Chapitre 40
Jude et Peter l’attendaient des fleurs et des ballons remplissant son appartement, alors elle fondit en larmes, secouée de sanglots d’enfant. Encore une fois, la vie lui jouait un drôle de tour, mais cette fois, elle ne savait pas si elle se relèverait.
Les semaines passaient et elle n’avait aucune nouvelle. Elle se rétablissait, Peter et Jude restaient ses meilleurs soutiens. Un jour qu’elle dînait avec Peter, Jude l’appela pour la prévenir qu’elle passait.
Jude avait une chose importante à lui dire. Dès son arrivée, celle-ci lui annonça que German quittait Bouchard et l’état de New York pour s’installer en Californie. Quelque chose se révolta en Eva. Tant qu’il était encore proche, elle gardait un infime espoir, mais s’il partait, elle le perdait vraiment. Elle ne pouvait pas le laisser faire. Elle ne voulait pas l’accepter. Il ne devait pas partir, juste comme ça. Elle l’aimait, il était sa bouée de sauvetage et il aurait fallu être une idiote pour la lâcher. Jude sourit quand elle vit Eva chausser ses stan smith et prendre une petite veste :
- Allez ma belle !! Enfin un peu de combativité. Va donc le voir.
Lorsqu’elle arriva devant la porte de German, son cœur battait à se rompre. Quand il ouvrit la porte, il voulut presque refermer. Elle était vraiment jolie, encore un peu maigre et les yeux cernés, mais vraiment jolie. Il aurait tout fait pour cette fille. Elle était sa faiblesse, alors il la laissa entrer n’ayant pas le cœur de la chasser. Elle parcourut l’appartement du regard, des cartons encore ouverts jonchaient le sol.
« Alors c’est vrai ? Tu t’en vas ?
Il la dévisagea comme cherchant un signe dans son regard.
Il lui tourna le dos en murmurant « oui ». S’approchant de la fenêtre, il fit mine d’observer ce qu’il se passait à l’extérieur.
- Je ne veux pas que tu partes, German.
Il se retourna.
- Pourquoi ?
Elle le regarda et s’approcha lentement.
- Je t’aime German, je ne pourrais pas vivre sans toi.
C’était une flèche qui lui transperçait la poitrine qu’elle venait de décocher. Il l’aimait, c’est vrai et cette déclaration était une certaine pommade cicatrisante sur son cœur écorché, cependant, on ne construisait rien avec de bonnes paroles.
- Cela ne suffit pas, ça ne me suffit pas, Eva. Je ne peux pas me contenter d’une relation qui sera toujours sur un fil. J’ai besoin de ta confiance.
- Mais je te fais confiance.
- Vraiment ? Dit-il, ironique. Alors pourquoi tous ces mensonges. Enfin plutôt ces non-dits. Si tu étais venu me trouver pour m’annoncer ta grossesse, nous l’aurions gérée ensemble comme n’importe quel couple ? Non ? Si tu étais venu me trouver quand tu as reçu le message de ton ex détraqué, notre bébé serait peut-être en train de grandir dans ton ventre et moi, cela m’aurait donné une excuse pour t’attacher à moi pour la vie. Parce qu’en fait, c’est cela que je voulais, Eva, mais tu n’as pas eu assez confiance en moi pour le croire.
Il était en colère, blessé au plus profond de lui. Il avait raison, oui, mais sa vie à elle n’avait été ponctuée que d’abandons et de trahison. Elle n’avait jamais pu compter que sur elle-même. Elle se laissa choir sur le canapé, les yeux fixés droit devant elle, n’osant pas le regarder lui et ses reproches. Elle inspira et commença à parler :
- Je m’appelle Elodie Laurent. Je n’ai pas de père. Ma mère m’a laissée seule à 17 ans. Je me suis retrouvée sans ressources, sans soutien, seule. En fait non, je suis injuste, beaucoup de personne m’ont aidé, mais personne n’a pu combler la solitude qui était la mienne. Cette responsabilité de moi-même qui me tombait dessus était lourde alors lorsque Christine Carpentier a vu en moi un potentiel, j’ai foncé, car mon pauvre corps, c’est tout ce que j’avais à ce moment-là et il fallait bien que je survive. J’ai été propulsé dans le monde de la mode. Les paillettes, les tissus soyeux, les bulles de champagne, les hommes qui vous courtisent, qui vous achètent… Comme un papillon, je voulais me griller les ailes au soleil. C’était une façon pour moi d’oublier ce qui était trop dur à supporter. Puis j’ai rencontré Stéphane, il me mettait sur un pied d’estale, m’achetait des robes, des bijoux, il me faisait tourbillonner dans un monde de fête, m’exhibant comme un trophée et moi, je ne voyais rien. J’étais trop avide de me tourner la tête de chimère. Puis il a commencé à être violent, je pensais que c’était ma faute que je ne me conduisais pas comme il faut et que je méritais tout ça.
German retenait son souffle depuis le début, il expira en signe de dénégation. Il prit place sur le canapé à côté d’Eva, pendu à ses lèvres.
