Chapitre 23 (Réécrit)

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Lyra avait attendu ce moment autant qu’elle l’avait craint. Le temps des au revoir. Madeleine pleurait à chaudes larmes dans ses bras.

Le fiacre et les chevaux patientaient dans l’entrée de la cour du château. Un cocher à la figure joviale et aux tempes grisonnantes aida Lyra à déposer ses bagages à l’arrière de la voiture. Un vent d’hiver faisait voler les capes et les feuilles mortes. Lyra frissonna, resserrant l’étreinte de Madeleine. Le ciel avait revêtu un manteau gris et nuageux, en parfaite adéquation avec le moral de la conteuse.

Landry essayait tant bien que mal de séparer la jeune domestique du buste de Lyra, mais elle s’accrochait aussi fort qu’un koala à son perchoir. Après quelques paroles douces et réconfortantes, Lyra réussit à la décrocher. Elle essuya les larmes de son amie d’un coup de mouchoir. La conteuse faisait bonne figure, pour ne pas peiner encore plus Madeleine. Mais ses yeux rougis ne devaient tromper personne.

Alphonse et Damien, qui avaient été missionnés pour la ramener à Rivermoore, mirent un pied à l’étrier avant de monter en selle. Au moins, ses deux amis l'accompagnaient. Elle n’avait pas besoin de leur dire au revoir tout de suite. Cette pensée la rassura.

Après un dernier au revoir, elle se dirigea vers le fiacre, les lèvres tremblantes. Le Renard l’attendait à côté. Il avait remis son uniforme de la garde. Lyra ne savait pas si c’était parce qu'elle avait vu son visage, mais depuis, elle le trouvait encore plus inflexible avec son masque. Le dos droit, il lui tendit la paume de sa main.

— Vous faites également partie du voyage ? demanda Lyra en acceptant sa main. Je n’ai pas vu Stardust pourtant.

Il l’aida à monter dans la voiture. Il posa ensuite un pied sur la marche sans pour autant prendre de l’élan. Sa poitrine se soulevait de manière irrégulière sous sa veste cintrée. Il resta plusieurs secondes dans cette position, le menton baissée. À croire qu’il ne voulait pas monter. Finalement, il secoua la tête avant de s’engouffrer à son tour dans le fiacre.

Ils n’étaient pas encore partis que Lyra était déjà mal à l’aise. Le masque inexpressif, face à elle, la fixait de ses yeux sans vie. D’autant plus que le fiacre était trop petit et le Renard trop grand. Leurs genoux se touchaient au moindre de leurs mouvements.

— Leurs Majestés m’ont demandé de vous accompagner, expliqua-t-il pour répondre à Lyra. Et de les assurer de votre bon retour en personne. Quant à Stardust, croyez-moi, j’aurais préféré faire la route avec elle. Mais j’ai interdiction de monter à cheval pendant tout un mois…

Si son masque ne cachait pas son expression, Lyra était certaine qu’elle l’aurait vu faire la moue.

Eh bien ! La perspective de voyager avec elle semblait le ravir… Il préférait être sur son cheval qu’assis en face d’elle. Super flatteur, en tout cas…

Elle pensait qu’ils s'étaient rapprochés pendant cette semaine. Surtout après qu’elle lui a sauvé la vie. Visiblement, elle s’était plus que trompée. Ce n'est pas grave, son égo n’en prenait pas du tout un coup. Absolument pas !

Le Renard eut l'air de prendre conscience de ses paroles. Il prit sa tête dans ses mains.

Le dos ainsi voûté, leurs corps étaient encore plus proches. Elle était tentée de défaire le nœud qui retenait son masque pour surprendre la gêne sur son visage. Avaient-ils déjà été aussi intimes ? Le souvenir du soir du dernier bal la frappa de plein fouet. Effectivement, on ne pouvait pas faire plus intime que ce moment…

— Non ! Attendez, ce n’est pas… Je ne voulais pas dire ça comme ça. Pas que je ne veuille pas voyager avec vous. Au contraire ! Non ! Je… C’est différent… Est-ce que… On peut ouvrir la fenêtre, s’il vous plaît ? demanda-t-il à bout de souffle.

Au moment où Lyra tira le rideau, Damien passa devant la fenêtre. Son cheval piétinait et renâclait, impatient de se mettre en route.

— Est-ce que vous êtes prêts ? On va y aller, les avertit-il.

