Chapitre 6 (1/4)
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Surprise, Elise observait Diegory s’éloigner. Elle ne comprenait pas. Pourquoi ne disait-il rien à ce sujet ? Pourquoi ne posait-il aucune question ? N’était-ce pas ce qu’il était censé faire, comme les autres ? Des souvenirs l’assaillirent. Comment oublier les regards peinés et leurs pitiés à la découverte de son dossier ou d’une rumeur la concernant ?
Bien qu’il eût disparu du couloir, elle ne détourna pas son visage de cette direction. Les secondes s’écoulèrent sans que ces questions ne la quittent.
Tourmentée, l’enquêtrice se tourna vers son moniteur, acheva son rapport puis l’envoya au directeur adjoint. Ensuite, elle se leva et se déplaça jusqu’à la baie vitrée. En contrebas, sur le parking extérieur, Diegory téléphonait.
D’ordinaire, son coéquipier appelait son épouse à chaque pause. La jeune femme n’osait pas imaginer la panique de cette dernière face à l’absence de nouvelles.
Elle extirpa le papier chiffonné de sa poche.
Et lui ? Depuis combien de temps attendait-il ? En espérait-il seulement encore ? Bien sûr, comment pouvait-il en être autrement ? Sa compagne et sa fille lui avaient été arrachées ! La blessure de son cœur devait être béante et l’inspectrice serait peut-être celle qui lui annoncerait la douloureuse nouvelle.
Les mots de l’enfant ressurgirent dans son esprit.
« Vous me vengerez… Moi et maman ? »
Elise écrasa le bout de feuille au creux de sa main et serra le poing jusqu’à ce que ses articulations en craquent. Même si la traque durait des années, elle trouverait le coupable et le traînerait devant la justice.
La jeune femme consulta sa montre. Vu l’heure, son partenaire ne la laisserait pas descendre au laboratoire. Cependant, elle devait s’y rendre avant son retour, car il n’arriverait pas à l’en extirper si Talyah était encore là : elle ne supportait pas d’être interrompue lorsqu’elle commençait son débriefing.
Les probabilités de tomber sur elle à une heure aussi tardive étaient faibles, mais Elise décida de tenter sa chance. Elle inscrivit une note à l’attention de Diegory sur un post-it, le colla au moniteur et prit l’ascenseur. Un signal sonore lui indiqua l’arrivée au premier étage. Les portes métalliques s’ouvrirent sur un couloir désert. Pourtant, une musique, sourde et puissante, témoignait d’un rescapé nocturne.
Le heavy métal guida Elise jusqu’à Timothy, enfoncé dans son fauteuil. Son crayon battait la mesure contre le cuir. L’inspectrice reconnut sans mal les clichés qui défilaient à l’écran, pourtant, un détail la perturba : l’agent ne cessait d’alterner deux photographies.
— Tu as trouvé quelque chose ? s’enquit-elle d’une voix assez forte pour couvrir le vacarme.
— Tu ne trouves pas ça étrange ? l’interrogea Timothy sans se retourner. Aucun corps n’a été écharpé par les animaux. Pourtant, il n’y avait ni porte ni cloison. L’odeur les aurait forcément attirés… Je ne comprends pas.
Elise s’avança d’un pas, mais fut prise de vertige. Elle tituba jusqu’à ce que son flanc se plaque à l’une des tables de la pièce. D’instinct, elle chercha un soutien de sa main valide. Des objets tombèrent au sol. Le regard voilé, l’enquêtrice ignorait ce qu’elle avait renversé.
Un bris de verre domina la musique et la voix de Timothy s’éleva aussitôt :
— Wôw ! Wôw ! Elise ! Elise !
La jeune femme sentait la paume du scientifique contre son dos. Il passa son bras par-dessus le sien et lui prit la main pour la guider à travers la pièce.
— Tu es aussi pâle qu’une morte ! Ça va pas ? T’as mal quelque part ? Viens, assieds-toi là, lança-t-il en la poussant dans le fauteuil de bureau.
Puis le silence. La musique ne ravageait plus ses tympans. Le calme régnait jusqu’aux tréfonds de son être. Tout était blanc, étincelant… apaisant.
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Diegory regagnait son bureau. Depuis le couloir, il remarqua l’absence manifeste de sa coéquipière et pesta. Il balaya la pièce du regard. Un post-it bleu collé sur le moniteur attira son attention. Après six foulées, il l’attrapa et le consulta.
