Chapitre 46

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Depuis le temps que Lyra était à Silverthrown, elle commençait à bien connaître le château. Ou au moins les couloirs principaux.

Alors qu’elle se dirigeait à vive allure vers la Grande Salle, un fracas venant de sa droite la fit sursauter. Le bruit lourd provenait d’une pièce un peu plus loin. La jeune femme ralentit le pas et avança prudemment, aux aguets. La porte entrouverte permettait à Lyra d’entrevoir une masse sombre au sol, se mouvant lentement.

Toujours à demi cachée dans le couloir, elle plissa les yeux afin de clarifier sa vue. C’était la domestique. Celle à la queue de cheval brune. Celle-là même qui avait causé quelques désagréments à Lyra. Et ironie quand tu nous tiens, elle se trouvait dans le salon d’Emeraude, là où elle avait envoyé Lyra lors de sa première visite à la capitale.

  • Il faut aller dans le Grande Salle, c’est dangereux ici, prévient la conteuse en faisant un pas sur l’hideuse moquette verte sapin.

La domestique leva la tête déboussolée.

  • Vous ne devriez pas être ici Mademoiselle, souffla cette dernière.
  • Vous non plus, renchérit Lyra.

La domestique était agenouillée près de la cheminée, dans sa chute elle avait fait tomber un fauteuil vert menthe. A bien y regarder, sa joue gauche était gonflée et rouge.

La porte claqua dans le dos de Lyra. Un homme immense apparut derrière elle, la main encore sur la poignée. Son visage ne lui était pas inconnu. Roux, barbu, le regard fier, le visage à la fois rond d’une vie de d’abondance mais creusé par des années de fatigue et de haine.

Childéric Ier.

Plus aussi noble que sur ses portraits officiels, l’ancien roi avait beaucoup vieilli. Des cheveux blancs clairsemaient sa tignasse et sa barbe d’un auburn terne. De lourdes rides sillonnaient son visage jaunâtre. Il avait, semble-t-il, perdu plusieurs kilos ce qui lui donnait un aspect plus maladif qu’athlétique.

  • Une autre fouineuse, se plaignit le géant.

Lyra aida la domestique à se relever. Elles étaient coincées. Childéric bloquait la sortie.

  • Vous êtes l’ancien roi ? questionna Lyra.

C’était sa seule façon de combattre. Les mots. Avec un peu de chance elle ferait assez diversion pour que Childéric se déplace de lui-même et libère le passage.

  • Je ne suis l’ancien de rien du tout. Tout ceci m’appartenait et m'appartient toujours. Alors agenouille toi devant ton véritable souverain.

Sa voix était si puissante qu’il en fit trembler les tableaux accrochés aux murs.

Lyra restait figée. Elle ne savait pas comment se sortir de cette situation. Childéric n’avait toujours pas bouger, camper devant la porte.

La domestique en avait profité lors de l’échange pour décrocher un des deux sabres décorant le portant de la cheminée. Elle lança l’arme en direction de Lyra.

  • Mademoiselle ! cria-t-elle.

La scène aurait pu être épique. le sabre tournoyant dans les airs avant d’être parfaitement rattrapé d’une main de maître par Lyra. La jeune femme le brandissant triomphante. Mais Lyra n’est pas l'héroïne d’une de ses histoires.

Alors le sabre vola, mais tomba et se prit dans les pieds de Lyra. Elle le récupéra maladroitement tout en jetant un regard noir à la domestique.

  • Et je suis censée faire quoi avec ça ?
  • Mais je sais pas moi, battez-vous ! hurla la domestique.
  • Je ne sais pas me servir de ça !
  • Et ça se voit, ajouta finalement Childéric lasse. Votre posture est minable, aucune force dans les bras et aucune conviction dans le regard.

Les jambes de Lyra tremblaient. La garde de l’arme glissait entre ses mains moites. Elle avait des difficultés à déglutir. Et Childéric se délectait de ce pitoyable tableau.

  • Pauvre petite chose, donne moi ce sabre, tu ne pourras rien en faire, exigea-t-il en tendant une main vers la jeune femme.
  • Je …

La poigne de Lyra se détendit un instant avant de se crisper à nouveau.

  • Je ne sais peut-être pas m’en servir comme il faut, mais je peux très bien l’abattre n’importe comment.

Alors les deux bras en avant, elle fendit l’air de sa lame, de bas en haut et de haut en bas. Presque mécaniquement. C’était chaotique. Elle faisait n’importe quoi.

Cependant cela commençait à devenir dangereux pour Childéric qui était accolé à la porte. Il se décala alors rapidement sur la droite pour échapper à l’effroyable danse dissonante du sabre. Mais en voulant esquiver il passa trop près. Cette fois-ci, Lyra ne loupa pas sa cible. Le sabre venait de s'abattre sur le bras gauche de Childéric. Elle n’avait pas assez de force pour lui couper le bras mais suffisamment pour lui laisser une méchante entaille ensanglantée.

