Chapitre 30 - 2
Lorsque Serymar rejoignit le premier sous-sol, il put lire la tension et l’angoisse sur le visage de chacun. Tant mieux. Il avait bien l’intention de faire d’une pierre deux coups : ces cachots qu’il ne supportait pas lui avaient apporté plus d’ennuis qu’autre chose. Il allait y remédier et imposer son autorité à sa manière.
Les expressions de ses contractants se figèrent en une grimace d’horreur lorsqu’ils virent Serymar arriver avec calme. Le Mage n’était pas seul : d’une main, il traînait Elkor, mort, le corps ballant sur le sol, une ouverture béante courant de sa mâchoire jusqu’à son torse. Une fois à la hauteur de tout le monde, Serymar jeta le cadavre au milieu de tous.
Il laissa le temps aux humains de réaliser la situation. Avec nonchalance, Serymar croisa les bras et fit mine de réfléchir, un doigt posé sur sa joue.
— Je me demande… ce qui a pu le convaincre de se retourner contre moi, annonça-t-il en guettant la moindre réaction.
Personne n’osa bouger. Elma, tremblante, porta les mains à sa bouche, contenant avec peine son choc. Enorën détourna le regard et se ferma. Raël, pâle, fixait la terre sous ses pieds et tentait de garder contenance. Il ne s’était pas attendu à être témoin de la violence de son Maître si tôt. Les autres firent de leur mieux pour ne pas trembler. Syvën et Erik essayèrent de se donner une contenance sans oser réagir. Orën affichait une expression anxieuse et Lorn peinait à dissimuler sa nervosité. Reynald était figé.
Le Mage leur jeta un regard chargé de rancœur. Il espérait que cette démonstration de force serait la dernière. Elma lui avait signifié qu’il gagnerait à se montrer moins extrême.
Il ne pouvait qu’en constater les résultats : le peu de réserve de nourriture qu’ils avaient était presque à sec, une bonne partie ayant été volée, et la majorité de la serre était anéantie. Si la faim gagnait le reste de son personnel, Serymar subirait la sentence des pactes. Il n’avait donc que peu de temps pour la rendre à nouveau viable. Ces maudits traîtres étaient prêts à sacrifier leurs collègues pour l’atteindre lui. Enfin, il avait manqué de perdre Karel et une autre partie de son personnel avait été mise en danger. La confiance était néfaste. Pourquoi s’était-il encore laissé séduire par cette perspective ?
Il décroisa les bras. Si le monde entier voulait qu’il soit ainsi, alors il le serait.
— Allons… vous-mêmes seriez capables de tuer pour de la légitime défense, non ? Pour ceux qui ne l’ont pas déjà fait. Pourquoi cela serait-il pardonnable pour vous et non pour moi ?
Personne n’osa répondre, se rappelant trop bien ce qui était arrivé à Grim. Le Mage ne manqua pas l’expression d’Elma : horrifiée et en colère. Il se doutait du dilemme qui faisait rage en elle. Sa confiance brisée par ses collègues qui s’étaient empressés d’attaquer et son dégoût pour les actes du Mage.
Serymar n’avait pas oublié son agression. Il devait donc aussi faire un petit rappel à son propos, mais aussi la mettre devant le fait accompli, dans l’espoir qu’elle se montre plus prudente à l’avenir. Lui apprendre cette dure leçon qu’il avait apprise à ses propres dépens. Il se plaça à la hauteur d’Elma et releva son visage.
— Ma chère Elma… si douce et naïve. Ton cœur est trop bon.
Il plongea son regard dans le sien et l’empêcha de se dérober.
— Cela te perdra, lui murmura-t-il avec froideur.
Par ce geste, il démontrait ainsi aux autres que même sans être présent, il serait toujours là pour s’interposer entre elle et ses agresseurs. Elma n’apprécierait pas, mais Serymar s’en moquait. Si c’était le prix à payer pour préserver sa vie, il le paierait volontiers. À présent, la mettre devant le fait accompli. Il la relâcha et désigna le cadavre.
— Regarde le résultat de ta confiance envers les autres. Aussitôt le dos tourné, aussitôt trahis. Pourtant, j’ai voulu y croire. Constate le résultat par toi-même : celui-ci a visiblement penché en ma faveur. Alors retiens ceci : la confiance est une arme que les autres retourneront contre toi sans hésiter. Ne pas tuer quelqu’un qui a attenté à ta vie, c’est lui laisser une seconde chance de réussir.
Il s’éloigna de quelques pas et sentit peser son regard lourd de reproches qu’il ignora.