- Il m’a avili, je n’avais déjà pas très confiance en moi, mais à ce moment-là, je n’avais même plus de respect pour moi, en réalité, il m’habillait comme une pute et laissait les hommes se comporter avec moi comme si j’en étais une. Pourtant, cela le mettait dans une colère démente et à chaque fois, j’avais droit à une punition comme il disait, juste une punition. J’ai déjà cru mourir de ses mains. Et pire, il m’a violée, German, devant un autre homme qui s’était trop approché de moi. Il… Il m’a couché sur une table me tirant les cheveux pour que je regarde celui qui avait osé s’intéresser à moi, dans les yeux pendant qu’il m’écartelait et m’empalait. Il m'a presque tué lorsque j'ai voulu le quitter et il m'a séquestré. À ce moment-là, j'ai nourri des idées suicidaires. Christine est venue me libérer. Alors je me suis enfuie et j’ai tout quitté pour venir ici, mon nom, ma vie, mes rêves. Aujourd’hui encore une fois, il m’a tout pris, mon bébé et l’homme que j’aime. S'il n'était pas mort, je voudrais le tuer de mes mains. Je me maudis de l’avoir rencontré.
Sa voix n’était qu’un murmure cassé. German était suspendu à son souffle. Trop ému par cette douleur muette qu’elle avait enfoui au plus profond de son âme. Les cauchemars qui la hantaient prenaient à présent leur sens, et même sa répugnance à se dévoiler, il pouvait la comprendre.
German ramena une mèche derrière son oreille, la main tremblante, le cœur lourd de toutes ses révélations. La vie l’avait malmenée, il comprenait son manque de confiance habituée à ne compter que sur elle. Il aimait sa fragilité, mais sa force aussi. Elle n’osait toujours pas le regarder, les genoux joints, les mains serrées sur le bord du canapé. Crispée, elle se leva, le nez toujours fixé sur le sol.
S’avançant vers la porte, la main sur la poignée, elle tourna légèrement la tête vers lui.
« Il m’a tout enlevé, mon nom, mon passé, mon avenir. Je suis désolée, tellement désolée pour le bébé. Tu as raison, c’est ma faute, j’ai été inconsciente, mais je ne pouvais pas le laisser faire du mal à ceux que tu aimes. Je ne voulais pas te voir souffrir. »
Sa voix était hachurée de sanglots retenus, German en avait le cœur déchiré, lorsqu’elle voulut ouvrir, il posa la main sur la sienne stoppant son geste. Il respira le parfum de ses cheveux.
Cette main, elle la convoitait comme le rameau de bois perdu en plein océan, celui auquel on se raccroche avec espérance. Voyant qu’elle ne réagissait pas, il la tira vers lui dans le creux de ses bras, renversant sa tête pour qu’elle le regarde. Alors tous les efforts qu’elle faisait depuis quelques minutes, s’évaporèrent et les larmes se mirent à couler le long de ses joues mouillant les pouces de German. Cette femme, il la voulait, personne ne pourrait mieux lui convenir. Il l’embrassa.
« Oh Eva, je crois que je ne pourrais pas me passer de toi de toute façon.
Il frotta son nez contre le sien, continuant à la regarder dans les yeux savourant l’étincelle d’espoir qui venait de s’allumer dans son regard.
- Tu ne partiras pas ? Tu ne me laisseras pas ? Demanda Eva dans un murmure angoissé
- Non, mais il y a une condition. Dit-il en embrassant ses cheveux.
- Ah. Dit-elle en baissant les yeux.
German, lui releva le menton de son index.
- Tu ne veux pas savoir laquelle ?
L’incertitude qu’il lut dans son regard, le fit soupirer et il embrassa ses lèvres.
- Comme tu le vois, j’ai fait un peu de tri et puis de toute façon, cet appartement est bien trop grand pour une seule personne.
Eva le regardait incrédule, cela le fit sourire et gêné, il passa une main dans ses cheveux.
- Bon, eh bien, pour la première fois que je demande à une fille de vivre avec moi, ce n’est pas très réussi.
Elle le regardait toujours sans rien dire, mais ses lèvres s’arrondirent et ses yeux s’illuminèrent.
- Ah !
- Oui ah ! Eva, Elodie, enfin qui que tu sois cela n’a pas d’importance. Je suis amoureux de l’âme qui habite ce joli corps, de ce qu’il y a à l’intérieur, peu importe ton passé. C’est ton avenir que je veux. Alors ?
Elle le regardait avec une sorte de fascination. Vivre avec German ? Partager chaque instant avec lui, se réveiller le matin dans ses bras ? C’était exactement ce qu’elle voulait. Ses larmes redoublèrent d’intensité, elle prit sa tête entre ses mains et l’embrassa avec force.
- C’est un oui ? Dit German dans un sourire.
- Oui. Réussit-elle à dire entre deux sanglots.
Il la prit dans ses bras et la fit tournoyer, ses sanglots se transformèrent en gloussement. Un avenir joyeux s’étirait devant eux.
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