Chapitre 19 - 2

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Le bol se fracassa sur le sol sous le cri terrifié d’Elma qui l’étouffa aussitôt en plaquant ses mains sur sa bouche. Les larmes aux yeux, elle quitta la chambre de Karel en courant. La jeune femme manqua de trébucher sur les marches cassées. Enfin arrivée sur le bon palier, elle se précipita jusqu’au fond du couloir et poussa avec violence la vieille porte lorsqu’elle se jeta dessus.

— Maître ! s’écria-t-elle.

Serymar comprit avant même qu’elle ne lui fournisse d’explications et disparût.




Le Mage trouva Karel à ses pieds, inconscient, le teint blafard avec des traces de sang sur son visage et sur le sol. Serymar jura en son for intérieur. Il détestait ce sentiment d’impuissance. Quel mal attaquait son Apprenti ?

Sa mémoire le ramena à quelques jours plus tôt, lors de l’incident des cachots.

« La blessure à son bras se serait-elle infectée malgré mes soins ? »

Il songea avec mauvaise humeur qu’un jour, il devrait trouver une solution à propos de ces cachots. Pour l’instant, il y avait plus urgent.

Serymar ramassa Karel et le posa sur son lit. Assis sur le rebord, il s’empressa de saisir son poignet. Son pouls était si faible… il devait faire vite.

Immédiatement, il apposa ses doigts sur le torse du garçon. Serymar usa de la magie pour envoyer une impulsion d’air, afin de solliciter le système respiratoire de Karel. Cette magie n’étant pas commune, Serymar sentit son pouvoir irradier dans ses veines. Celles de sa main se firent plus visibles que la normale, pareilles à des sillons d’argent. Usant de ses sens, le Mage parvint à ressentir ce qui obstruait le passage de l’air. Il appuya davantage sur la cage thoracique de son Apprenti pour envoyer une impulsion plus puissante.
Karel fut parcouru d’un brusque sursaut comme s’il avait été possédé, pris d’une violente quinte de toux qui lui fit cracher une gerbe de sang à moitié coagulé sur les draps. Ses yeux s’agrandirent de stupeur, effrayé. Incapable de comprendre ce qui lui arrivait, son esprit s’emballa et ses yeux paniqués rencontrèrent ceux de son Maître. Serymar s’impatienta devant l’affolement du garçon et l’immobilisa d’une main pour lui ordonner de se calmer, le regard dur. Il continua prudemment à aider les poumons à fonctionner en y insufflant de l’air.

« Concentre-toi pour respirer. Lentement. » lui intima-t-il par le regard.

Avec beaucoup d’appréhension, Karel lui obéit et essaya de respirer le plus normalement possible en se calant sur les apports du Mage.

Serymar réfléchit à la situation sans encore oser relâcher Karel, sa main toujours posée sur lui. Les sillons argentés remontèrent jusqu’à ses coudes sous ses manches, ce qui lui rappela qu’il était immunisé contre toutes les maladies.

À cette pensée, une idée germa dans son esprit. Elle ne l’enchantait guère, mais l’urgence de la situation ne lui donnait pas beaucoup de temps pour en trouver de meilleures.

« En suis-je seulement capable ? » douta-t-il un instant. « Comment faire en sorte qu’il tienne le choc ? »

Karel repoussa d’un geste faible la main du Mage. Lorsque son regard vitreux découvrit celui de son Maître, il détourna son visage. Serymar se retint de justesse pour ne pas laisser éclater sa colère.

Karel fut atteint par une nouvelle crise. Il avait peur. Son anxiété se mua en panique. La douleur déformait ses traits au point de le rendre méconnaissable. Serymar eut de plus en plus de mal à le maintenir immobile. Karel s’asphyxiait et serrait ses doigts tremblants contre sa poitrine, comme s’il souhaitait arracher cette chose qui lui transperçait ses poumons. Des larmes de peur lui échappèrent.

Serymar n’hésita plus. Il immobilisa Karel dos contre le mur d’un geste plus rude qu’il ne l’aurait souhaité. Il plaqua une main contre sa poitrine. Son cœur battait à tout rompre sous sa paume. Le Mage ferma les yeux et utilisa ses pouvoirs.

Les yeux révulsés, Karel fut secoué de violents spasmes qui le firent souffrir comme jamais. Il eut l’impression qu’un serpent venait de s’infiltrer à l’intérieur de son corps et lui transperçait les poumons. Sa respiration s’accéléra jusqu’à se saccader et s’étioler, comme s’il était en apnée et incapable de remonter à la surface. Il tenta de se débattre. Plus il essayait et plus la poigne de son Maître se durcissait. Son corps se contracta douloureusement, ses membres lui donnèrent l’impression d’imploser un par un. Le pire restait cette sensation au niveau de sa poitrine. Il souffrait comme un animal torturé. Il s’affola de plus belle quand son corps fut à nouveau secoué de convulsions. Comment exiger que cela cesse ? Il avait si mal qu’il ne sentait pas les doigts du Mage se resserrer avec de plus en plus de force, comme s’il cherchait à lui extirper quelque chose du corps qui s’entêtait à lui résister.

