Chapitre 13 (Réécrit)

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Pour marquer leur réconciliation, Lyra aida le Renard à bichonner le reste des chevaux. Ils leur apportèrent du foin, distribuèrent les pommes, les carottes et passèrent quelques coups de brosse.

Au début, le garde refusa que la conteuse le seconde. Il ne put l’en dissuader pour autant. Lorsqu’elle empoigna la fourche et piqua dans une botte de foin, il lâcha l’affaire. Elle était encore plus têtue qu’un âne.

Son temps à l’écurie était un moment de calme et de sérénité. Juste lui et les chevaux. Avec ses Lyra avait piétiné le calme et envoyé valser la sérénité. La jeune femme était pétillante et d’une énergie à toute épreuve. Et elle parlait. Beaucoup.

D'ordinaire, il n’appréciait pas les bavardages, surtout lorsqu’ils étaient futiles. Et fondamentalement, tout ce que lui racontait la demoiselle était inutile. Sa vie à Rivermoore. Ses trois sœurs plus âgées. Sa domestique Marie. Son avis sur la capitale. Son angoisse lors du dîner avec les représentants d’Aldonya.

Pourtant, le Renard se surprit à écouter attentivement le moindre de ses mots. Lorsqu’elle parlait, c’était comme si une rivière d’or et de musique s’insinuait dans son oreille et faisait trembler l’intérieur de son corps. Il n’appréciait pas du tout cette sensation. Il aimait encore moins espérer que ça ne s’arrête jamais. Heureusement pour lui, Lyra pouvait aisément tenir une conversation pour deux.

De temps en temps, elle lui posait des questions. Il y répondait généralement par oui ou non. Plus ses réponses étaient courtes, plus elle essayait de le faire parler. Était-elle en train de le tester ? Jouait-elle à une sorte de jeu ?

— Vous n’avez pas de palefreniers ? demanda-t-elle en nattant la crinière de Stardust.

— Si.

— Alors pourquoi c’est vous qui vous occupez des chevaux ?

— J’aime bien.

Sa réponse, aussi brève soit-elle, sembla satisfaire la jeune femme. Une fois la tresse terminée, elle s’étira de tout son long et leva le nez au ciel.

Lyra Merryweather était grande, plus grande que la moyenne. Enfin, c'est ce que le Renard imaginait. Avait-il déjà prêté attention à la taille des autres ? Pour juger la morphologie et la force d’un ennemi, oui. Mais dans ce contexte, il n’avait pas besoin de l’analyser. Pourtant, ses yeux, bien cachés derrière leur muraille d’or, ne se détachaient pas de ses longs cheveux chocolat, de sa peau brune ou de ses yeux d’ambre.

— Il est encore tôt. Pensez-vous que les boutiques du centre de la ville sont déjà ouvertes ? lança-t-elle au Renard. Je dois aller chercher un cadeau pour Obélia et si je n’y vais pas maintenant, je ne pense pas que j’aurai le temps.

— Peut-être. Je ne sais pas, répondit-il simplement.

Il n’avait jamais mis les pieds dans une boutique, que ce soit celle de Silverthrown ou ailleurs. De toute manière, ça ne lui servait à rien de connaître leurs horaires d’ouvertures. Il n’y mettrait jamais les pieds.

— Wow, vous connaissez bien votre ville, constata Lyra, amusée. Saurez-vous au moins me dire dans quelle direction aller pour m’y rendre ?

Il n’arrivait pas à lui répondre. Il connaissait le chemin, mais son cerveau refusait de lui donner l’information. Alors qu’elle soufflait et repartait de l’écurie, il empoigna la selle de Stardust et la posa sur le dos de la jument.

— Je viens avec vous.

Elle commença à le contredire, mais il la devança. C’était bien la première fois qu’il anticipait les paroles de quelqu’un d’autre.

— Je connais la route. Pour les boutiques. Trop long à pied.

Après, cela restait de courtes phrases concises. Il ne fallait pas exagérer non plus. Il ne tiendrait pas tout de suite un monologue.

Elle lui rendit une expression étonnée, mais le remercia et monta à sa suite. Son visage était tellement expressif qu’on lisait en elle comme à livre ouvert. Il était facile de constater sa surprise comme maintenant. Sa joie comme à l’auberge de Maximilien. Sa colère le soir du Bal d’Hiver. Son intérêt pour le vantard duc de Lomond. Ou son émerveillement lorsqu’elle contait devant un public.

C’est en arrivant devant le portique du centre de la ville que le Renard prit conscience de ce qu’il faisait. Les boutiques. Il allait faire les boutiques. Plus précisément, il accompagnait une femme faire les boutiques. Quelque chose clochait chez lui, aujourd'hui.

