Chapitre 1
— Maître ? Vous m’avez fait mander.
Le ton de Whélos était inquiet. Le vieil homme à qui il s’était adressé se retourna. La gravité peignait ses traits fatigués.
— Que se passe-t-il ? insista-t-il. Puis-je vous être utile ?
— Les Aînés ont parlé.
Whélos se figea. Voilà longtemps que les Dragons ne s’étaient plus adressés aux mortels. En tant que Messager des Dragons, son Maître était capable d’entendre leurs annonces et prédictions. Whélos était son assistant depuis plusieurs années.
— Maître, pourquoi cet air si grave ? S’ils ont parlé, cela signifie que cette malédiction cessera bientôt ! C’est une merveilleuse nouvelle, non ?
— Whélos, je vais mourir.
Son interlocuteur blêmit. Le Messager avança dans sa direction, sa longue cape ouvragée glissant sur le sol. Les lumières des chandelles faisaient briller les liserés d’argent tissés avec grande finesse. Le Messager regarda Whélos dans les yeux.
— Écoute-moi bien. Ton rôle, désormais, est de sauver Weylor.
— Mais… mais vous ?
Inutile d’insister. Si son Maître entendait se sacrifier, c’était qu’il n’avait pas d’autres choix. Son cœur se serrait à cette idée. Leurs vies étaient sur le point de basculer.
— Nous n’avons pas beaucoup de temps, lui expliqua le Messager avec un calme édifiant. Les Dragons ont en effet annoncé la fin de la malédiction. Souviens-toi, il y a environ deux cents ans, une rumeur sur l’existence d’un « Pouvoir Universel » s’est répandue. Les Dragons l’ont faite taire et ce pouvoir a subitement disparu. Jusqu’à aujourd’hui.
— Que voulez-vous dire ?
— Tu vas comprendre.
Le Messager lui tendit un coffret. Whélos le saisit et l’ouvrit. Ses yeux s’écarquillèrent et il dévisagea son ami avec tristesse.
— Maître ! Vous vous êtes arraché les souvenirs de la Prophétie ! La situation est-elle si désespérée, pour que vous ayez été obligé de vous infliger cette blessure ?
Le Messager des Dragons hocha la tête. Il poussa le coffret dans les mains de Whélos. Ce dernier, empli d’appréhensions, tendit son doigt vers la sphère lumineuse. À peine l’effleura-t-il que des mots résonnèrent dans son esprit.
Las du Traître, las de ce combat éternel,
Érudit sans magie et Pouvoir Universel
Les Maudits ont rendu leur jugement.
Après deux cents ans de tourments
Deux Sans-Pouvoirs pour lui donner corps et vie
Béni par la Terre, béni par l’Esprit
Au prix du silence éternel.
Allié aux éléments et à un esprit érudit,
Libèrera les Maudits.
Anéantira le Pouvoir Universel de l’existence
Pour marquer la fin de l’ère du Traître.
Whélos comprenait mieux la situation. Blême, il referma le coffret et lutta contre lui-même pour ne pas le faire tomber.
— Le Pouvoir Universel existe donc bel et bien… conclut-il d’une voix blanche.
Ses doigts tremblaient.
— Par les Dragons, ce n’était pas qu’une rumeur, c’était la vérité ! Et le pire, c’est qu’il est encore de ce monde ! C’est pour ça que vous devez vous… vous…
Le Messager des Dragons acquiesça. Il posa une main sur l’épaule de Whélos.
— Mon ami. Tu l’as deviné comme moi : il est évident que l’ennemi cherchera à en savoir plus. Je me suis arraché le moindre souvenir de cette Prophétie pour ne pas qu’ils tombent entre de mauvaises mains. Emporte-les avec toi, et disparais de Kyrma. Disparais sans laisser de traces, fais en sorte que personne ne puisse te retrouver. Je te charge de mettre ces souvenirs à l’abri. Fais ce qui est nécessaire pour que cette Prophétie se réalise. Tu as suffisamment appris auprès de moi pour comprendre ce qu’elle signifie. Tu as toute ma confiance.
Les mains de Whélos devinrent moites. Leur dernier échange devait-il réellement se dérouler ainsi ? Au fil des ans, ils étaient devenus de grands amis. Tous les deux avaient rapidement dépassé le stade de la relation Maître et assistant. Son cœur saignait à l’idée des risques que prenaient le Messager.
Whélos ne devait pas se laisser submerger par le chagrin. Il réajusta ses lunettes et s’inclina profondément.
— Je vous promets que votre sacrifice ne sera pas vain, Maître. Nous nous reverrons au royaume des Dragons.
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