L’ancien roi trébucha tout en hurlant de douleur.

Les deux femmes avaient la voie libre. Surprise d'elle-même, Lyra lâcha le sabre. Elle contempla le bois de la porte. Elle n’entendait même plus les cris de Childéric. La domestique, exaspérée par cette demoiselle, lui empoigna fermement le bras et toutes deux fuirent dans le couloir.

  • Vous pourriez me dire merci, se vexa Lyra.
  • Merci, pourquoi ? C’est grâce à moi qu’on est sorti. Vous vous ne faisiez que gesticuler avec une arme mortelle. Y’a pas de quoi être fière, s’étrangla la domestique entre deux respirations.

Le claquement métallique d’une armure en mouvement résonna dans l’escalier qu’elles empruntaient. La domestique obligea Lyra à monter les marches deux par deux puis en haut elle plaqua la conteuse dans un recoin afin de se cacher.

  • Finalement vous n’êtes pas si méchante. J’ai l’impression qu’on est parti du mauvais pied depuis notre première rencontre, chuchota Lyra adossée au mur de pierre.
  • Non. Je ne vous aime pas. Votre tête ne me revient pas.
  • Ah.

Une garde de Silverthrown passa devant elles sans leur prêter la moindre attention. La domestique s’appuya un peu plus contre Lyra.

  • Moi non plus je ne vous apprécie pas.
  • Très bien alors on est d’accord pour pas s’aimer, conclut la domestique.

Elles étaient presque arrivées à la Grande Salle. Elles pouvaient distinguer les ornements qui décoraient les imposantes portes. Elles pouvaient entendre les pas affolés des apprentis infirmiers et les gémissements des malades. Mais également des pas rapides, comme si quelqu’un courait. Mais une course lente, gauche et éprouvante. En se retournant elles découvrirent avec horreur la silhouette gigantesque de Childéric.

Le corps immense de l’ancien roi, déformé par la douleur, se mouvait avec difficulté. C’était une vision tout droit sortie d’un cauchemar. Il ressemblait trait pour trait à ce que s'était imaginé Lyra d’un troll en pleine course contre un lièvre.

Dans sa main valide, il tenait le sabre encore maculé de son propre sang. Heureusement ce couloir était le plus long de tout le château.

  • Toi ! hurla-t-il à l’encontre de Lyra.

Mais il valait mieux ne pas trop traîner tout de même. Les deux femmes pressèrent le pas. Elles tambourinèrent à la porte mais celle-ci demeurait fermée. La reine avait peut-être un peu trop écouté les conseils de Lyra et du Renard.

  • Votre Majestée, pitié ouvrez-nous ! C’est moi, Lyra !

Elle avait crié tellement fort qu’elle sentit une de ses cordes vocales vrillée. Un boucan de tous les diables leur parvenait de derrière les portes, comme de lourds meubles que l’on déplace. Finalement l’un des portes s'entrouvrit juste assez pour qu’un corps puisse s’y glisser. C’était la doctoresse, celle qui s’était occupée de Lyra et de la main de Madeleine.

  • Encore vous ? souffla-t-elle à l’intention de Lyra.
  • Oui c’est moi, encore, c’est une manie ou quoi ? Laissez nous passer.

Elle jeta un regard en arrière, Childéric se rapprochait dangereusement. Et alors que la doctoresse se déplaçait, Lyra poussa la domestique dans la Grande Salle.

  • Renfermez-vous. Barricader tous les entrées et n’en sortez sous aucun prétexte, se rappela-t-elle des paroles de Kayden. Et souhaitez-moi bonne chance, j’ai une course à gagner contre un troll.

Sans leur laisser le temps de répondre, Lyra ferma la porte.

Childéric n’était plus qu’à quelques mètres. La jeune femme prit une profonde inspiration et repartit de plus belle. Elle ne savait pas où aller. L’objectif était surtout de fatiguer son assaillant.

Mais la haine étant un moteur aussi puissant que la peur, l’ancien roi/troll la talonnait de près.

Je crois qu’on est déjà passé devant ce tableau, je tourne en rond, se lamenta Lyra.

Elle était essoufflée, épuisée et un point de côté malmenait ses côtes. Pire encore, ses pieds commençaient à perdre de l’allure.

C’est alors que face à elle un éclair sombre fonçait dans sa direction. Puis, au tournant du couloir, la chevelure rousse et le visage sévère de Kayden apparurent.

  • Mon roi ?
  • Kay ?
  • Crowley ?
  • Lyra ?

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