Une pancarte en bois à l'inscription “Marché artisanal” se balançait au gré du vent. Il y avait déjà du monde. Trop de monde.

Les commerçants terminaient de placer leurs marchandises sur les étals. Les allumeurs de réverbères éteignaient les flammes des lampadaires. Les petits cordonniers s’installaient devant leurs boutiques pour proposer leurs services de cirage de chaussures. Les boulangers laissaient échapper des odeurs de pain frais de leurs fenêtres. Les passants affluaient, paniers en main pour leurs emplettes.

Le Renard devait bien reconnaître que Silverthrown était une ville vivante. De la capitale, il ne connaissait que le château ainsi que le bâtiment réservé à la garde royale. Lorsqu’il en partait, en général, c’était pour la guerre.

Devant lui, Lyra tournait la tête à tous les coins de rue. Elle fermait les yeux, humant l’air aux mille senteurs. Du pain, des épices, des fleurs. Lui, ça lui donnait le tournis.

— Oh ! Arrêtez-vous là s'il vous plaît, demanda-t-elle en montrant du doigt une boutique à la vitrine exposant des mannequins en robe et en froufrous.

Il s’exécuta et stoppa Stardust devant le magasin. Il sauta à terre et tendit sa main pour aider Lyra à descendre. Il ne voulait pas qu’elle tombe comme la dernière fois. Surtout que, vu son caractère, elle pourrait lui remettre la faute dessus.

Elle accepta, mais ne lui prit pas la main. À la place, elle l’accompagna à sa taille.

— Je vous fais confiance, ne me lâchez pas. Mon derrière en a déjà eu assez d’une seule chute, répliqua-t-elle en passant une jambe par-dessus la jument pour descendre.

De cette façon, il n'avait pas une bonne prise. Le pied de Lyra était trop loin du sol. Il se plaça derrière elle, et de son autre main agrippa sa taille des deux côtés. Elle descendit tout en douceur. Sans aucune cascade.

— Merci, lui dit-elle en lui tapotant l’épaule.

De près, les iris de la jeune femme se paraient d'éclats dorés. Une expression amusée illuminait son regard. Elle se racla la gorge et d’un mouvement de tête, lui indiqua ses mains. Il la tenait encore.

Il la lâcha précipitamment, les bras en l’air, ne sachant même plus où les poser. Béni soit le soleil et la lune qu’il avait son masque, parce que, là, tout de suite, il désirait plus que tout aller se cacher.

— J’avais vu cette boutique en arrivant l’autre jour. Obélia veut que je lui apporte un de ses châles à la mode. Oh ! C’est tout à fait charmant, s’exclama-t-elle en entrant dans le magasin.

Charmant n’était pas le mot que le Renard aurait employé. Effrayant ? Désorientant ? Embarrassant, peut-être ? Mais définitivement pas charmant.

Tout comme dans la vitrine, les mannequins étaient présents à l’intérieur. Des mannequins en robes, en pantalon, en veste de bal, et même en petite tenue. À la vue des corsets, ainsi exposés sans autre forme de tissus, il eut l'irrépressible envie de faire demi-tour. La décence lui criait de se couvrir les yeux.

Lyra n’avait que faire du manque de pudeur l’entourant. Elle flânait à travers les allées de la boutique à la recherche de son cadeau. De temps en temps, elle s’arrêtait, regardait un article puis le reposait. Elle aurait pu faire tache dans son simple pantalon en coton et sa chemise trop grande. Il n’en était rien. Entourée de dentelles, de soieries et de bijoux, elle avait tout d’une grande dame.

Le Renard se sentait observé. Les quelques clients déjà présents échangeaient entre eux à voix basse. Dès qu’il passait, les discussions s'arrêtaient. Voilà pourquoi il ne sortait jamais du château. Il était trop reconnaissable. C’en était agaçant. Il suivit Lyra plus loin dans le magasin, fuyant les commérages.

Alors que la conteuse essayait un châle bleu ciel aux motifs végétaux brodés, un peigne à cheveux attira l’attention du Renard. En or blanc, il représentait un bouquet de perce-neige entrelacé. Il n'avait rien d’ostentatoire. Pas de pierres précieuses, pas de perles. Il lui plaisait bien.

— Qu'en pensez-vous ? demanda Lyra au garde, le châle toujours sur ses épaules. Je pense qu’il plairait à Obélia. Le bleu, c'est sa couleur.

Pour toute réponse, le Renard piqua le peigne dans les cheveux de la conteuse. La blancheur des fleurs ressortait à merveille dans ses boucles brunes.

