Chapitre 25 - 1

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  Karel pénétra dans la pièce où il effectuait ses leçons de magie, motivé après son succès incontrôlé dans la plaine. Il fixa avec défi le sac de graines sur lesquelles il avait dû s’entraîner.

  Il en saisit une et invoqua ses pouvoirs terrestres. Comme à chaque fois, un léger fourmillement parcourut ses membres et Karel fit en sorte de maîtriser au mieux son flux magique comme le lui avait appris Serymar. Il ressentit pleinement le courant dans ses veines et le concentra dans sa main droite qu’il tendit vers la graine. Karel imagina avec force le résultat qu’il souhaitait obtenir. Pénétrer à l’intérieur du germe, chercher l’embryon et la nourrir avec l’endosperme pour la faire croître plus vite. Puis aider l’embryon à percer l’enveloppe.

  La graine émit un léger craquement et se fissura. Galvanisé, Karel continua à l’alimenter. Enfin, il comprenait là où son Maître avait voulu en venir lorsqu’il lui expliquait qu’il devait connaître le fonctionnement des choses pour obtenir un résultat. L’embryon perça et grandit, mais la plante se désagrégea avant d’avoir pu prendre forme.

  La déception envahit le petit garçon. Qu’est-ce qu’il avait encore fait de travers ? N’en avait-il pas fait assez ? Ou au contraire, avait-il trop nourri la plante ? Avait-il mal dosé l’énergie magique qu’il avait insufflée ?

  Karel soupira, déçu. Comment avait-il fait pour l’arbre dehors ? Il n’y avait vraiment pas réfléchi… il avait été si émerveillé qu’il n’avait pas pensé à analyser l’événement en détail comme le lui apprenait Serymar après chaque leçon.

  Il sursauta lorsqu’il entendit quelques coups contre le mur pour attirer son attention. Karel se retourna vivement et aperçut Lorn. Le petit garçon se referma aussitôt sur lui-même, prêt à subir une énième situation malaisante. L’homme remarqua les graines étalées sur la table et claqua la langue d’un air désapprobateur. Gêné, Karel s’empressa de tout ranger comme il avait l’intention de le faire avant l’arrivée du serviteur, agacé en son for intérieur de se faire réprimander pour rien.

  Sa besogne terminée, il refit face à Lorn qui affichait une expression satisfaite. Karel s’immobilisa. Encore marqué par la mort de Radôn, il redoutait de l’approcher. Il attendit que Lorn s’en aille mais celui-ci demeura sur place, ce qui ne manqua pas d’accentuer son mal-être.

  Enfin, Lorn lui fit signe de le suivre. Karel fronça les sourcils, méfiant. La dernière fois qu’il avait demandé de l’aide, il n’avait eu droit qu’à du mépris.

  Lorn afficha une mine sévère, le désigna, forma le signe « obéissance » et termina par se désigner lui-même. Karel se renfrogna. Il était vrai que Serymar lui avait dit qu’il devait écouter les adultes qui travaillaient en ces lieux. Qu’est-ce que Lorn lui voulait ?

  De mauvaise grâce, Karel le rejoignit, bien qu’il respecta une distance de deux bons mètres. Amer, il songea que les serviteurs ne manquaient pas de motivation pour l’ignorer, sauf pour lui exiger d’obéir. Ces signes-là, ces hommes les connaissaient bien, bizarrement.

  Ils descendirent au premier sous-sol. Intrigué, Karel interrogea Lorn du regard : le serviteur souhaitait-il qu’il l’aide à faire pousser quelques plantes à l’avance pour remplir les réserves ? Le petit sourire de Lorn semblait le confirmer, ainsi que son geste qui désignait les allées.

  Karel obtempéra et descendit dans la serre. Il demanda à Lorn de lui indiquer sur quelles plantes il devait agir. Lorn lui répondit d’aller plus loin. Karel s’enfonça plus encore dans la serre et bientôt, il ne vit plus le serviteur, resté vers l’entrée de la pièce.

  Le petit garçon examina les plantes une par une. Incapable de savoir desquelles Lorn parlait, Karel décida de laisser de côté celles qui n’avaient encore rien donné. Il ne voulait pas les détruire malgré-lui. Serymar lui avait bien expliqué qu’ils ne pouvaient se permettre aucun gâchis, car ils pouvaient se retrouver en pénurie de nourriture. Karel décida de ne pas prendre de risques et de faire arriver à maturité les plantes qui avaient presque fini de produire des denrées. Ainsi, il n’aurait pas besoin d’utiliser trop de magie et risquerait moins de les anéantir. S’il réussissait, peut-être que cela lui permettrait d’établir de nouvelles bases plus saines avec certains serviteurs ? Peut-être que Lorn était seulement maladroit et lui donnait une chance de s’entendre avec lui ?