À ses mots, le cocher fit claquer sa langue, le fiacre brinquebala et les sabots des chevaux clopinèrent sur le sol.

Lyra lança un dernier regard vers le château. Madeleine la saluait avec de grands gestes de la main, soutenue par un Landry complètement désemparé devant la crise de larme de la jeune fille. Son attention fut attirée par une forme derrière l’une des gigantesques fenêtres du troisième étage. Là-haut, elle crut voir l’ombre de Thelma.

Lyra se remit à jouer avec le cordon de sa chemise. Quelque chose la dérangeait dans le comportement de la reine. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Thelma était pourtant bienveillante avec elle. Elle et Ellyana l’avaient suffisamment récompensé. Assez pour sauver sa famille de la ruine pour au moins deux années consécutives. Elle pourrait même offrir un magnifique mariage à Enora. C'était bien plus que la conteuse ne pouvait l'imaginer. En plus, la reine lui avait dit qu’elle réfléchirait sérieusement à rendre son titre à la famille Merryweather. Alors pourquoi sentait-elle son estomac se tordre lorsque ses yeux de glace se posaient sur elle ?

— Vous m’en voulez ?

Le Renard triturait ses doigts comme le ferait un enfant après une bêtise. Pour une fois, c’était lui qui entamait la conversation.

La mise commence avec quatre mots. Qui dit mieux ?

— Pourquoi vous en voudrais-je ? Moi aussi, je préférerais faire le voyage avec Stardust, rétorqua Lyra, la tête tournée vers la fenêtre.

Elle avait refusé de le regarder depuis leur départ. Départ qui remontait à plusieurs heures maintenant.

Elle l’entendit souffler à travers son masque. Il pouvait faire tout ce qu’il voulait, elle ne se détournait pas du paysage. Les arbres étaient bien plus intéressants.

Dans sa vision périphérique, elle le vit bouger. Ce n’était pas assez net pour qu’elle comprenne ce qu’il faisait. Peu importe. Elle ne voulait pas savoir.

D’une main, il secoua ses cheveux.

Ce nuage ressemble à un lapin.

Il prit un mouchoir.

Celui-ci pourrait être… un… ornithorynque.

Il porta le morceau de tissu à son visage.

Je ne sais même pas à quoi ça ressemble, un ornithorynque… Attends, son visage !

Elle n’y tint plus et reporta toute son attention sur lui. Son masque reposait sur la banquette, laissant ses cicatrices et ses taches de rousseurs à l’air libre.

— Vous n’avez pas peur que l’on vous voit ?

— Alphonse et Damien sont devant le fiacre, ils ne me verront pas. Et il ne sert plus que je me cache de vous, fit-il remarquer en épongeant son front.

Pas mal ! Elle avait atteint la vingtaine de mots dès sa deuxième phrase. Elle commençait à être bonne à ce jeu.

Alors qu’il allait le ranger dans sa poche, elle remarqua une broderie sur l’un des coins du mouchoir. Un joli « K » d’une couleur crème, aux courbes arrondies et entremêlé de fils d’un bleu sombre.

Il sembla remarquer son intérêt, car il déclara :

— Je ne m'appelle pas vraiment le Renard doré. C’est un surnom que les gens du château m’ont donné.

— Et moi qui pensais que vos parents vous avaient réellement baptisé ainsi, plaisanta Lyra, sa curiosité au maximum.

Les yeux sapins du Renard s’assombrirent. Le silence se fit soudain pesant. Mince, avait-elle touché un point sensible ? La voiture poursuivait sa route, chahutant la conteuse et le Renard doré.

— Ce « K », c’est l'initiale de mon prénom.

Elle voulait lui dire qu’il n’était pas obligé de lui en parler. Qu’après tout, il ne lui devait rien. Mais elle mourrait d’envie d’en apprendre davantage. De résoudre petit à petit le mystère derrière le masque d’or. Pour l’encourager, elle posa une main sur la sienne et lui sourit.

— Je vous avais dit que je vous raconterais tout, continua-t-il après avoir pris une profonde inspiration. Laissez-moi commencer par me présenter. Je m’appelle Kayden, déclara-t-il solennellement. C’est… c’est mon prénom.

Lyra glissa ses doigts dans la paume gantée du garde. Le contact frais du cuir la fit frissonner. Puis, d’une poignée douce, elle les leva de haut en bas.

— Ravie de faire votre connaissance, Kayden. C’est un beau prénom.

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