Chapitre 42 (Réécrit)
Affalé dans un sofa, Kayden réfléchissait à toute vitesse. Les sourcils froncés, il se massait les tempes.
Au départ, il avait hésité à retirer son masque à Polaris, même dans la chambre que lui avait donnée Jude de Lior. Mais il passait par tant d’émotions depuis qu'il était arrivé ici, qu’il avait besoin de l’enlever. Histoire de ne pas suffoquer.
Il vérifiait toujours par trois fois que personne ne se cachait derrière un rideau, dans une armoire ou sous son lit. Là encore, il n’avait pas dérogé à la règle.
Le tressautement de sa jambe trahissait son anxiété, un tic nerveux dont il avait du mal à s’en défaire.
Mais où pouvait-elle bien être ?
Il avait quitté Lyra. Quoi ? Même pas une journée ! Et elle avait trouvé le moyen de disparaître. « Kidnappée » serait plus juste. Toujours est-il que la conteuse se mettait toujours dans des situations dangereuses. Il suffisait de voir où ils en étaient.
Il repensa aux évènements de la veille. Jude de Lior, pour changer, l’avait invité à dîner avec iel et les plus proches membres de sa cour. Le Renard n’en pouvait plus de toute cette nourriture trop riche et trop grasse. Jamais il n’aurait cru penser ça, mais le bouillon de la garde lui manquait. Il hésita à accepter, prétextant être occupé à préparer son départ. Mais ce repas, c’était le dernier avant de quitter Lyra.
Le voilà attablé entre Jude de Lior et Lysandre de Lomond. Pas la moindre trace de la conteuse. Elle était sans doute en retard. Ce ne serait pas la première fois. D’un coup d'œil, il compta les assiettes. Sept assiettes, sept sièges, tous déjà occupés.
— Cherchez-vous quelqu'un ? demanda Opale de Lomond, ses doigts frôlant les bords de son verre de vin.
— Je me demandais si mademoiselle Merryweather conterait pour nous aujourd'hui.
— Après le pitoyable spectacle de notre dernier déjeuner ? Certainement pas ! s’est indigné.e Jude. De toute manière, elle est partie. Sans même me remercier. Quand vous la verrez, cher Renard. Dites-lui que j’ai trouvé cela fort impoli et que mon envie de la faire ambassadrice des arts d’Aldonya est retombée comme un de ces soufflés au fromage, termina-t-iel en piquant rageusement dans la pâte au fromage.
Le soufflé s’affaissa mollement avant de s'étaler sur la salade. Jude avait la même expression que ces gamins tyranniques qui s’amusaient à brûler les fourmis avec une loupe au soleil. Une fois son moment dictatorial passé, iel retourna un sourire angélique vers le Renard.
— Mais vous, au moins, vous avez la décence de me dire au revoir, n’est-ce pas ?
— Elle est partie ?
— Roh, oui ! Partie, envolée, elle s’en est allée, comme vous préférez ! Pourquoi faut-il que nous parlions d’elle ? Parlez-moi de vous, je vous parlerai de moi. On se parlera de nous, minauda Jude en approchant sa main du bras du Renard.
Kayden se servit un verre de vin. Il ne le boirait pas, il voulait seulement éviter tout contact.
— Vous semblez surpris, Renard, fit remarquer Opale. Après tout, vous auriez pu faire le voyage ensemble.
— Je ne connaissais pas la durée de séjour de mademoiselle Merryweather. Nous nous connaissons peu, répondit le Renard. Mais il est normal qu’elle souhaite retourner chez elle, dans sa campagne. De mon côté, je retourne à Silverthrown. Nous n’empruntons pas le même chemin.
— Lyra, enfin, mademoiselle Merryweather, se reprit le duc de Lomond, est venue me saluer ce matin. En effet, elle m’a dit être pressée de revoir sa famille. Sans doute la raison de son départ précipité. En tout cas, c’est ce qu’elle m’a expliqué… lors de notre tête-à-tête, déclara-t-il, un sourire victorieux vers le Renard.
Venait-il, sérieusement, de séparer lentement les syllabes de « tête-à-tête » ?
Heureusement que Kayden portait son masque, sinon le duc aurait été fusillé sur place. Et il avait beau savoir que Lysandre le manipulait pour le faire sortir de ses gonds, le chevalier ne pouvait s’empêcher de bouillir de l’intérieur. À présent, il n'avait qu’une envie, prendre le couteau à sa droite et taillader cet insupportable nabot. Voilà que sa jambe se mettait à remuer. C'était soit ça, soit planter son voisin de table.
Toujours avec cet air suffisant, Lysandre de Lomond lança un regard à sa mère puis renchérit :
— Ne lui en tenez pas trop rigueur, votre altesse. Elle m’a dit ne s’être jamais autant amusée qu’ici, à Polaris. Croyez-moi. Nous n’avons pas fini d’entendre parler de Lyra Merryweather.
Le reste du repas, Kayden ne s’en souvenait pas. Il avait à peine bu. À peine mangé. Il ne faisait que retourner les paroles de Lysandre en tous sens. Était-ce un message caché ? Était-elle partie sans l'en informer ? Avait-elle trouvé des informations importantes ? Pourquoi le duc était-il si détendu ? Et comment osait-il parler de Lyra avec tant de familiarité ?
Le Renard serrait les poings si fort dans ses gants, qu’il sentait les battements de son cœur pulser contre le cuir tendu.
Quant à Opale de Lomond, il était impossible de savoir ce qu’elle avait derrière la tête. C’était comme fixer une peinture. À l’instar du modèle, elle souriait avec politesse, mais personne ne pouvait deviner ses intentions.