  Séduit par cette perspective, Karel mit du cœur à la tâche. Il posa sa main sur une grenade et se concentra afin de ne pas faire d’erreur. Il appela encore son pouvoir et tenta de faire arriver le fruit à sa maturité. Cela fait, Karel le cueillit, satisfait.

  Fier de lui-même, il se releva pour rejoindre Lorn à l’autre bout de la pièce mais se figea soudain de peur : un feu consumait une partie des plantations. La fumée envahissait peu à peu la grande pièce.

  Karel chercha Lorn du regard, mais ne le trouva pas. Terrifié à l’idée de voir un autre mort, il lâcha le fruit et courut en direction des flammes. L’homme était sûrement piégé dans le brasier, il devait l’aider.

  Karel toussa lorsque la fumée attaqua l’intérieur de sa gorge. Il eut aussitôt des difficultés à respirer. La chaleur lui piqua les yeux et la gêne lui fit perdre de précieuses secondes. Les flammes envahissaient de plus en plus le terrain.

  Karel sursauta quand il sentit son pouvoir pulser dans ses veines. Son cœur lui donna la sensation de battre plus fort et l’air lui manqua. À sa terreur s’ajouta l’angoisse de perdre le contrôle de ses pouvoirs.

  Les plantes restantes grandirent d’un seul coup et atteignirent presque le haut plafond. Telles des tentacules, elles se démultiplièrent et formèrent un dôme serré au-dessus des flammes pour les étouffer.

  Karel suffoqua et sentit son énergie le quitter à grande vitesse. Des vertiges le prirent, le monde se mit à tourner. Il pria pour que ce cauchemar s’arrête.

  Soudain, les flammes s’éteignirent et le dôme végétal s’affaissa sur le sol. Haletant, à quatre pattes sur le sol, Karel regardait la scène, hébété. Ce qui venait de se passer était-il réellement de son fait ? Comment un feu avait-il pu démarrer ?

  Karel entendit soudain des bruits de pas. Il se retourna, le cœur battant et se sentit soulagé de voir Lorn vivant, qui le toisait de toute sa hauteur. Au moment où Karel allait lui sourire, il se figea. L’expression de Lorn ne montrait aucune joie. Ses yeux exprimaient un choc que Karel avait du mal à comprendre.

  Lorn changea brutalement d’attitude et se jeta avec colère sur Karel. Pris par surprise et affaibli par sa perte de contrôle, il n’eut pas le temps de s’enfuir. Son être se paralysa d’effroi lorsque Lorn fut sur lui, les mains autour de sa gorge. Karel étouffa et tenta d’écarter les mains du serviteur, en vain. Il n’avait plus la force de se téléporter et la panique le submergea. Son corps trembla et ses mains devinrent fébriles. Des larmes lui échappèrent alors qu’il essayait de se libérer à grands coups de pieds.

  Alors que Karel voyait sa conscience sombrer et sa vie défiler sous ses yeux, un son mat surgit et la prise se défit brusquement. Des mains le redressèrent à moitié.

  De l’air lui parvint enfin et Karel toussa fortement. Si vision revint. Terrifié, il se débattit avec violence et on le relâcha aussitôt. Tremblant, Karel prit enfin la peine de regarder autour de lui.

  Lorn était évanoui à plat ventre sur le sol, immobilisé par le bout d’une canne ouvragée. Derrière se tenait Enorën, debout, qui regardait son collègue avec effarement et colère. Accroupi juste à côté, Orën fixait Karel et lui tendait la main dans un geste qui se voulait rassurant.

  En voyant que Karel refusait de manière catégorique à les approcher, Orën se leva. Après avoir échangé un regard entendu à Enorën, il saisit Lorn par le bras sans délicatesse et sortit de la serre.

  Le vieil homme observait Karel avec calme. Le petit garçon resta figé pendant de longues secondes. Il restait choqué de voir qu’il s’était fait piéger et de constater que certains adultes semblaient lui vouloir du mal. Il se força à inspirer. Ne pas perdre son calme. Ne jamais perdre son calme, toujours contrôler ses émotions.

  Avec rage, Karel essuya ses larmes d’un revers de manche et s’imposa de réfléchir : son mentor passait souvent du temps avec Enorën. Cela devait signifier que Karel pouvait lui faire confiance.

  Peu assuré, Karel fixa le vieil homme et avança d’un pas tremblant vers lui. Il mordit l’intérieur de ses joues et serra les poings pour s’empêcher d’éclater en sanglots et laisser son trouble s’exprimer. Ne pas pleurer. Ne pas craquer. Comme Serymar lui apprenait.

  Enorën lui offrit une expression qui se voulut rassurante et l’emmena avec lui, une main derrière ses épaules.

***

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