Chapitre 8 (8/-)
Les yeux clos, Elise se laissait guider par la brume. Les reliefs du corps de la dépouille défilaient contre sa paume malgré les deux paires de gants. Dans son dos, la chaleur de l'entité se déversait à travers son être et incendiait chaque parcelle de sa peau. Au moment même où elle songea à se dégager de la prise du « dieu du temps », celui-ci prit la parole et lâcha sa main :
— Il y a tant de doutes dans ton esprit que tu ne l'entends pas. Il t'appelle. Inlassablement, mais tu le rejettes. Tu les rejettes, rectifia-t-il. Tu as peur, Elise. Peur de ce qui t'entoure, peur de ce que tu es ou de ce que tu pourrais devenir.
Un monstre ?
Tu l'as toujours été.
Elise fit volte-face, hélas la brume s'était volatilisée. Elle aurait aimé lui hurler qu'il se trompait, mais depuis que cette enquête avait commencé, elle avait le sentiment que son monde se dissolvait sous ses pieds. Elle repensait à sa mère et à la mort de celle-ci. À ses choix et à leurs conséquences. Elle doutait d'elle-même, de ses capacités ainsi que de ceux qui l'entouraient. Au final, elle avait relégué cette enquête au second plan et s'était focalisée sur les mots de cet homme. Que savait-il qu'elle ignorait ? Que savait-il qu'elle ignorait, bon sang !
À force d'observer Erwan Trope, immobile, elle aperçut le reflet de la victime dans le miroir de ses iris figés. Son attention se reporta naturellement sur le cadavre.
Cette enquête primait sur tout le reste. Tant que le temps n'avait pas repris sa course folle, elle essayerait, encore et encore, de trouver son âme.
Déterminée, elle tendit le bras et posa sa paume sur les vestiges de la cage thoracique. Elle effectua des mouvements circulaires de plus en plus larges, de plus en plus rapides, à l'instar de ceux de l'entité. La chair nécrosée et les os dansaient sous sa main.
D'ordinaire, lors d'un contact prolongé avec un cadavre, son flux psychique se propageait dans les veines de la dépouille et se liait à l'esprit du défunt qui s'éveillait, revigoré par son énergie. En fonction de la puissance de leur âme, ils restaient vivants de quelques secondes à quelques minutes, puis s'évaporaient, vidés de leurs forces astrales. Hélas, seul le néant habitait cet homme.
— Ferme les yeux, tonna la voix de l'entité dans son dos.
Une émotion indescriptible, entre soulagement et peur, la gagna. Consciente qu'il lui accordait une deuxième chance, Elise s'exécuta et suspendit son geste. Elle n'eut aucune réaction lorsque le corps de la brume s'accola au sien et qu'il glissa sa main dans la sienne.
Le mouvement circulaire reprit : plus pressant, violent.
Elise avait l'impression d'être en feu, mais garda les yeux clos. Elle ne désirait qu'une chose : entendre la voix de cet homme. Si, pour se faire, elle devait se transformer en torche vivante, elle n'hésiterait pas. Elle n'hésiterait plus.
Un soupir s'échappa de ses lèvres et toute la tension accumulée dans son corps s'envola au moment où ce dernier se relâcha. Le brasier qui se heurtait à elle pénétra dans son corps, dans son âme et elle comprit enfin : la chaleur qui l'enveloppait n'était autre qu'une partie de l'énergie spirituelle de la brume.
— Écoute l'univers qui t'entoure, chuchota l'entité. Ouvre tes sens. La perception et l'ouïe te seront indispensables si tu veux entrer dans son monde. Cette âme a souffert, Elise.
Par-delà ses battements de cœur et sa respiration rapide, Elise tentait d'entendre une voix, un mot, un cri, un son. Dans sa quête, elle perçut le souffle chaud de la brume contre ses cheveux. Machinalement, ses expirations se calquèrent à celles de l'entité. Peu après, ce furent les pulsations cardiaques du dieu du temps qu'elle parvint à entendre. Cinquante pulsations séparaient leurs battements de cœur. Plus les secondes s'écoulaient, plus Elise se sentait aspirée vers l'avant, comme si les mouvements circulaires qu'ils effectuaient avaient engendré une tornade, un trou noir.
Soudain, un sanglot, lointain, trop lointain s'échoua contre ses tympans. Elise ouvrit les paupières. Autour d'elle, le néant. L'obscurité, avide, avait englouti la pièce et ses occupants.
« C'est dans l'obscurité que l'on voit le mieux, tu n'as pas à craindre les ténèbres », lui répétait souvent sa mère lorsqu'elle paniquait dès que la lumière s'éteignait.
Où qu'elle fût, l'âme de cet homme s'y trouvait aussi. Indescriptiblement, elle percevait sa présence.
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