Chapitre 14
Mes quelques jours de congé m'avaient fait du bien, mais ne m'avaient pas permis de me détacher de Paul, bien au contraire.
Nous étions lundi matin et nous étions tous conviés à notre grand-messe annuelle. Comme à mon habitude, je m'installais, dans les premières rangés, comme une bonne élève. Non pas que j'adorais ce genre de réunion, mais je n'avais jamais compris l'intérêt de se mettre le plus loin possible, quitte à laisser l'avant de la salle vide. Mais comme à chaque fois, passé les premières présentations, je m'ennuyais vite. De temps en temps, je cherchais Paul du regard, mais lui par contre était adepte du fond de la salle. La fin de matinée, devait être réservée au "titulaire" de l'entreprise et Paul, qui était intérimaire, dû rejoindre le bureau. Je lui avais proposé de nous retrouver avec deux autres collègues féminines, dans un restaurant du centre-ville. Il m'avait vaguement donné son accord, mais la réunion s'éternisa et quand nous sortîmes enfin, Paul Changea d'avis. Mais je sentais toujours un léger malaise quand il s'agissait de partager des moments conviviaux entre collègues. Et à bien y réfléchir, je ne suis pas sûr que notre sortie tardive fût responsable de son désistement.
Plus nous étions proches, dans nos discussions sms, plus il s'éloignait au bureau et je n'arrivais pas à comprendre la raison. Je faisais pourtant très attention à ne montrer, à l'égard de Paul, aucune préférence. Il était bien sûr évident que personne ne devait savoir que nous avions, tous les deux, une relation privilégiée. Dans le boulot d'ailleurs, je savais faire la part des choses. Les quelques fois où Paul avait effectué des tâches pour moi, je l'avais traité comme n'importe quel collègue. Pas de faveurs ou défaveurs particulières.
Il est vrai que lui, par contre, aimait souvent n'en faire qu'à sa tête, voir même, faire à l'inverse de ce que j'exigeais. Il y a dans le travail une proportion de tâches administratives réglementaires, qui ne passionne personne. Mais elles doivent être faites. Paul savait que, dans le travail, j'aimais la rigueur, car elle était exigée par mes supérieurs. Alors régulièrement, il oubliait des formulaires ou des signatures. Parfois même, il oubliait de faire une correction que je lui avais demandée. Volontaire ou involontaire, la question reste ouverte. Je pense, ou plutôt j'ai l'intime conviction, qu'il faisait cet effort particulier pour moi. Il prenait un malin plaisir à me taquiner, encore et encore.
Alors pendant les pause-cafés, il prenait son sourire espiègle pour me dire, qu'il n'avait pas le temps, ou des choses plus importantes à faire. Il appréciait aussi se moquer gentiment de moi, ou encore dire le contraire de ce que je disais, en trouvant des arguments farfelus, pour tenter d'avoir raison. Le but était avant tout d'avoir avec moi une joute verbale. Elles n'étaient jamais agressives et je les appréciais en fin de compte, car elles étaient l'occasion pour moi de plonger mes yeux dans les siens, quand nous parlions.
— De toute façon, tu es trop sérieuse et trop sage, me dit-il avant de retourner à sa place.
Mais depuis que j'avais discuté avec mes colocataires de bungalow, je réfléchissais beaucoup, à ce que je ressentais, à l'attitude de Paul, à mon couple, à la multiplication de mes sorties, parfois trop arrosées.
« Tu dis que je suis trop sage, pourtant, dernièrement, j'ai l'impression d'avoir fait beaucoup de bêtises », lui écrivais-je
« Comme quoi ? », m'écrivit-il.
« La semaine dernière, j'ai picolé tous les soirs et j'ai raconté des choses très intimes à mes coloc »
« Ça va, Il y a pire »
« Cet été, j'ai pris le volant alors que j'étais bourrée »
« Ça m'est arrivé aussi »
« Oui, mais moi, j'ai quatre blondes qui m'attendent à la maison »
« Moi aussi, lol »
« Dure d'être sérieuse avec toi, Paul »
« Non, mais je comprends »
« Et il y a encore un an, j'aurais trouvé choquant et ridicule une mère de famille qui passe la nuit dans les bras d'un gars beaucoup trop jeune et trop mignon. »
« Ça ce n'est rien. Il n'y a rien de choquant. On a passé une bonne soirée. Rien de grave. Et tu n'as pas à en avoir honte, non plus.
Je ne vois pas pourquoi ? »
« Je n'ai pas honte, mais il y a trop de choses qui me trottent dans la tête tout le temps. »
« C'est la vie...
On se pose tous pleins de questions, c'est normal »
C'était étrange, il était mon confident, mais aussi, l'objet de confidences, que j'avais de plus en plus envie de lui faire. Il trottait dans ma tête, à longueur de journée. Même en travaillant, en dormant ou en pratiquant mon sport, il n'était jamais loin et je l'aurais voulu encore plus proche. Pourtant, mes espoirs de lui plaire réellement, étaient minces. Mais j'avais l'impression de déborder et il était sûrement la seule personne auprès duquel je pouvais soulager mes états d'âme.
Mais comment ne pas me ridiculiser en lui avouant mes sentiments.
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