Chapitre 34 - 1
Dans l’un des couloirs de la demeure, Karel décida de se mettre au défi. Il ne rejoindrait pas le Mage à pied, il allait tenter une téléportation plus large que ce dont il avait l’habitude. L’Apprenti décida de rejoindre son Maître depuis sa propre position.
Il se remémora chaque conseil donné et se concentra. D’abord, analyser la situation : trois étages les séparaient tous les deux. Serymar se trouvait dans un des salons du rez-de-chaussée, sans doute occupé à étudier. Karel était plus haut, à l’étage des salles d’eau. Il voyait plus ou moins l’effort qu’il devrait fournir. Utiliser juste ce qu’il fallait de son énergie, ni plus, ni moins.
Il expira et se concentra aussi fort qu’il le put : visualiser son corps puis le point d’arrivée. Karel disparut soudain.
Le jeune garçon apparut d’un seul coup dans la bonne pièce, sauf qu’il rencontra le vide sous ses pieds et tomba lourdement sur le sol, à un mètre des pieds de Serymar qui ne releva pas les yeux. Embarrassé, Karel se redressa tant bien que mal et parvint à voir à temps un simple signe de Serymar, pas plus perturbé de voir son Apprenti surgir et tomber du plafond.
— « Bonjour, Karel. » lui fit-il en levant simplement une main.
Karel baissa le regard. Il allait vraiment falloir qu’il travaille sa précision. Il se massa le dos pour faire passer la douleur et acheva de se redresser pour se rapprocher du Mage. Karel lui offrit un sourire gêné, embêté, et jeta un œil curieux à ce que Serymar étudiait.
Le garçon fronça les sourcils. Il peinait à comprendre le contenu de ce document. Il s’agissait d’un schéma complexe, recouvert de runes où étaient dessinées plusieurs silhouettes humanoïdes constellés de détails. Des lignes semblaient les relier, mais rien de bien compréhensible pour Karel. Il fixa Serymar. À ses yeux, il était aussi instruit que redoutable. Depuis que le Mage l’entraînait, jamais Karel n’était parvenu à l’atteindre. Alors pourquoi son Maître portait-il des cicatrices aussi monstrueuses ? Curieux, Karel lança un regard à son Maître et lui demanda encore d’où provenait celle de sa main gauche.
Le Mage le considéra pendant de longues secondes et plia soigneusement son document.
— « Fût un temps où, comme toi, je manquais d’expérience et enchaînais les défaites. »
Karel lui répondit par une expression surprise. Il peinait à y croire.
— « Et pourtant. »
Ceci dit, Serymar toisa son Apprenti.
— « Si tu continues à prendre à la légère tes entraînements, tu seras aussi blessé. Ou pire. »
Karel frissonna. La mort de Radôn s’imposa à son esprit. Il comprit où Serymar voulait en venir.
N’ayant pas eu de réponse précise, Karel abandonna et se dirigea vers le couloir. Serymar claqua des doigts pour attirer son attention afin de lui adresser d’autres signes.
— « Travaille encore sur la téléportation. Ou tu n’auras pas besoin d’ennemis pour te blesser. »
L’embarras gagna à nouveau Karel, qui répondit à l’affirmative et quitta la pièce.
Serymar le regarda disparaître dans le couloir et demeura ainsi pendant de longues minutes, pour vérifier que Karel ne se trouvait pas encore dans les parages. Il glissa une main derrière son dos d’où il extirpa un autre document qu’il déroula d’un geste de la main. Dessus, d’autres schémas cette fois axés sur les organes respiratoires et toute la région linguistique, que ça soit au niveau de la gorge ou même au niveau de la mémoire, avec tout son système nerveux. Il n’était pas question pour l’instant que Karel découvre qu’il n’était pas né comme la grande majorité.
Serymar se remit à son étude de cette curieuse anomalie dont il ignorait encore la provenance. Sonder Karel par magie lui apporterait la réponse s’il procédait comme il l’avait fait pour lui sauver la vie, mais Serymar s’y refusait pour deux raisons : la première étant que Karel découvrirait la vérité, et la seconde qu’il risquait fortement d’y passer, car Serymar devrait toucher à sa mémoire. Et ça, il en était hors de question. Pour accomplir ses projets, Karel devait demeurer lui-même. Intact.
Alors Serymar ne céderait pas à la solution facile : il finirait par découvrir d’où provenait cette anomalie.
