Chapitre 11
La pluie reprit de nouveau.
Cleve s’arrêta dans une rue passante. En sortant de la Corvus, il se protégea de l’averse en plaçant un bras au-dessus de sa tête. Mais ce geste n’empêcha pas ses cheveux de se mouiller.
Il courut jusqu’à une épicerie ambulante. L’endroit était protégé de la pluie par une plaque en tôle, suspendue à l’ossature du petit commerce. Le vendeur avait couvert sa tête d’une sorte de capuche en plastique. En apercevant l’agent qui arrivait en hâte, l’épicier saisit de son arrière-boutique un sac en plastique. En échange, Cleve lui tendit quelques billets froissés que l’homme attrapa d’une main gantée.
Il retourna dans sa voiture et posa le sac sur le siège passager. Une odeur d’épices et de légumes vapeurs se répandit dans l’habitacle. Des feux de signalisation reflétaient sur le pare-brise ses lumières pourpres. L’agent se pencha sur son siège pour manipuler le tableau de bord, et quand le feu passa au vert, il poussa l’accélérateur pour s’engager dans la circulation.
Une femme traversa la route sans voir venir la Corvus. La voiture passa à pleine vitesse jusqu’à ce que Cleve remarque la silhouette face à ses phares. Le visage de la femme se contracta en un redoutable rictus. Pressant le pied sur la pédale de frein, l’agent ne parvint pas à ralentir à temps et percuta sa cible. Celle-ci s’évapora sous la carrosserie pour réapparaître deux mètres derrière, toujours sur ses jambes. En pilant, la ceinture qui maintenait l’agent serra violemment son torse qui battait la chamade. À travers le rétroviseur il découvrit la silhouette brandir une main menaçante à son encontre, le corps de la femme se reconstituant quand son transfert se remettait au point.
Il souffla péniblement, cognant sa tête contre le volant. Après une courte méditation, il redressa l’échine, se frotta le visage et s’empressa de rouler jusqu’à un autre feu de signalisation. L’agent patienta quand l’ouverture de la porte passager le fit bondir sur son siège. Marialie entra furtivement, claquant la porte une fois pris place à bord.
— Tu t’es trompée de voiture ma grande, déclara Cleve, surpris par cette apparition soudaine. Celle-ci est occupée.
Alors la jeune femme répondit, le souffle court :
— Ce serait encore long à t’expliquer…
— Dans ce cas, pas la peine de t’embêter à le faire. Tu vas sortir gentiment de ma bagnole et te trouver un autre mec à aguicher, qui aura du fric à dépenser pour ça.
Le feu persista au rouge. La pluie battait la carrosserie, et Cleve s’impatienta. Il montra alors son badge lorsque Marialie leva les yeux au ciel.
— Je peux t’aider, lui dit-elle sur un ton persistant.
— C’est moi qui vais t’aider, et ça en t’enfermant dans une jolie cellule capitonnée. Ça te laissera le temps de réfléchir à la manière d’aborder les gens.
Il tira son corps de côté afin d’atteindre la poignée de la porte côté passager, et l’ouvrit subitement.
— Tu sais où sortir maintenant, déclara-t-il, impatient.
Le feu restait rouge.
— Il va falloir que je te prouve ma sincérité, déclara Marialie.
Après une profonde inspiration et un court silence, elle poursuivit :
— Tu t’appelles Cleve… Cleve Dunston, et tu travailles pour la Division 6 ; section anti-drogue, et ça depuis presque dix ans. Actuellement, tu enquêtes sur une série de meurtres qui concerne plusieurs ministres.
— C’est Lonee qui t’envoie, c’est ça ? Il veut s’assurer que je fasse le boulot en règle. Je savais bien que ce genre de personnes ne faisait pas confiance aux types comme moi. Mais me faire suivre… c’est un peu exagéré !
— Lonee n’est en rien dans cette décision. La puce que tu as trouvée hier…
— Et alors ?
— C’est pour cette raison que je suis là.
Le feu passa au vert.
— Laisse-moi t’aider. Je sais comment déchiffrer cette puce. Une fois fait, tu n’entendras plus parler de moi. Et tu auras avancé dans ton enquête sur le Lerguole.
La voiture de derrière klaxonnait à plein volume. Le conducteur passa sa tête par la fenêtre, un visage rouge de colère fixant la Corvus avec rage.
— À toi de voir… Soit tu m’emmènes avec toi… soit le mec de derrière sortira de sa voiture en brandissant une batte… d’ici moins d’une minute…
Silence.
Cleve n’eut plus le temps de réfléchir qu’il vit par son rétroviseur un homme quitter sa voiture, brandissant un objet semblable à une batte de baseball, d’une main enragée.
— À toi de voir, déclara Marialie, imperturbable.
— Je ne sais vraiment pas à quoi tu joues mais… (Il réfléchit) Très bien.
Marialie referma durement la portière.
Pressant la pédale d’accélération, la Corvus repartit et Cleve fonça jusqu’à ne plus voir de l’homme agité qu’un point noir sur son rétro.
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