Une fois tout ce beau monde rassasié, ils quittèrent la table. Kayden avait envie de prendre le duc de Lomond dans un coin de la pièce et de le forcer à cracher tout ce qu’il savait. Il dût faire un effort surhumain au moment de le saluer.
— Renard doré ? l’interpella Lysandre alors que tout le monde partait de la salle à manger. Lorsque vous verrez Lyra, dites-lui que ma proposition tient toujours.
— Votre proposition ?
— Oui. Celle de rester à Polaris. Avec moi.
Et il s’en alla, la démarche fière et le pas lent.
Son épée. Kayden avait besoin de son épée et d’une vingtaine de vases en porcelaine à fracasser.
Pendant qu’il montait les escaliers et injuriait toutes les générations du duché des Lomond, un mot en particulier lui revint à l’esprit. Au moment de tourner à droite pour rejoindre sa chambre, il s’arrêta.
« Rester. »
« Rester à Polaris. »
Le duc avait fait un lapsus. Et si…
Et si elle était toujours là !
Kayden prit le couloir de gauche jusque devant les appartements de Lyra. Il toqua. Pas de réponse. Il voulut ouvrir, mais la porte était fermée. Il continua de cogner contre le bois blanc. Tant pis s’il était démasqué. Peu importe qu’il se fasse attraper. Seule Lyra lui importait.
Et toute cette histoire était étrange.
Une femme de chambre, qui rappelait à Kayden la jeune domestique qui s’occupait de Lyra à Silverthrown, passa devant lui, les bras chargés de draps.
— La demoiselle est partie.
— Quand ? lui demanda le Renard.
La jeune femme, effrayée par le ton sévère de l’homme masqué, fit un pas en arrière.
— En… En fin de matinée, bredouilla-t-elle, se cachant derrière sa montagne de linge.
— L’avez-vous vu ?
— Je me suis occupée de sa toilette avant qu’elle ne rejoigne monsieur le duc de Lomond. Après… je ne l’ai pas revu. On nous a dit qu’elle était repartie chez elle.
De retour dans sa chambre, Kayden faisait les cent pas. Il ne pouvait pas croire que Lyra était retournée à Ambrume. D’autant plus que c’est elle qui avait refusé d'abandonner sa mission quand il lui avait demandé de le suivre. Kayden passa une main dans ses cheveux. Il se rappelait encore la sensation du corps de la conteuse entre ses bras la nuit dernière.
Il fit sa petite vérification. Pas d'espion caché dans l’imposant pot de fleur à côté de sa baignoire. Ni grimé en statue dans le petit salon. Et personne ne l’attendait, planqué au-dessus de son lit à baldaquin. Alors qu’il s’apprêtait à retirer son masque, Alphonse entra en trombe dans la chambre.
— Es-tu fou ?! Et si quelqu’un te voyait ! lança le Renard, le masque de nouveau fixé sur son nez.
— Capitaine, chuchota Alphonse. C’est à propos de Lyra.
Le garde, toujours en uniforme de coursier de Polaris, raconta à Kayden son entrevue avec la conteuse.
— En l’espace de quelques secondes, elle tenait à peine sur ses jambes et son front était devenu brûlant. C’était du poison, affirma Alphonse. Mais je ne pouvais pas m'enfuir avec elle sur le dos. Nous nous serions immédiatement fait attraper. Et Lysandre de Lomond revenait déjà. Alors, je me suis caché. Il était accompagné d’une poignée de gardes et de sa mère. Je les ai vus emmener Lyra et… Et puis, j’ai perdu leurs traces. Capitaine, je suis désolé.
— Donc, elle est toujours au palais. Tu as bien réagi, Alphonse, le rassura le capitaine, une main sur l’épaule de son soldat. Vous vous seriez tous les deux mis en danger si elle était partie avec toi. Mais maintenant, notre priorité, c'est de la retrouver. Et le plus vite possible.
-§-
Une journée s’était écoulée et toujours aucune nouvelle de Lyra.
Lorsque Alphonse avait mentionné le poison, le sang du Renard n’avait fait qu’un tour. Il avait gardé une attitude calme devant son soldat, lui montrant que la situation était sous contrôle, que Lyra n’était plus en danger. Mais Kayden paniquait intérieurement.
Était-il déjà trop tard ? Le corps, sans vie de Lyra gisait-il dans un coin du palais ?
Kayden secoua la tête. Il refusa d’y croire.
Et puis, Opale n'était pas si bête. Tuer Lyra, c’était se priver d’une source d’information Ambrume. D’autant plus que monsieur Merryweather était un partisan de Childéric, même si c’était seulement pour sauver sa famille de la ruine. Non, elle avait dû la cacher quelque part, à l’abri des regards.
Le problème, c’est que Kayden avait beau arpenter les couloirs du palais dans les moindres recoins, écouter le plus petit des murmures derrière chaque porte. Rien. Pas l’ombre d’un indice.
Il ne devait pas s’éterniser. Plus les secondes s'égrainaient, plus Lyra était en danger.
Rageusement, Kayden se releva de son sofa et d’un coup de pied, fit valdinguer le malheureux fauteuil qui retomba lourdement un mètre plus loin.
Il était impuissant et il détestait ça. S’il restait une minute de plus sans informations, il finirait par devenir fou.
La porte de sa chambre s’ouvrit. Mais cette fois, ce n’était pas Alphonse.
Un garde vêtu d’un uniforme rouge sombre faisait face au Renard. De la sueur perlait de ses cheveux coupés en brosse. Les mains sur ses genoux, il essayait de reprendre sa respiration.
— Capitaine… Lyra… Elle est dans les cachots ! lança Damien.
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