Chapitre 43 - 1
200 ans plus tôt.
Des cris. Des poumons en feu, une soif terrible, une sensation de déchirement dans le corps. Un liquide poisseux coulait le long de ses membres. La sueur s’y mêla alors que le tranchant d’une lame s’enfonçait dans sa chair pour le dépecer. Il se surprit, en cet instant, à souhaiter quelque chose de stupide : il désirait ardemment de l’eau et un bain. Comment pouvait-il penser à de telles choses en pareilles circonstances ?
L’adolescent se réveilla en un sursaut violent, sa dague à la main brandie devant lui, haletant. Le moindre de ses muscles était tendu à l’extrême, et son cœur cognait les parois de sa cage thoracique. Un mal intense envahit sa boîte crânienne et se répandit le long de sa colonne vertébrale, le rendant fébrile quelques secondes.
Il se raidit. Ces lieux lui étaient inconnus. Une pièce, très petite et meublée de manière sommaire. L’adolescent était sur un lit, ce qui le surprit autant que cela le gêna. N’était-ce pas un privilège accordé à de vraies personnes ?
L’angoisse le saisit. Était-il prisonnier, bien qu’il ne soit pas attaché comme un vulgaire animal ? Qui l’avait amené ici ? Était-ce encore une expérience inventée par les elfes noirs ? Un jour, ils s’étaient amusés à le torturer au moyen d’illusions et d’hallucinations en prenant le contrôle de son esprit. Était-il encore empalé dans ces maudites chaînes ?
L’adolescent scruta les alentours, telle une proie acculée. Il cherchait des présences qui l’étudiaient, comme il en avait l’habitude. Mais il semblait seul. La méfiance le saisit. Les elfes avaient-ils trouvé un moyen de se dissimuler ? Étaient-ils là, invisibles, prêts à frapper sans se faire détecter ? Ils en étaient bien capables…
Avec lenteur, le demi-elfe s’arracha du lit et avisa la porte, élément devenu annonciateur de dangers ces dernières années. Il s’y traîna avec prudence. Il hésita, appréhendant ce qu’il pourrait y trouver derrière. Lorsque l’adolescent saisit la poignée de sa main cachée sous sa longue manche, il fut surpris de constater que la porte n’était pas verrouillée. Lorsqu’il la poussa, la lumière du jour inonda aussitôt la pièce et l’aveugla quelques secondes.
Par habitude, il rabattit sa large capuche au-dessus de sa tête, peu désireux d’attirer le moindre regard malgré-lui, et encore moins d’en croiser.
Une rampe sculptée en pierre se présenta à lui. Il se figea. Un sentiment de soulagement mêlé d’appréhension le submergea. Il n’était pas dans une forêt. Il apercevait bien quelques arbres et fleurs ici et là, mais la majorité du panorama était essentiellement constituée de pierres structurées, parfois percées de trous géométriques pour faire entrer la lumière du jour. Au loin, de hautes murailles entouraient la ville, et encore au-delà, un ciel intensément bleu et sans nuages se révélait. L’adolescent se surprit à trouver cette couleur magnifique, et fut d’autant plus étonné de ressentir cette sensation qu’il découvrait pour la première fois de sa vie. La forêt d’où il était originaire était très opaque et dissimulait presque la quasi-totalité des cieux, renforçant son sentiment d’enfermement. Admirer cette étendue pour la première fois lui procurait une sensation qu’il était incapable de décrire. Il en ignorait le nom.
Ignorant s’il était encore en sécurité, le demi-elfe envisagea les escaliers qui s’offraient à ses pieds. Il hésita. Incapable de lever la jambe gauche, il ne voyait pas comment il pourrait descendre sans trébucher. Il n’était pas certain d’être capable de gérer le déséquilibre provoqué par son bras droit qui pesait lourd à son épaule.
