Chapitre 22 - 2
L’adolescent profita du vacarme des tambours rudimentaires sur lesquels les elfes noirs jouaient pour s’éloigner. Son ouïe fine agressée, il dût prendre sur lui pour ne pas succomber aux maux de tête qui le menaçaient. Au moins, ces sons atroces couvraient le bruit de son pas traînant. Alors qu’il s’éloignait, il prit garde à ce que la large capuche de son manteau miteux ne glisse pas de sa tête. Plus il mettrait de distance entre ce faux totem et lui, mieux ce serait. Il pesta contre sa jambe gauche, devenue un véritable poids impossible à soulever.
Il dépassa une rangée de torches surmontées de crânes et de breloques de métal, qui ressemblaient à des rouages divers et rouillés.
L’adolescent jeta un œil par-dessus son épaule. Personne ne le suivait. Son regard rencontra celui du faux totem. Entièrement constitué de métaux et de tuyaux, il avait la forme d’un crâne. Sa hauteur atteignait la cime des arbres qui cachait le village des elfes. Une lueur rouge malsaine brillait au creux des orbites intensément sombres, comme si une âme l’habitait. Des yeux superficiels semblaient voir où il se cachait, prêt à donner l’alerte s’il osait s’enfuir. Il s’en détourna et continua son chemin.
L’adolescent atteignit l’arrière d’un petit cabanon délabré. Il l’ouvrit de sa main gauche, la seule valide, entièrement recouverte par la manche de son manteau. Il avait cousu l’ouverture afin qu’aucune parcelle de son corps ne soit découvert. Le demi-elfe avait fait en sorte de créer des doigts afin de ne pas gêner ses mouvements.
De nombreux objets en mauvais état se révélèrent à lui. L’adolescent usa de télékinésie afin d’empêcher les objets de s’entrechoquer et sortit une dague au manche ouvragé. La lame était émoussée et tordue par endroits, mais avec quelques réparations, il pourrait s’en servir pour se défendre.
Soudain, il se raidit, tous ses sens en alerte. Il creusa un trou par le même procédé et enterra à la hâte son arme. À peine dissimula-t-il son méfait avec son pied que trois présences apparurent.
Les elfes noirs étaient grands et élancés. La peau ébène et les cheveux blancs, leurs yeux rouges brillaient d’une lueur cruelle et sadique. La résignation s’inscrivit sur les traits de l’adolescent. Il le savait d’avance, il ne faisait pas encore le poids face à eux. Pas avec un corps pareil et des pouvoirs à peine maîtrisés.
— On va quelque part ? lui fit l’un d’eux avec un sourire macabre.
L’adolescent ne recula pas. Il soutint sans ciller le regard de son interlocuteur.
— Maintenant, tu vas gentiment retourner au laboratoire. J’en ai marre de passer mon temps à réparer les dégâts que tu causes tout le temps !
L’adolescent ne répondit toujours pas, mais son expression haineuse était sans équivoque.
L’elfe face à lui disparut et se retrouva instantanément dans son dos pour lui saisir les bras. Le demi-elfe se débattit avec violence et dégagea sa main juste à temps pour une pierre qui visait son visage. Le projectile s’éroda jusqu’à former une pointe acérée. L’adolescent le planta avec violence dans l’œil de l’elfe qui le maintenait. Il hurla de douleur. Le prisonnier en profita pour lui éventrer le bras avec son arme improvisée. Des exclamations de surprise fusèrent.
Il n’eut pas le temps de faire un autre mouvement qu’un violent coup sur le visage le projeta sur le sol humide. Sonné, il ne parvint qu’à apercevoir plusieurs paires de pieds l’encercler. Son agresseur au bras ouvert fulminait de rage.
— Décidément, tu n’apprendras jamais ! En même temps, pourquoi est-ce qu’on s’en étonne encore ? Tu es incapable de raisonner !
D’un geste brutal, il ramassa l’adolescent par le col.
— Arrête de perdre ton temps, et enfonce-toi ça dans le crâne : tu n’es pas une personne ! Alors soit sage et conduis-toi en bon trésor expérimental que tu es !
Un air mauvais anima les elfes noirs qui le dévisageaient. L’expression de l’adolescent se durcit. Nulle trace de peur, seulement une lueur qui promettait une revanche prochaine. Il se l’était juré : un jour, les rôles seraient inversés. Un jour, ces elfes auraient peur de lui.
Il entendit un cliquetis familier. Il eut du mal à conserver son sang-froid. La colère le gagna. L’un des elfes avait sorti ces maudites chaînes. Des entraves lourdes, équipées de pointes à l’intérieur de chaque anneau pour le paralyser s’il utilisait la moindre once de pouvoir. Lui qui se sentait déjà prisonnier de son propre corps, porter ces entraves lui donnait l’impression d’être en enfer.
— Cette escapade nous a fait perdre notre temps, annonça l’elfe aux entraves. Nous n’en avons pas terminé avec toi aujourd’hui. Le projet Dragons n’attend pas !
Un courant glacial remonta le long de sa colonne vertébrale. Il avait beau avoir l’habitude et imaginer les scénarios les plus improbables, les elfes trouvaient toujours le moyen de le surprendre en matière de torture et d’expérimentation. S’il devait leur reconnaître une seule qualité, c’était qu’ils savaient se montrer très créatifs à ce sujet.
L’adolescent se débattit de plus belle. Comme tous les jours, il allait peut-être se faire éventrer, torturer tant sur le plan physique que psychologique, peut-être même se faire briser les membres ou infecter. Il ne tenait pas à connaître leur lubie du jour. Ne pas savoir ce qui l’attendait était devenu une angoisse qui lui paralysait ses réflexions.
Un picotement parcourut ses veines et plusieurs racines acérées sortirent de terre avec violence. Des cris de rage lui parvinrent. Au moins était-il libre pour l’instant.
Les elfes hurlèrent et se jetèrent sur lui. Incapable de maîtriser la téléportation, l’adolescent fit surgir des pointes de ses racines pour empaler ses adversaires. Connaissant leur très grande célérité, le garçon enflamma ses ronces et de nouveaux hurlements déchirèrent la nuit. Les arbres prirent feu et les flammes atteignirent le village. D’autres clameurs surprises retentirent.
Il profita de la confusion pour s’éloigner en maudissant sa jambe qui refusait de se soulever. Il était aussi ralenti par son bras droit qui pendait inerte le long de son corps.
Un brusque sursaut secoua son corps et son teint devint livide. Quelque chose de glacé était enfoncé entre ses omoplates. Son regard s’effaça. Le souffle coupé, il peinait à respirer. Il s’écroula tel un pantin désarticulé. Du sang argenté s’échappait de ses lèvres. Son dos révéla un poignard planté jusqu’à la garde.
***
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