Le poids de la culpabilité
J'avançais en gardant obsitnément les yeux rivés au sol . Booba continuait de venir vers moi l'air de rien. Quant il arriva à ma hauteur , je m'arrêtais et lui lançais un regard froid. Tout son être me révulsait. Sa posture nonchalante, son sourire en coin, tout laissait croire qu'il ne s'était rien passé.
- -Ca va ma gueule ? ça fait une semaine ou plus que t'es pas venue en cours. On t'a bombardé de messages l'équipe et moi. On s'est inquiété!
Je le regardai de haut en bas sans décrocher un mot. Je sentis à la manière dont il se tortillait sur place qu'il commençait à se sentir mal à l'aise.
-Sakoura ça va ? t'es biza...
Je ne lui laissais pas le temps de terminer. Je décidais de continuer mon chemin sans ménagements. Arrivée en classe , je me mis à l'écart de tout et de tout le monde. Mon cerveau pour se protéger tissait une bulle autour de ma persone. Cette bulle sera mon refuge pendant tout le reste de ma scolarité.
Depuis ce jour je n'avais adressé la parole à aucun membre de ma bande. Ils avaient essayé à tour de rôle de comprendre mon comportement distant . Je restais toutefois enfermée dans mon mutisme. J'avais perdu Jessica, mon acolyte et confidente. J'aurai aimé lui parler de ce qui s'était passé mais à chaque fois que je la croisais elle était avec les garçons. Ayant une trés grande fierté et de surcroît fortement blessée par mon attitude elle avait décidé elle aussi de m'ignorer.
C'est à ce moment que je suis devenue cette fille là. Vous savez , cette fille solitaire au lycée qui mange toute seule à la pause car elle n'a pas d'amis. A la seule différence que personne ne m'avait exclu de la vie sociale du lycée, je l'avais fait toute seule. J'étais devenue une paria. Les membres de ma bande qui étaient passés de l'incompréhension à la colére me décrivaient au reste du monde comme une fille instable et bipolaire qui s'était mis en retrait sans raison. Je n'étais pas fiable selon eux, il fallait donc se méfier de moi.
La fille joviale et extravertie que j'étais laissait place à une tout autre personne. Celle - ci était méfiante et antisociale à souhait.
Je n'avais pas revu Nesrine aprés le viol. Elle n'était pas revenue au lycée. Des bruits de couloir affirmaient qu'elle avait déménagé . J'avais tenté de la contacter au bout de deux semaines d'absence mais en vain. Un soir rongée par la curiosité, j'étais passée chez elle. Sa mére me confirma qu'elle était allée vivre chez sa grande soeur qui habitait en région parisienne.
Neuf années plus tard, je la recroisais, là dans ce salon , debout en face de moi . Neuf années plus tard le passé ressurgissait sans que je n'y sois préparée. Je la regardais et j'avais envie de lui dire tellement de choses. Je n'osais pas. J'eus l'impression à ce moment d'être redevenue l'adolescente de 15 ans qui l'avait lâchement abandonné.
La soirée avait repris son cours, les discussions étaient redevenu animées . L'ambiance était festive. Nesrine était assise prés de son fiancé. Elle ne parlait presque pas. A chaque fois que nos regards se croisaient elle détournait les yeux. Je pris mon courage à deux mains et allais la voir .
- Je peux te parler Nesrine?
Elle vida son verre et en le posa délicatement sur la table elle répondit :
- Oui! Prends ta veste, on va parler dehors !
Une fois à l'extérieur, un silence de plomb s'installa . Nous avions marché jusqu'à sa voiture et elle était maintenant adossée contre la portiére avant. Elle fuyait toujours mon regard et tripotait nerveusement le bracelet en argent qu'elle avait sur son poignée .
- Nesrine.... je ne sais pas quoi te dire ni comment te le dire... J'ai prié pour ne plus jamais te revoir tant je redoutais cette confrontation . Je... Je suis désolée pour tout Nesrine.
Pathétique! Pathétique était le mot pour décrire le sentiment qui m'innondait à cet instant. Je me sentais pathétique . Son silence m'enfonçait encore plus. Je voulais qu'elle répondes , mais j'étais face à un mur.
- Je t'ai laissé tomber et ce que j'ai fait est impardonnable , j'aimerai pouvoir me racheter auprés de toi.
- Pourquoi ? Pourquoi tu es partie sans essayer de les raisonner? Aprés tout ils étaient tes meilleurs amis , tu aurais pu faire quelque chose . Pourquoi tu m'as laissé la bas? Pourquoi tu n'as envoyé personne là-bas pour les arrêter ? Ton frére, quelqu'un , n'importe qui... Y'a tellement de choses que tu aurais pu faire pour éviter ça...
Ses larmes coulaient. Elle était blessée, en colére et avait une rage immense en elle . Elle poursuivit :
-Tu savais qu'ils avaient tout filmé et qu'ils me faisaient chanté avec cette vidéo? ils m'ont obligé à faire des choses atroces mon Dieu.... Pendant une semaine, tous les jours Sakoura, tous les jours ils me demandaient de venir... Quand je disais non , il menaçait de partager la vidéo sur les réseaux sociaux . J'ai dû ... J'ai dû ...faire des choses avec d'autres personnes dans des caves... Ils m'ont déshumanisé. A chaque fois qu'ils me touchaient ils me tuaient une nouvelle fois . J'étais... leur chose, leur jouet...leur....
Sa voix se brisa et elle s'effondra en pleurs . Je pleurais avec elle . Je ressentais son mal au plus profond de mon être. Elle avait vécu un cauchemard que je n'osais imaginer. Un feu s'était embrassé dans ma chair rongeant chaque centimétre de mon corps. Je voulais me désintégrer , revenir en arriére. Ce viol n'était que la partie visible de l'iceberg. Ces révelations finirent de m'achever. J'avais la nausée . Dans ma tête des images insoutenables défilaient. Ce soir là Je finis par vomir mes tripes...
Elle pleurait sa souffrance, je pleurais sa souffrance. Je pleurais ma lâcheté . Je pleurais la vie de Nesrine et celle de tant autres adolescentes gâchées par mes deux meilleurs amis.
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