— Je trouve… que ça vous va bien.

En réponse, Lyra lui sourit. Un simple sourire, sur une simple tête, d’une simple jeune femme. Elle ne pouvait pas le voir, mais le garde fronça ses sourcils. Les tambourinements de son cœur était si fort, qu’ils en étaient douloureux. Il faisait une crise cardiaque ! Ce ne pouvait être que ça. Mourir si jeune et de manière si peu glorieuse pour un soldat, c’était triste. Alors qu’il s’apprêtait à formuler intérieurement sa dernière volonté, le mal s’estompa jusqu’à disparaître. Ne laissant qu’un feu ardent embrasant son visage masqué.

Lyra passa la main dans ses cheveux et toucha du bout des doigts le peigne. Finalement, elle se dirigea vers la caisse pour aller payer. Encore un peu patraque, il la rejoignit au moment où elle sortit de sa sacoche une bourse.

Le Renard fut plus rapide. Il avait déjà posé les trois pièces d’argent sur le comptoir. À ce moment, la modiste laissa échapper une exclamation de surprise devant le garde masqué. Lyra ne sembla pas le remarquer. À la place, elle empoigna les pièces et les remit dans la main du Renard.

— C’est très aimable à vous. Mais j’ai de quoi payer. Pour le châle et pour le peigne.

— J’insiste, répliqua le Renard en lui tendant l’argent.

— Et j’insiste doublement ! s’énerva-t-elle.

Elle claqua son poing sur le comptoir. Ses pièces se heurtèrent en un tintement aigu. La modiste sursauta, fixant d’abord le Renard doré puis la jeune femme en colère. Derrière eux, les clients s’étaient tus et assistaient au spectacle d’une vraie scène de ménage.

— Alors, laissez-moi vous offrir le peigne. Pour vous remercier avec les chevaux. Et pour me faire pardonner.

Lyra se mordit les lèvres en signe de résiliation. Et d’un hochement de tête, elle accepta son offre. Après avoir tous deux payé. Ils remontèrent en selle, direction le château.

Depuis leur sortie de la boutique, le monde n’avait pas désempli. Au contraire. Une marée de gens entourait à présent Stardust et ses deux passagers, rendant leur ascension difficile. Surtout que la majorité les toisait du regard. D’autres chuchotaient à leur passage. Les plus impolis les montraient même du doigt. Il faut dire que rares étaient les sorties du Renard doré et plus encore celles accompagnées d’une autre personne. Ne restait plus qu’à espérer que les rumeurs n’arrivent pas aux oreilles des deux reines.

Le Renard ne voyait pas l’expression de Lyra, mais il sentait qu’elle faisait la tête. Ses épaules étaient contractées. Elle tenait son dos le plus droit possible pour éviter tout contact avec lui.

Une fois de retour à l’écurie, il lui proposa de nouveau son aide pour descendre. Cette fois-ci, elle refusa.

— Êtes-vous fâchée ? demanda-t-il en maintenant Stardust par le licol.

— Non.

Voilà qu’elle se mettait, elle aussi, aux réponses fermées.

— Vous semblez fâchée.

— Je ne le suis pas, dit-elle une fois pieds à terre. Un tantinet irritée, oui ! Vous savez que conter, c’est mon métier. Je suis payée pour raconter des histoires. Ce n’est pas parce que je suis une Merryweather que je suis sans-le-sou. Alors merci, mais je n’ai pas besoin de votre charité.

Il baissa la tête, honteux. À chaque fois qu’il lui parlait, elle le disputait, c’était une manie chez elle. Il était le Renard doré, bon sang ! Pas un petit écuyer ! Il n’avait pas à se faire marcher sur les pieds de cette manière.

— Je suis désolée, poursuivit Lyra avant même qu’il n'ait ouvert la bouche. Je n’aurais pas dû vous parler ainsi. C'est juste que… c’est un sujet un peu sensible dans ma famille. Merci pour votre aide. Et merci pour le peigne, j’en prendrai soin, dit-elle avec douceur.

Elle posa sa main sur l’épaule du Renard, comme elle l’avait fait plus tôt dans la journée, en guise de salutation, et s’en alla.

Une fois certain qu’elle avait quitté l’écurie, le garde se toucha les oreilles.

Elles lui brûlaient affreusement. Son visage aussi semblait être en proie aux flammes de l’enfer. N’y tenant plus, il vérifia d’un mouvement de tête être bien seul. Puis, il retira son masque, dévoilant son visage aux chevaux et aux oiseaux de passage. L’air frais emplit ses poumons en même temps que l’odeur de la paille fraîche et d'une note de miel et de lavande.

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