***
Arrivé au dernier étage, Karel avisa le fond du couloir. C’était ici que se trouvait le bureau du Mage. Jamais Karel n’y avait mis les pieds. Autant dire que les lieux attisaient fortement sa curiosité. Qu’y avait-il de si intéressant à l’intérieur pour que le Mage y passe parfois des journées entières ?
Karel songea à sa dernière discussion avec le Mage. Voilà plusieurs années qu’il essayait de l’atteindre, en vain. Le jeune garçon se disait qu’il fallait sûrement adopter une autre stratégie, car en l’état, il ne savait plus quoi imaginer pour enfin remporter un duel. Karel se souvint une des premières choses que Serymar lui avait appris : il devait connaître ses adversaires le mieux possible afin d’avoir l’avantage. L’Apprenti porta son attention sur la porte du bureau.
Doucement, il approcha la main et le sceau apparut sous forme d’une figure fort complexe composée de nombreuses lignes fines et brillantes qui semblaient former une rose. De nombreuses runes lumineuses et minuscules flottaient mollement autour du cercle principal. Inutile de forcer le passage. Le Mage le sentirait aussitôt et Karel ne tenait pas à ce que son Maître sache ce qu’il avait en tête.
Karel plissa les yeux et tenta de mémoriser l’enchevêtrement de lignes qui composaient le sceau, sans succès. C’était beaucoup trop complexe. De plus, certaines lignes et formes n’étaient pas fixes. Il réfléchit en faisant appel à son imagination et à sa logique. La porte était en bois, qui était un élément vivant d’origine. L’un de ses pouvoirs était relié à la nature. Peut-être qu’en le combinant avec la magie de l’esprit, il parviendrait à quelque chose ?
Karel se savait malgré-tout capable de parvenir à quelque chose : deux ans plus tôt, il avait réussi à ressusciter un arbre jusqu’à l’en faire fleurir. Bois calciné ou transformé en porte, quelle différence ?
Le jeune garçon posa à plat sa paume sur le panneau, le plus loin possible du sceau magique, ferma les yeux et se concentra. Une chaleur s’immisça en lui. Il dirigea la sensation vers sa paume posée contre la porte. Les premières secondes ne donnèrent aucun résultat, mais Karel tint bon : ses efforts aboutirent lorsqu’il parvint à une ancienne veine à l’intérieur du bois, autrefois porteuse de sève. Karel sentit quelque chose battre sous sa paume, tel un cœur que l’on essayait de réanimer. Lentement, Karel réduisit la distance qui le séparait de la porte. Il posa son autre main, colla son front contre le bois comme pour se faciliter le contrôle à ses pouvoirs psychiques. Le garçon tenta d’entendre ou voir quelque chose qui pourrait l’aider. S’il insufflait son énergie dans la veine de sève afin de la réanimer… son Maître lui avait expliqué un jour que certaines espèces sur Weylor étaient capables d’entendre les murmures des arbres. Peut-être que Karel pouvait faire pareil à l’aide de ses pouvoirs psychiques ?
Il grimaça alors que son torse lui brûlait. Il ne paniqua pas, surtout lorsqu’il comprit de quoi il s’agissait : les zones de chaleur correspondaient au tracé du sceau, comme si, en animant le bois, Karel pouvait voir ce qu’il s’y était passé dessus plus tôt. Il essaya d’ignorer cette gêne. Ce fut seulement après plusieurs minutes que Karel parvint à retenir la forme du tracé magique.
Enfin, Karel rompit son contact avec la porte. Il aperçut brièvement plusieurs tâches marron lumineuses qui s’éteignirent aussitôt sur la surface du bois. Très vite, Karel palpa son torse pour s’assurer qu’il n’avait aucune blessure et soupira de soulagement lorsqu’il constata que sa peau n’avait rien. Il releva la tête, faisant cette fois face au sceau magique, le regard déterminé. Il tendit ses mains vers l’avant, plia certains doigts et commença à tracer le sceau dans l’air face à lui. Karel se fit le plus précis possible, les traits crispés par l’effort. Dessiner un tracé aussi complexe lui parut sans fin, surtout en y mettant autant d’énergie psychique.
Un déclic se fit entendre. La porte s’ouvrit dans un léger grincement. Karel transpirait avec toute l’énergie qu’il avait dépensée, mais la satisfaction peignait son visage. Il n’en revenait pas : il avait réussi !
Suite ===>
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