Chapitre 21 - 1

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8 ans plus tôt.

  Elma commençait à s’habituer au silence quasi permanent des lieux. Quelques jours plus tôt, le Mage avait refusé qu’elle s’engage dans le pacte magique qui les relierait, et lui avait accordé quelques jours supplémentaires de réflexion. Cela durerait le temps qu’il lui faudrait pour maîtriser la lecture et l’écriture.

  La jeune fille s’était d’abord sentie frustrée que le Mage ait refusé de donner crédit à son désir d’engagement. Mais elle avait fini par comprendre ses raisons, et cela la motivait davantage à rester à ses côtés. Il était le premier qui ne profitait pas de ses lacunes pour tenter de la piéger. Depuis, ses leçons de lettre avaient commencé.

  Après quelques pas, Elma découvrit une pièce où était disposée une longue table et plusieurs chaises renversées. Décidément, à part ses livres, son hôte ne semblait pas comprendre l’intérêt d’avoir un intérieur aménagé.

« Comment peut-on être aussi instruit et vivre comme un sauvage ? », s’étonna-t-elle.

  S’il ne comprenait pas l’intérêt de s’occuper de ce genre de chose, ce n’était pas le cas d’Elma. Si elle optait pour passer le reste de sa vie ici, autant essayer de rendre ces lieux plus vivables. Le Mage l’avait autorisée à fouiller et faire l’inventaire si « elle avait du temps à perdre ». Du temps, elle en avait, désormais.

  Décidée, la jeune fille entra dans la pièce et ramassa une première chaise qui avait connu des jours meilleurs. Elma remarqua qu’elle était déséquilibrée. Si elle trouvait les bons matériaux, elle pourrait peut-être la réparer. L’expérience de son ancienne vie lui servirait. Avant de décéder, son père lui avait appris à réparer bon nombre de choses, que cela soit des meubles ou d’autres objets du quotidien.

  Elma sourit au souvenir de ces jours heureux. Elle avait aimé ces moments de partage, même si cela lui avait valu d’être vue comme une fille mal élevée. Son père lui avait souvent expliqué qu’elle se devait d’être indépendante afin de ne pas se laisser diriger sa vie, peu importait si cela lui valait une mauvaise réputation. Elma remerciait encore ses parents de l’avoir aimée comme ils l’avaient fait.

  Lorsqu’elle redressa une autre chaise dans le même état, elle aperçut sur la table un morceau de papier oublié et jauni par le temps. La surprise la saisit à la vue de la même illustration que le calendrier en lambeaux.

« Encore cette rose… »

  C’était la seconde fois qu’elle rencontrait ce symbole. Elle se demandait bien ce que cela pouvait bien signifier.

  Sous la rose, deux lignes finement rédigées dans une écriture soignée. Elma ne résista pas : elle saisit le morceau de papier pour le déchiffrer. Le Mage était aussi exigeant que ce qu’il avait prétendu, et son incapacité à supporter de perdre son temps avait obligé Elma à faire des progrès très vite. Avec lui, il fallait apprendre vite et bien. Elle ne pouvait en nier l’efficacité. L’adolescente ne s’était jamais autant sentie écrasée par tant d’exigence et de perfectionnisme. Elle n’en était que plus motivée à être attentive : le Mage était capable de la faire recommencer jusqu’à l’épuisement, ce qu’Elma préférait éviter.

  L’adolescente était encore incapable de traduire des textes complexes et de lire d’une manière fluide. Elle avait cependant déjà acquis une base suffisante pour déchiffrer les phrases simples.

  Elle dût s’y reprendre plusieurs fois avant d’enfin parvenir à lire ces mots :

— A… aussi be… belle. Q-qu’une rose, au… cara… caractère a… aussi acéré q… que le, les… épines q-qui la… protègent des i… inte… in. Ten. Tions… malve… non, malveilan… mal-veil-lantes. Oui, c’est ça, je crois ! J’ai réussi !

  Elma n’eut pas le loisir de s’enthousiasmer plus longtemps, ni le temps de réfléchir au sens que pouvait avoir cette phrase, car une main lui arracha le morceau de papier. Ses yeux rencontrèrent un regard glacial.

— Je pense que tu devrais retourner étudier les sonorités à plusieurs lettres, lui déclara le Mage. Vas-y immédiatement. Je te teste dans une heure. Si tu échoues, je te ferais recommencer autant de fois que nécessaire.

  Elma déglutit et sortit de la salle sans demander son reste.

§§§§§

Aujourd’hui.

  Le lendemain de la mort de Radôn par le pacte du silence, Elma se réveilla en sursaut. Elle soupira : elle se sentait déjà épuisée avant même de commencer la journée. Ses genoux étaient raides d’avoir passé la nuit accroupie sur les pierres grises de la chambre de Karel, appuyée sur le rebord de son lit.

  Il avait été incapable de se rendormir après cette nuit effroyable. La jeune femme avait veillé sur lui dans l’espoir de le rassurer. Elle émergeait à peine qu’elle le vit agité dans son sommeil.

  Karel ouvrit soudain les yeux et se redressa avec brusquerie. La terreur déformait ses traits. Se sentir aussi impuissante face à sa détresse la déchira. Elma lui saisit sa main. Si Karel était toujours perturbé, le soulagement l’envahit aussitôt. Les yeux brillants de larmes, il se jeta au cou d’Elma et la serra fort, comme s’il craignait qu’elle ne disparaisse dans la seconde. Le cœur d’Elma se comprima alors qu’elle l’enlaçait avec douceur en lui caressant les cheveux. Elle dût se mordre la lèvre inférieure pour s’empêcher de lui murmurer des mots rassurants.

  Paniqué, Karel se dégagea de leur étreinte et lui fit savoir qu’il refusait de la quitter. Il lui demanda si elle allait mourir en l’instant. Terrifié, il signa de manière vive et saccadée. Allait-il lui aussi subir le même sort ? Serymar et les autres adultes aussi ?

  Avec douceur, Elma lui saisit les mains pour mettre un terme à ses signes et sa colère enfla. Elle en voulait à Serymar de cacher la vérité à Karel en imposant des mesures aussi extrêmes. Si Radôn avait eu l’idée de défier le Mage, il ne devait pas être le seul. Elle ne pouvait donc pas laisser Karel.

« Il est hors de question que Karel revive ça. » songea-t-elle. « Par les Dragons, mais qu’est-ce qui leur passe par la tête ? »

  Elma proposa à Karel de rester avec elle toute la journée, plus pour le surveiller qu’autre chose. Elle redoutait de le retrouver encore pris dans une situation dangereuse. Entre l’oubliette et cette horrible nuit…

  Tout au long de la journée, Karel ne s’exprima pas. Elma eut beau essayer de le solliciter, ses efforts restèrent vains. Son cœur se serrait en le voyant dans un état pareil. Le regard vide et la tête basse, il obéissait à tout ce qu’elle lui demandait sans la moindre émotion, comme une coquille vide. Son corps était là, mais sa conscience était comme absente.

  Elle devait pourtant l’aider à s’en sortir. Elma désespérait d’y arriver et jura contre sa propre impuissance.

  Sans être là, Serymar avait prouvé qu’il restait dangereux et prêt à agir sans hésiter.

Suite ===>


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