Chapitre 53
C’était la fin d’une histoire. Ce soir Paul nous invitait dans son bar préféré, pour fêter son départ. Et dans deux semaines, je lui dirais au revoir définitivement, en même temps que mon départ en vacances.
Il était dans son élément en tant que maître de cérémonie. Il prenait soin de chacun, souriant, solaire.
Je ne sais plus si j’étais heureuse ou malheureuse. Un peu des deux sûrement. J’avais envie d’être là avec lui, mais je voulais qu’on me le laisse une dernière fois, juste pour moi. Alors je me contentais de ce moment, espérant un regard complice, un sourire ou un mot gentil. Je ne voyais et n’entendait que lui, même quand je discutais avec d’autres personnes.
Cela avait toujours été ainsi, depuis ce premier regard échangé. À chaque café, chaque réunion, chaque soirée, une partie de mon âme le regardait, l’imaginait, le ressentait. Et ce soir encore plus que jamais. J’avais de nouveau du mal à trouver ma place, ne sachant pas avec qui discuter, me trouvant inintéressante, ennuyeuse… inutile.
Bien sûr, nous avions fait un cadeau à Pierre accompagné d’une carte. Dans un coin, j’avais apposé le mien « Après ton départ, il manquera dans chacune de nos journées un peu de sel (ou de poivre) ».
J’adore le poivre, il est piquant et délicat à la fois, il accompagne tous mes plats !
À l’heure de la fermeture du bar, nous avions prévu d’aller danser en boite. Paul fut difficile à convaincre, mais finit par nous accompagner. Mais il était comme absent, les yeux continuellement fermés en dansant. Il semblait qu’il eût sûrement trop bu. Sans prévenir, sans un « au revoir », Paul partit et nous abandonna. Je finissais donc la soirée avec Inès et quelques autres collègues et à mon tour, je rentrais seule chez-moi, pour dormir quelques heures.
Ayant mal aux pieds, j'avais retiré mes chaussures, il faisait nuit, mais chaud. La ville était calme, l'air empli de l'odeur de l'été douce et réconfortante. J'aimais cette sensation de marcher pieds nus, comme un retour aux sources, une forme de libération de la bienséance.
Ces deux dernières semaines passèrent trop vite. Jamais Paul n’accepta une dernière bière. J’avais espéré retrouver une dernière fois le Paul que j’avais connu l’été d’avant, mais jamais il n’accepta de pointer le bout de son nez.
C’était sa dernière journée, notre dernière pause-café et le dernier point du vendredi matin, pour Paul. Dans quelques heures nous serions tous deux en congé.
Nous avons parlé des dernières infos du bureau et le chef en profita pour désigner les personnes qui organiseraient le repas de fin d’année. C’était dur d’imaginer que, ce moment, je ne le partagerais plus avec Paul... Plus jamais. Une dernière fois, il croisa mon regard, sans un sourire les yeux pleins d’émotion. Je crois que lui aussi souffrait de ce futur qui ne serait jamais plus pareil. Il me manquerait et peut-être lui manquerais-je aussi. Même s’il avait toujours dit qu’il m’oublierait vite.
Avant de retourner à mon bureau, je dis à Paul :
— Tu n’oublieras pas de venir me dire une dernière fois au revoir.
— Mais bien sûr.
Et ce moment arriva. Je l’entendais derrière les armoires passer de collègues en collègue, pour dire au revoir. Petit à petit, le son de sa voix se rapprochait. Je savais que je n’arriverais pas à contenir mes larmes. D’ailleurs, elles coulaient déjà.
Il était là derrière moi et pour une dernière fois, nous allions nous regarder.
— Faut pas pleurer dit-il doucement.
Mais pas un mot ne sortait de ma bouche. Je voulais lui dire qu’il me manquerait, mais nous n’étions pas seuls. Alors j’ai baissé mes yeux, pour qu’il ne voit plus mes larmes et j’ai laissé les autres lui dire les banalités d’usage. Une dernière fois, nos regards se sont croisés, j’ai esquissé un dernier sourire, qu’il m’a rendu et sa silhouette disparue derrière l’armoire.
J’avais cette impression que l’on m’avait volé mes adieux à Paul.
Alors pour une dernière fois, je lui envoyais un message.
« Passe de bonnes vacances et pourquoi pas fin août, je serai sur Nancy, alors pour un déménagement ou autre chose. Et encore deux présents pour ton départ :
Un souvenir » (c’était la photo que je lui avais envoyée quelques jours avant que nous ne fassions l’amour.
« Un beau souvenir », répondit-il.
« Et peut-être, si tu le veux, ce sera l’occasion de faire le tri avec ses petites sœurs »
Mais il enregistra la photo.
« Deuxième présent : plus de messages (même si tu m’envoies des Snap) et si un jour, tu veux de nouveau que nous soyons amis, envoie-moi un « coucou »
« Je note »
« Tu vas me manquer ».
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