« Je suis descendue au labo. Elise. »
Quelques secondes à peine lui furent nécessaires pour comprendre les intentions de cette dernière. Un rire incontrôlé retentit dans la pièce. S’il n’avait pas constaté l’absence du véhicule de Talyah sur le parking extérieur, cette note l’aurait probablement refroidi, car rien n’arrêtait la scientifique dans ses explications. Elle exposait ses théories, les contre-théories, les analyses effectuées puis seulement, leurs résultats. C’était d’ailleurs pour cette raison que de nombreux agents évitaient de s’y rendre durant ses heures de services.
Un soda à la main, l’inspecteur reprit son marathon en direction du premier étage après s’être assuré que l’ascenseur n’avait pas été appelé au premier. Il sauta par-dessus quelques rangées de marches et poussa la porte de la cage d’escalier brutalement. Celle-ci rencontra une résistance et revint cogner l’épaule de l’agent avec violence.
Allongé sur le sol, Timothy reprenait ses esprits. Le gobelet qu’il était allé chercher pour Elise s’était renversé sur lui et sur le tapis.
— Elise a fait une syncope ! s’écria le scientifique.
À ces mots, Diegory partit telle une balle sans prendre la peine d’aider son collègue à se relever.
Il pénétra dans la salle du laboratoire où des tubes d’analyses biologiques et leur support gisaient à terre. Elise redressa la tête, les yeux mi-clos. Un fin sourire étira ses lèvres. Tentait-elle encore de le leurrer ? Elle manquait de forces, d’énergie : ses paupières n’arrivaient même pas à rester ouvertes. L’agent s’avança. Les morceaux de verre se broyèrent sous ses semelles. Il lutta afin de ne pas lancer une remarque déplaisante comme sa femme le lui avait demandé.
Cette fois, Elise n’aurait pas le choix : il la conduirait aux urgences. Il s’approcha davantage et s’abaissa à sa hauteur. D’une voix calme, presque douce, il lui demanda si elle était en mesure de marcher. La jeune femme opina, tenta de se lever, mais retomba aussitôt contre le dossier en mousse, non sans douleurs supplémentaires.
— Tu ne connais même pas tes propres limites, soupira Diegory en passant ses bras sous les jambes et le dos de sa coéquipière pour la soulever.
— Attends ! s’exclama Timothy derrière lui. Je viens avec vous.
L’agent patienta le temps que le scientifique inscrive une note à l’intention de ses collègues et la colle sur la porte avant de se mettre en route. Elise sombrait par intermittence. Timothy ouvrait les portes et se permettait l’une ou l’autre question au sujet de l’état de santé de la jeune femme. Si le directeur était déjà au courant, Diegory n’avait plus rien à cacher et signala qu’elle s’était démis l’épaule sur le terrain.
Surpris, Timothy se figea, puis courut afin de tenir la porte qui menait à l’extérieur.
L’enquêteur installa sa coéquipière sur le siège passager du véhicule et l’inclina à son maximum pendant que Timothy prenait place à l’arrière. Ce ne fut qu’une fois derrière le volant que Diegory lui demanda pourquoi il l’accompagnait.
— Je voulais qu’on parle de l’enquête, répondit le scientifique, le regard franc. Je n’ai pas toutes les pièces du puzzle et vous êtes les plus à même de me les apporter. Cet endroit dégage quelque chose que les autres n’ont pas.
Le véhicule démarra. Diegory avait, lui aussi, l’impression que cet endroit ne leur dévoilait pas tout. La pièce immaculée de ce tombeau géant lui revint à l’esprit. Le silence s’installa. L’agent sentait le regard de Timothy peser sur lui. De toute évidence, il attendait des réponses, mais l’enquêteur n’était pas prêt à les lui fournir. Ce qu’il avait ressenti dans ce lieu, il préférait le garder enfoui.
— Les corps à l’extérieur de la bâtisse ont été réduits en charpie par les animaux. Pourtant, ceux à l’intérieur, en dehors de leurs propres blessures, ne portaient que les outrages du temps et des insectes nécrophages. Comme si… la demeure, ou les dépouilles, avaient été protégées, gardées, par quelqu’un. J’ai examiné les clichés. Un à un, continua le scientifique. Certains cadavres étaient en position fœtale. La juxtaposition de leurs membres indique qu’ils se sont recroquevillés eux-mêmes pour attendre la Mort.
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— Il attendait qu’on vienne, gémit Elise.
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