa timidement la petite fille.

- C’est ça. Alors je me suis reprise en main après un long deuil… et j’ai recommencé à aimer la vie. Au début c’était pas facile, je me disais toujours : tiens, Antoine aimerait ça, tiens Antoine m’avait parlé de ça… Mais cette petite voix a fini par s’en aller et j’ai timidement recommencé à aimer. Au début, je me disais que je ne pouvais pas remplacer Antoine et que jamais je n’arriverai à aimer encore : je croyais mon cœur cassé ! Mais j’ai réussi et aujourd’hui je suis heureuse, et j’aime quelqu’un à nouveau, ce qui ne veut pas dire que j’ai oublié Antoine, bien au contraire : il est toute une partie de moi… et mon mari en est une nouvelle.

- Je suis contente pour toi… murmura Julie.

- Merci. Comme quoi, il faut apprendre à se relever, peu importe l’importance de la chute… Les blessures finissent toutes par se refermer, alors il ne faut jamais abandonner !

- Vous avez surement raison. Mais… c’est dur quand même.

- Je ne dis pas le contraire…Ne perds pas courage, c’est tout ce que je peux te dire, d’accord ? Et elle sortit, le sourire aux lèvres.

- Mouais. répondit Julie, peu convaincue.

Elle fini par s’endormir dans la petite chambre blanche, le store encore ouvert. Elle fut réveillée en pleine nuit par quelqu’un qui toquait à la vitre. Un jeune homme d’une vingtaine d’années était derrière la vitre un peu sale. Il avait un visage fatigué et une mine triste. Il tenait dans ses mains un petit paquet rose.

- Entrez… bredouilla Julie, surprise mais nullement effrayée.

- Bonjour, mademoiselle. Je me prénomme Antoine… Je me suis permis de toquer, car je devais livrer un paquet pour une certaine Julie LeMarchais et je me suis perdu en chemin… Il faisait si noir, si froid et votre fenêtre était la seule lumière dans cette obscurité… Et en plus, il pleuvait ! il éclata d’un rire clair et joyeux.

Julie rit avec lui puis, peu à peu se calma.

- Je m’appelle Julie LeMarchais… dit-elle, assez intriguée par ce paquet qui semblait lui être destiné.

- En ce cas, ce paquet est pour vous. répondit le jeune homme, très sérieusement.

- Vous…tu peux me tutoyer. lui fit-elle savoir avant de reprendre d’une voix claire : qui m’envoie ça ? Ce n’est pas mon anniversaire et je n’ai rien commandé : je suis trop jeune pour avoir un compte Amazon…

- Ah Ah ! s’exclama-t-il. Surprise ! Non je rigole, c’est Suzie, mon ex-petite copine, qui m’a soufflé de t’offrir quelque chose qui te rendrait heureuse. Elle était triste pour toi et tu lui faisais un peu penser à elle, alors elle m’a supplié de te rendre heureuse, car elle avait trop perdu… elle est un peu bouleversée, car nous avons…rompu, en quelque sorte.

- Oh la pauvre… Mais je ne connais pas de Suzie.

- Ah ? Et bien, elle, elle te connaît.

- Je m’en doutais, si elle m’envoie ce cadeau. D’ailleurs… je peux l’ouvrir ? demanda malicieusement la petite fille.

- Bien sûr, c’est pour ça que je suis là ! Et il lui tendit le petit paquet.

Julie se hâta de l’ouvrir ; elle était si excitée ! Elle défit le papier rose et le ruban doré, un grand sourire, mais afficha une mine déçue quand elle vit ce que contenait le paquet.

- Des chaussons de danse ? Mais je ne peux plus danser ! Ta Suzie est vraiment bête de m’envoyer ça !

- Suzie a eu l’idée du cadeau, et moi des chaussons. Je connais ta douleur et je sais que tu veux danser, alors…voilà la solution !

- Mais ma jambe ne peut pas danser ! Elle est… elle chercha une expression adéquate et finit par dire avec un peu d’humour : elle est KAPOUT.

- Je sais ! Je n’ai pas choisi ce cadeau à la légère ! D’ailleurs, et si tu les essayais ?

- En fait, tu es fou ! soupira Julie. Mais d’accord, si ça peut te faire plaisir.

- Attends. Il sortit son téléphone et lança la musique de Cendrillon, son morceau préféré, celui où elle dansait le plus.

Il lui mit les chaussons, et Julie sentit une douce chaleur qui remontait dans ses jambes engourdies. Elle se leva, et réussi à marcher. Comprenant le but de la manœuvre, elle commença la chorégraphie, d’abord avec hésitation, puis avec plus d’assurance. Elle riait aux éclats, trop heureuse de pouvoir danser à nouveau.

- Merci ! Merci Antoine ! Tu es le meilleur. Le remercia-t-elle avec entrain avant d’ôter les chaussons et de se remettre au lit. La paralysie revint immédiatement, et la douleur aussi, mais ce n’était pas grave !

L’infirmière entra soudainement dans la chambre, inquiète.

- Julie, j’ai entendu du bruit ! il est minuit passé, tu ne dors pas ?

- Non, il y Antoine qui m’a offert des chaussons et…

- Qui est Antoine ? demanda-t-elle. Un ami à toi ?

- Non je crois bien que c’est votre Antoine… lui répondit la petite malicieuse. Pas vrai Ant… elle se retourna vers lui, mais aucune trace des chaussons ou d’Antoine.

- Oulah, il faut que tu dormes ! s’exclama l’infirmière, qui portait une badge indiquant « Suzie Melissard »

- C’est vous Suzie ! Antoine m’a parlé de vous… murmura Julie avant de sombrer.

Julie guérit vite et reprit la danse. Elle fit de grands efforts et finalement, récupéra son année de retard assez vite. Elle devint une grande, une très grande danseuse.
Plus tard, ses petits-enfants lui demandèrent comment elle en était arrivée là. Elle rit et dit joyeusement :

- Vous n’allez pas le croire, mais tout cela a commencé par un malheureux pas à côté…

FIN

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