Une fois qu’il eut dépassé le groupe, Serymar tendit la main vers les portes pour l’ouvrir par magie et y jeta le cadavre. Le corps provoqua plusieurs bruits sourds dans les escaliers, avalé par les ténèbres.
— Lorn, appela-t-il.
Le concerné hésita. Serymar effectua un vif mouvement du poignet et l’homme se retrouva dans les cachots.
— Il est grand temps de partir sur un nouveau départ.
Soudain, Serymar claqua des doigts et la température des lieux augmenta drastiquement alors qu’une fumée noire remonta des sous-sols. Une odeur de pourriture et de putréfaction emplit la pièce et provoqua un mouvement de recul aux Sans-Pouvoirs. Des flammes, intenses, accompagnées d’un hurlement de terreur de Lorn qui glaça le sang de chaque serviteur. Certains, dont Elma, ne purent s’empêcher de pousser une exclamation d’horreur. Ils commençaient à deviner la suite. Incapable de tenir, Elma se jeta au bras de Serymar.
— Maître, non ! Pas ça, s’il vous plaît ! Je vous en prie…
— Je suis si fier de Karel, annonça le Mage en se dégageant d’elle d’un mouvement sec. Dans cette même situation, il a eu le courage d’y faire face. Ce garçon a bien grandi.
— Je vous en prie… souffla Elma d’une voix blanche.
Le Mage continua de l’ignorer et effectua un autre mouvement de la main. Lorn repparut au milieu du groupe, tremblant et pâle de terreur. Il toussa fortement. D’un seul regard chargé de menace, Serymar dissuada les autres de lui venir en aide. Il fit un pas vers Lorn et le toisa de toute sa hauteur.
— Tu oses trembler, alors que tu as condamné Karel au même sort ? As-tu seulement ressenti ce que c’est, d’être prisonnier et conscient que l’on ne recevra aucune aide alors que la mort est sur le point de nous prendre ? C’est précisément ce qu’a ressenti Karel. Pourtant plus démuni que toi, il n’a pas hésité à affronter la situation alors que toi, tu as perdu tes moyens. Et il n’a même pas dix ans. Tu es… lamentable.
Serymar referma les portes des cachots d’un autre mouvement sec de la main.
— Bien. Rien de tel que le feu pour éradiquer la vermine.
Cette première démonstration eut l’effet qu’il recherchait : ses serviteurs étaient blêmes et devinaient que les prochaines heures seraient du même acabit.
— Enfin un problème de réglé. Nous allons maintenant nous amuser un peu. Je sais très bien qui se croit encore suffisamment malin pour me tromper en dépit des pactes. Je vous donne à chacun deux jours pour quitter les lieux. Je ne parle pas seulement de cette demeure, mais de la région toute entière. Si d’ici-là, vous êtes toujours sur le terrain…
Il marqua une pause pour passer devant chaque personne. Ses sens affûtés perçurent une légère odeur de sang au niveau du cœur de Syvën, Erik, Lorn et Reynald, signe de traîtrise envers lui. Cela ne fit que lui confirmer ses soupçons.
— Je vous tuerai, acheva-t-il.
Cette conclusion, bien qu’attendue, en glaça plus d’un. Elma céda sur ses jambes et se retrouva à genoux sur le sol, livide. Enorën et Raël la rejoignirent tandis qu’Orën échangeait un regard lourd de reproches aux autres qui le lui rendirent.
— Comment pouvez-vous faire ça ? s’exprima Syvën avec force. Vous savez pertinemment que c’est impossible pour nous !
« Tu aurais dû y penser avant », songea le Mage avec amertume et colère.
Les personnes qu’il savait loyales ne répondirent rien et baissèrent la tête. Dans le fond, il fut soulagé de ne pas trouver Elma, Enorën et Raël dans le lot. Orën était également innocent.
Serymar ne se démonta pas le moins du monde et fixa Syvën dans les yeux, menaçant.
— Vous saviez pourtant qu’il était impossible de revenir en arrière une fois notre pacte conclu. Vous avez été capables de venir jusqu’à moi, vous avez trouvé le moyen de nuire, vous avez donc les ressources pour repartir.
— Vous savez très bien que non ! Vous nous intercepterez avant !
Serymar l’ignora.
— Vous venez de perdre deux minutes au compteur. Si j’étais vous, je m’y mettrais sans tarder. Ah, et attention… s’approcher de Karel équivaut à une mort immédiate.
Personne n’osa en rajouter. Serymar les trouva stupides, alors qu’il déverrouillait la porte principale de la demeure. Il se dirigea vers les escaliers menant à l’étage supérieur et s’arrêta.
— Deux jours pour quitter ces terres. Pas une seconde de plus. Hors de ma vue, maintenant.
Il disparut sous les regards effarés de chacun.
***
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