Chapitre 16 - 1
Karel bondit de joie. Son Maître venait de lui annoncer qu’il allait lui apprendre la téléportation. Il précéda Serymar à l’extérieur. Le petit garçon aimait voir la cendre s’envoler autour de lui lorsqu’il courait et aimait ces ruines qui entouraient le domaine. Chaque recoin était toujours un prétexte pour s’inventer une nouvelle aventure, un voyage qui devenait victorieux s’il parvenait à dénicher des reliques issues d’un temps lointain et révolu. Karel les ajoutait ensuite à sa collection, et quand il se sentait seul et ne pouvait pas sortir, il appréciait de se replonger dans les souvenirs rattachés à chacun de ses trésors.
Il s’arrêta et attendit son Maître qui le rejoignait sans se presser. Karel se surprit à remarquer qu’il ne l’avait jamais vu courir. Serymar les mena au-delà des ruines et lorsqu’ils arrivèrent sur une zone dégagée, le Mage lui ordonna de s’asseoir. Karel obéit alors que son Maître commençait quelques explications.
Le petit garçon nota plusieurs fois les signes correspondant à la concentration et à l’observation. Il comprit enfin la raison de ses exercices de ces derniers jours : Serymar lui avait imposé d’exercer son esprit en observant avec attention divers objets pour les reproduire de manière parfaite sur papier. Après cette première étape, il avait demandé à Karel de recommencer les yeux bandés. Si cette activité s’était révélée difficile, l’Apprenti l’avait trouvée plaisante. Dessiner le détendait, alors il n’avait pas boudé son plaisir.
Karel comprit enfin le rapport avec la téléportation. Ce sort nécessitait de mémoriser ce que l’on souhaitait transporter au détail près et la moindre inattention pouvait se révéler dangereuse.
Serymar ramassa une pierre au hasard et la posa au sol devant Karel. Puis il s’éloigna de quelques pas et s’assit en tailleur en face de lui. Le Mage dessina une croix dans la terre puis s’immobilisa. Karel comprit ce qu’il attendait.
Il fixa la pierre et fronça les sourcils. Il plaqua ses mains sur ses tempes et appela ses pouvoirs. Karel fut aussitôt interrompu par un contact dans son esprit qui lui provoqua un bref mal de crâne. Il détestait cette sensation. Il savait parfaitement de quoi il en retournait : le Mage le réprimandait à sa façon en lui envoyant un choc psychique. Léger pour ne pas lui faire de mal, mais suffisant pour le rappeler à l’ordre.
Karel se reprit. Imaginer le résultat en souhaitant fort que cela fonctionne, ce n’était pas comme ça qu’il fallait faire.
Il se souvint des consignes données : observation et concentration. Il comprit aussi sa première erreur : il avait essayé de se lancer sans avoir détaillé l’objet qu’il devait transporter. Il était vrai qu’aucune pierre ne se ressemblait.
Karel l’examina en essayant de mémoriser la moindre aspérité. Il ramassa la pierre, la soupesa et la parcourut de ses doigts. Un nouveau choc à la tête la lui fit lâcher. Karel soupira et ravala sa frustration. Qu’est-ce qu’il avait encore fait de travers ? Pourquoi son Maître ne voulait-il pas comprendre qu’avancer sans se faire guider était difficile ?
Tâchant de reproduire ses exercices sur papier, Karel esquissa dans son esprit chaque aspérité qu’il ressentait sous ses doigts, jusqu’à revoir la pierre de manière précise. Dureté, taille, poids, forme, couleur, visualisation du lieu d’origine et de la destination. Soudain, ses mains se refermèrent sur du vide.
La joie l’envahit et il ouvrit aussitôt les yeux, impatient de voir son résultat. Il ravala vite son enthousiasme lorsqu’il vit l’insatisfaction dans le regard perçant de son Maître. Karel s’aperçut alors que non seulement la pierre n’avait pas atteint sa destination, mais qu’en plus, il manquait un morceau. Le Mage en prit une autre et la montra à Karel sans bouger de sa position. Le minéral disparut de sa main et se retrouva sous les yeux impressionnés de Karel. Il n’avait pas vu Serymar cligner des yeux ou esquisser le moindre geste. Comment avait-il fait ?
Karel recommença. Yeux fermés, il toucha la nouvelle pierre et parvint encore une fois à la téléporter. Lorsqu’il voulut constater son résultat, Karel aperçut cette fois qu’elle était entière, mais sans avoir atteint sa destination.
Serymar lui imposa de recommencer et renvoya la pierre à sa place de départ. Karel recommença plusieurs fois, toujours sans parvenir à l’amener à destination. Le petit garçon se fit patient et continua à la diriger petit à petit vers son objectif. Serymar l’interrompit par une nouvelle onde de choc. Karel soupira en se massant la tempe. Un léger vertige le prit.
Serymar lui expliqua que cette méthode lui demandait plus de ressources que nécessaire, ce qui se révélerait dangereux à la longue. Son Apprenti frissonna en se remémorant ce qui pouvait arriver à un porteur de magie dépassé par ses pouvoirs. Le souvenir des bougies écrasées lui avait bien fait comprendre le drame qui risquait de le toucher.
Après ces signes, Serymar s’assit ailleurs, toujours à plusieurs mètres de Karel afin de bien lui signifier qu’ajuster petit à petit le chemin n’était pas du tout la bonne voie à suivre. D’un geste, il fit apparaître un verre d’eau proche de son Apprenti qui en avala le contenu avec avidité. Il ne s’était pas rendu compte que son corps s’épuisait déjà.
Une fois terminé, Karel fixa le verre d’un air songeur : ainsi, on pouvait aussi téléporter du liquide ?
Comme son Maître le lui avait appris, on ne pouvait pas faire apparaître les choses à partir de rien. Tout avait une source. Le téléport n’était qu’une façon de déplacer des objets et des êtres vivants, à condition que l’accès se trouve à une distance raisonnable de la destination. Le Mage s’était simplement servi depuis le château.
Karel soupira. Cet exercice était plus difficile que prévu. Une vague de déception l’envahit à l’idée de ne pas réussir comme Serymar le souhaitait. Un claquement de doigt interrompit ses sombres réflexions et Karel risqua un œil envers son Maître. Celui-ci lui signa une pensée inattendue : « Aie confiance en toi ». Sensible, le petit garçon fut touché. Il savait que Serymar ne lui exprimait jamais les choses pour lui faire plaisir ou l’encourager. S’il lui envoyait ce message, cela signifiait donc que Karel pouvait vraiment réussir l’objectif du jour.
Il inspira et se concentra de plus belle. Le petit garçon décida de s’inspirer de la télékinésie, afin de ressentir la présence de la pierre comme s’il la touchait de ses mains. Karel évalua la distance à parcourir et observa en détail la destination. Enfin, il appela son pouvoir. La pierre disparut et Serymar leva un bras pour refermer le poing d’un geste vif et précis.
Suite ===>
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