Mémoires : dixième fragment
Je me réfugiai chez la mère de mon amie. Elle m'accueillit les bras grands ouverts. Je la sentais presque soulagée. Moi, je doutais. De moi, de ma décision, je n'avais même pas écouté ses explications. Je vivais un mélange de colère et de culpabilité qui m'enfonçait encore plus dans les méandres de mon déséquilibre.
En vérité, il me retrouva vite. Je ne m'attendais pas à ce qu'il abandonne la partie sans rien tenter. Mais je ne me doutais pas de voir sa soeur. Son double, à ma poursuite. Peut-être était-ce une façon d'endormir la suspicion de la femme qui m'hébergeait. En tout cas, le coup réussit car elle arriva jusqu'à moi sans difficulté.
Elle n'y alla pas par quatre chemin, en même temps elle n'était pas femme à tergiverser. Son frère était au plus mal depuis mon départ et elle craignait qu'il ne commis une bêtise. Mon coeur cessa de battre un instant. Il devait donc m'aimer un peu. La femme blonde, l'oeil sévère me menaça. S'il arrivait malheur à son précieux frère, elle m'en tiendrait personnellement responsable. Et rien n'arrêterait sa vengeance. Pour le coup, la peur m'agrippa. Elle ne m'annoça rien d'autre mais me conseilla fortement de discuter avec lui.
Je lui devais au moins ça. Il avait tant fait pour moi. Je ne pouvais pas être aussi injuste.
Sans rien dire, je me dirigeais un matin à mon appartement. Assis sur le canapé, une bouteille de whisky à moitié vide sur la table, je le trouvais l'oeil hagard de ceux qui ont trop bu.
Il se jeta sur moi, me serrant dans ses bras, baignant mon visage de baisers.
"Ne me laisse plus jamais bébé."
Il paraissait déprimé. Mon coeur se serra. Il s'excusa, mais je restais si froide, il voulait juste un peu de chaleur. Il avait raison, mon corps ne pouvait pas le réchauffer.Je l'excusais de cet écart qui était en parti ma faute.
Il me supplia de revenir. Il me promit d'être fidèle, de ne plus me maltraiter. Promesse vaine.
Bien sûr, je tombais dans le panneau. Mon petit coeur se montrait encore bien trop entiché de lui.
Je retournai chez mon amie, récupérer mes affaires. Mon ancienne patronne tenta de me dissuader. Mais rien ne pouvait me raisonner. Je m'engouffrais droit dans la gueule du loup, le sourire aux lèvres.
Je m'aperçu bien vite de mon erreur. Tout fut plus terrible, mon enchaînement se durcit. L'école restait ma seule escapade. Il m'emmenait, venait me chercher. Je ne bougeait plus sans lui. Et le moindre faux pas me coûtait cher. La pression qui pesait sur mes épaules m' écrasait. Chaque geste était contrôlé, chaque battement de cil vérifié. Il ne me battait plus mais le sexe resta son moyen de me plier. Il abusait de moi de toutes les façons et trop peureuse de parler, je le laissais faire. Je n'étais plus qu'un corps docile, vidé de sa force, incapable de se révolter. Puis, il se lassa de nouveau. Me reléguant à mes cachets que j'agrémentais désormais d'alcool. Mes excès de dépression revenaient de plus en plus souvent. De temps en temps des hommes me rendaient visite. Ils pouvaient bien tous user de moi, je m'en fichais. J'étais une sorte de prostituée de luxe, l'argent je ne le voyais pas. Il récoltait les bénéfices pour lui et sa soeur, mais ça je l'appris bien plus tard. Pourtant sa jalousie ne tarisait pas et dans la logique de son cerveau dérangé, il me tenait rigueur de ce qu'il m'imposait. Certains jours, il devenait fou, m'insultait, me soumettait.
Mon esprit divaguait de plus en plus. Je chavirait dans l'ombre. Tel un animal blessé, je m'attachait à l'idée de la mort.
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