Il avança son pied droit avec prudence et tenta de laisser le gauche glisser jusqu’à atteindre la première marche. L’hybride se tint fermement à la rambarde pour ne pas tomber. Puis il recommença, même si cela signifiait une descente longue et laborieuse.
Après un moment qui lui parut interminable, il atteignit enfin une allée plane. La sensation des pavés chauffés par le soleil se répandit dans ses pieds nus cachés sous son manteau informe. Le demi-elfe en profita pour rétablir son équilibre et avança. Il arriva sur une zone dégagée, décorée d’arbustes et de fleurs disposées de manière élégante. Des bancs se dressaient çà et là, et un étrange bassin se dressait au centre. Il était contenu dans une nouvelle sculpture de pierre géométrique aux courbes harmonieuses. Une statue reversait l’eau qu’elle aspirait à partir de la structure. Curieux, l’adolescent s’en approcha. Il aperçut quelques poissons nager sous l’eau claire.
Alors qu’il se demandait de quoi il s’agissait, une voix le surprit.
— Je suis ravi de te voir enfin debout. Comment te sens-tu ?
L’adolescent sursauta et se retourna en direction de la voix, la dague tendue devant lui. Il se figea, impressionné par l’être qui lui faisait face.
Un homme-serpent avec de grands bois majestueux sur les tempes, adossé contre un arbre, les bras croisés. Sa carrure était impressionnante. Son long corps émeraude devait avoisiner plusieurs mètres, au point que, même replié, son corps reptilien prenait une place conséquente sur les pavés. Quelques écailles parsemaient son corps humanoïde taillé par les nombreux combats qu’il avait dû mener, au vu des impressionnants muscles qui structuraient son corps. La moindre parcelle inspirait la puissance. Ses yeux de serpent, de la même couleur que ses écailles et fendus de pupilles verticales sombres, étaient perçants et intenses. Le visage de l’homme se terminait par de courtes oreilles effilées et de courts cheveux châtains. Un Apokeraos. L’adolescent désespéra. Si cet homme lui voulait du mal, il était fini. Si un affrontement survenait, il n’avait aucune chance de gagner. Il semblait être capable de lui briser les os rien qu’en le serrant de ses anneaux ou même de ses mains.
Son interlocuteur les leva au-dessus de sa tête.
— Je ne suis pas armé, et je ne compte pas te faire de mal, bien au contraire. Pour l’instant, je voudrais juste discuter avec toi. Tu sembles très bien comprendre ce que l’on te dit. C’est un bon début. Viens t’asseoir près de moi, ça risque d’être un peu long.
L’adolescent secoua la tête en signe de négation. Ses muscles se tendirent et il se prépara à se défendre, même s’il savait que son combat se solderait par un échec. L’Apokeraos allait-il le maltraiter d’avoir exprimé son refus ? Et de quelle manière allait-il s’y prendre ?
Son interlocuteur ne fit rien de tout cela et prit place de lui-même. Cela perturba l’adolescent. Ce schéma ne lui était pas habituel. L’inhabituel était synonyme de danger. L’Apokeraos le transperça du regard.
— Fais comme tu veux. Sache que l’invitation tient toujours. Au fait, tu peux m’appeler Valkor. Enchanté. C’est comme ça que l’on se présente quand on est civilisé.
Le demi-elfe fut désarçonné par une telle attitude. Était-ce une autre tentative de manipulation afin d’endormir sa méfiance ?
— Serais-tu muet par un quelconque problème lié à ton état ou parce que tu es arrivé au point d’avoir peur de le faire ?
L’adolescent lui envoya un regard mauvais en guise de réponse. Il n’aimait pas beaucoup cette question. Quelque chose lui disait que Valkor cherchait à le malmener. Ne l’avait-il pas entendu hurler de l’aider ?
— Je vois. Les deux, donc. C’est rassurant. Cela signifie que tu peux en guérir.
L’adolescent se retrancha en lui-même. Il ignorait encore s’il pouvait se fier à cette personne.
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