Chapitre 31 - 3

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Elma lâcha un cri de frayeur lorsqu’elle vit Serymar apparaître dans sa chambre. Elle recula de plusieurs pas alors qu’il s’appuyait avec une nonchalance feinte contre un meuble, les bras croisés. Elle sentit aussitôt un désagréable regard la sonder. Elma se retint de cacher son visage ravagé par ses larmes et son expression morne. Il avait tué de sang-froid ses ex-homologues au lieu de simplement leur effacer la mémoire.

— Puis-je savoir à quoi tu joues, Elma ? la questionna-t-il avec un regard dur. Il paraît que tu t’es octroyée encore plus de repos que d’habitude… il ne me semble pas t’en avoir donné, pourtant.

Elma se reprit tant bien que mal. Elle se redressa de toute sa hauteur et soutint le regard du Mage. Elle afficha un masque de froideur, serra les poings et retint cette boule dans sa gorge.

— Sauf votre respect, Maître, je rappelle qu’il a assassiné des connaissances auxquelles j’étais attachée. C’est un coup dur pour moi de perdre autant de personnes en même temps.

— En quoi cela t’excuse-t-il, Elma ?

La jeune femme bouillonna de colère. Décidément… elle voulut lui tourner le dos, lui demander de partir et de la laisser tranquille. Mais avec lui, ça n’était pas une option. Elle devait donner une raison qu’elle espéra valable pour que le Mage ne considère pas son absence comme un manque à ses engagements. Au moins, il lui laissait une chance de plaider sa cause.

— Permettez-moi de vous rappeler que, comme vous, je n’aime pas le travail mal fait, répondit-elle avec sincérité et froideur. Si je travaille dans cet état, je ne respecterai pas mon contrat envers vous. Je sais que cela vous paraît exagéré, mais comprenez que les humains sont ainsi. Tout cela m’a ébranlée, et je ne tiens pas à trahir mes engagements. Navrée de devoir vous mettre dans cette situation. Mais je suis humaine. Pas comme vous. J’ai besoin d’un peu de temps pour m’en remettre. Laissez-moi jusqu’à demain. À partir de là… je pense être capable de pouvoir reprendre mes fonctions de manière satisfaisante pour vous et moi.

Silence. Serymar analysa ce plaidoyer. Il se redressa.

— Très bien, Elma, c’est valable. Demain, tu reprendras tes fonctions. C’est tout ce que je souhaitais savoir.

Elma lui tourna le dos et croisa les bras. Cependant, elle sentit toujours la présence de son Maître, qu’elle sentait étrangement hésitant.

« S’il vous plaît, partez. » pria-t-elle en sentant un nouveau sanglot la prendre.

Elle entendit un faible soupir.

— Elma… ils s’étaient tous attaqués à moi au travers de Karel et toi. Ou en avaient l’intention. Je me suis simplement défendu. Ils ont perdu, j’ai gagné. C’est tout ce qu’il y a à dire. Ces derniers événements n’ont fait que confirmer ce que je savais déjà depuis longtemps. Accorder cette chose précieuse de soi qu’est la confiance, c’est permettre aux autres de t’anéantir. Sache bien une chose : ce n’est pas parce que j’agis comme je le fais que cela me plaît. C’est une nécessité.

Elma eut l’impression de tomber de haut. Pourquoi Serymar prenait-il la peine de se justifier devant elle ? Voilà qui était inhabituel. Elle désirait tant le convaincre qu’il avait tort, que ses expériences malheureuses l’aveuglaient. Elma se résigna : elle savait au fond d’elle que c’était peine perdue pour l’instant.

— Attendez ! l’implora-t-elle soudain en lui faisant face.

Le Mage s’immobilisa, juste au moment où il allait partir. Il ne répondit rien et resta là, sans bouger, attendant la suite.

Un doute la taraudait. Elle devait connaître la vérité. Elma fixa Serymar, le dos tourné. Elle savait qu’il ressentait le poids de son regard à ses doigts crispés sur la poignée de la porte.

— Si un jour, vous devez me tuer… me ferez-vous autant souffrir qu’eux ?

— Jamais.

Ils se figèrent tous les deux à cette réponse, aussi surpris l’un que l’autre. Serymar se raidit, désarçonné par son propre aveu qui semblait lui avoir échappé. Elma ne le lâcha pas du regard. Il ne l’avait pas habituée à ça, comme s’il s’agissait d’une faille dont ses ennemis pourraient se servir. Serymar semblait se le reprocher à lui-même, au vu de son corps tendu et de la main qu’il avait porté à son front, exaspéré. Elma se souvint qu’il lui avait révélé ne pas être en mesure de mentir ouvertement. Elle commençait à comprendre pourquoi il optait souvent pour le silence et des demi-vérités.

Il lâcha un soupir, lui fit face et plongea son regard dans le sien. Elma le soutint aussi bravement qu’elle le put, retenant ses larmes contenues. Pourquoi décelait-elle cette éternelle mélancolie dans son expression ?

Elma lutta pour ne pas trembler lorsque Serymar se décida à se placer à sa hauteur. Ce moment lui parut long, alors qu’elle retrouvait cette mélancolie dans son regard. Enfin, il reprit conscience de la réalité où il se trouvait. Il fixa Elma très sérieusement et lui saisit le menton.

— Si un jour, tu me trahis, Elma… comme stipulé dans notre accord, je te tuerai de mes mains, à moins que la mort ne t’emporte avant. Personne d’autre ne te touchera plus, je m’y suis fermement engagé. Toutefois… au vu de ton passé et pour tout ton dévouement, je ferais en sorte que tu ne ressentes aucune douleur. Et que je subisse les conséquences de notre pacte si je ne tiens pas cette parole.

— Croyez bien que je fais tout pour mériter votre confiance, mais vous en êtes à un point où accorder un semblant de confiance est devenu votre plus grande peur ! répondit Elma en se dégageant. C’en est frustrant et douloureux ! Par contre, réussir à tuer sans douleur, vous savez faire ?

Serymar se déroba complètement de son regard.

— Disons… que j’ai déjà eu l’occasion de le faire une seule fois. Ce fut… fort déplaisant. J’apprécierai que tu ne m’obliges pas à réitérer cette expérience.

Il disparut sur ces mots. Elma fixa le point où il s’était trouvé, abasourdie.

« Tout de même… comment peut-on s’en prendre aux autres d’une manière aussi cruelle ? »

Bien sûr, elle était d’accord sur le principe, le Mage s’était défendu. Il n’avait pas touché aux autres, comme stipulé dans leur accord. Mais cette violence extrême se justifiait-elle pour autant ?

Elma ne sut comment se positionner sur la question, à cause du regard déviant qu’il avait eu en prononçant cette réponse. Elle avait du mal à déterminer s’il s’agissait d’un sadisme malvenu ou d’autre chose.

« Encore cette éternelle mélancolie… »

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