Enfin, la poigne finit par le relâcher et les étranges filons d’argent s’effacèrent peu à peu de la peau de Serymar. Le Mage retira ses mains. Haletant, Karel constata qu’il pouvait cette fois respirer sans difficulté, enfin libéré de son entrave invisible. Cette fois, l’impression du serpent était partie, remplacée par une sensation de déchirure. C’était comme si Serymar lui avait arraché quelque chose de force.

Le corps baigné de sueur, Karel risqua un regard vers son Maître. La stupéfaction marqua ses traits lorsqu’il le vit encore plus étrange que d’habitude. Sa pâleur habituelle s’était accentuée et le Mage semblait lutter pour se tenir droit. Sa main gauche était accrochée sur la tête de lit, le bras tendu pour éviter de s’écrouler. Sa respiration était devenue laborieuse. Karel remarqua avec inquiétude la main libre du Mage contre son cœur, les yeux fermés, le visage visiblement concentré : le connaissant, il devait tenter de maîtriser le mal qui semblait le ronger. L’inquiétude de Karel grandit lorsqu’il comprit ce qui venait de se passer. Il ne sut s’il devait se sentir admiratif ou complètement choqué.

Karel sursauta quand il vit le Mage ouvrir les yeux vers lui en le fusillant du regard. Il se redressa avec lenteur. Karel baissa la tête. Une main passa sous son visage pour le relever et Serymar lui ordonna par signes de se reposer pendant au moins trois jours. Ou plus s’il ressentait la moindre douleur ou fatigue, et de boire.

Serymar se releva, non sans retenir un haut-le-cœur et porta le dos de sa main contre ses lèvres closes. Le goût du sang lui emplissait la bouche. Le Mage sortit de la pièce en fermant la porte. Il s’éloigna et rejoignit le dernier étage du château en s’appuyant contre un mur pour s’empêcher de tomber. Ses jambes semblaient refuser de lui obéir et le sol tanguait sous ses pieds. Serymar avait la désagréable impression que ses côtes allaient transpercer ses poumons à chacune de ses inspirations. Sa tête lui tournait dangereusement et sa nuque lui donnait la sensation d’être du verre sur le point de se briser sous le poids de son crâne. Seule sa volonté le faisait encore tenir debout.

« Saleté. » jura-t-il.

Il croisa Elma, toujours aussi angoissée.

— S’il vous plaît, dîtes-moi qu’il est sauvé !

Le Mage se contenta d’acquiescer d’un léger signe de tête qu’il regretta aussitôt. Ce simple geste fit exploser la douleur. Elma se sentit soulagée, bien qu’elle ne manqua pas de remarquer l’état inhabituel de son Maître.

— Mais… que s’est-il passé ? Vous ne semblez pas dans votre état normal…

Serymar mit quelques secondes avant de répondre.

— Je n’avais ni les moyens, ni le temps de le sauver. Mes pouvoirs ne me permettent pas d’éradiquer les maladies. Alors…

Il toussa, tâchant le dos de sa main de sang argenté qu’il dissimula. Il se reprocha cette faiblesse dans sa voix et son énergie qui lui échappait.

— Alors ? insista Elma, inquiète, en voyant que la réponse tardait à venir.

— …j’ai été obligé de la transférer en moi. Contrairement à lui, j’y survivrai. Mais… cela risque de prendre un peu de temps.

S’il ne pouvait détruire cette violente maladie ni par la magie, ni par les herbes médicinales, il allait devoir faire confiance à son propre système immunitaire pour éradiquer cette maladie inconnue.

Elma comprit aussitôt tout ce que cela impliquait. Elle demanda alors :

— Quels sont vos ordres, Maître ?

— Surveille Karel. Je te confie le château. Le temps que cette chose soit annihilée.

Il laissa Elma saisir les enjeux de ces nouvelles directives et chercha à avancer. Lorsqu’il dépassa la jeune femme, il changea brusquement d’attitude et la saisit par ses bras. Fébrile, ses griffes s’enfoncèrent sans sa chair, arrachant une grimace à Elma, qui resta interdite.

— Elma… méfie-toi. Je le sens. Certains vont me trahir. Te trahir. Fais attention à eux. Protège Karel. Karel doit absolument… vivre.

— Maître… laissez-moi vous aider.

Serymar l’en dissuada aussitôt d’un regard et la relâcha. Elle soupira en se massant les bras. Elle inclina légèrement la tête.

— Vous pouvez compter sur moi. Je ne laisserai rien arriver de plus à Karel.

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